De Nice à Istanbul : « facebookisation » du monde par Alexandre Melnik
A l’image de Facebook avec ses galaxies croisées des interactions instantanées, le monde actuel devient un bazar global, où
s’entrechoquent et se télescopent, à une vitesse effrénée, les évènements qui n’ayant, manifestement, aucun lien, rythment pourtant, au gré d’un clic, nos vies, en nous faisant réfléchir aux tendances profondes, derrière ce kaléidoscope des actualités.
Ainsi, l’improbable « link » digital entre l’attentat de Nice et la tentative du coup d’Etat en Turquie m’inspire une observation sur l’éternelle dichotomie entre le statu quo et la dynamique, entre les pesanteurs du passé et les ruptures qui tracent l’avenir. Entre le fatalisme collectif et le volontarisme individuel.
Prenons, d’abord, les pesanteurs historiques qui se révèlent à travers les turbulences turques. Au-delà de tous les aléas du quotidien, et ce, dans un monde en constante mutation, elles sont significatives de la survivance de grandes caractéristiques, ancrées dans l’ADN de nations, souvent depuis la genèse de leurs trajectoires civilisationnelles. En regardant la reddition des putschistes sur le pont du Bosphore, je pensais au choc des deux perceptions du monde qui taraudent, durant des siècles, l’identité turque : le tropisme européen laïc, inspiré des Lumières, contre le prophétisme islamique, issu des inspirations du Coran. Le « kemalisme » contre l’empire ottoman. La raison contre la foi. Ankara vs. Istanbul. Ouest vs. Est. Europe vs. Asie.
Comment ne pas évoquer aussi, dans ce contexte, que, fondamentalement, la même dichotomie paramètre le logiciel mental d’un autre géant eurasien, la Russie, avec son éternel clivage entre les « occidentalistes » (« западники ») et les « slavophiles » (« cлавофилы) : les premiers revendiquant l’affiliation de la Russie a l’Occident et les seconds exaltant l’exception, d’inspiration chrétienne orientale (Byzance), de la civilisation russe. Une fois de plus, c’est la confrontation de la raison et de la croyance. Pierre le Grand vs. Nicolas I. Saint-Pétersbourg vs. Moscou. Gorbatchev – Eltsine (oui, je les mets ensemble !) vs. Poutine. Bref, comme en Turquie : Ouest vs. Est. Europe vs. Asie.
La persistance de ces penchants « génétiques » qui apparaît donc, sous la loupe grossissante des derniers événements en Turquie, semble accréditer la thèse de Samuel Huntington sur le « fatalisme historique », avec ses ancrages identitaires immuables. Au premier abord …
Tournons – nous maintenant du côté du carnage à Nice. Malgré la revendication par Daesh, cela reste, en substance, l’étincelle de la folie meurtrière d’un individu désaxé, paumé, en principe absolument anonyme, mais en quête de son « quart d’heure de gloire » post-mortem.
La banalité de sa démarche, la banalité du mal, dans son cas, est hallucinante : tout le monde peut, en principe, louer un camion et foncer dans la foule, à un moment et à un lieu symboliques, en attirant ainsi sur lui le focus médiatique du monde entier, rythmé par l’instantanéité des réseaux sociaux (« facebookisation » du monde).
Autrement dit, tout individu, indépendamment de sa géolocalisation, son âge, ses origines, son statut social, indépendamment de tout, vivant aujourd’hui dans notre monde global du XXI siècle, régi par un clic, peut écrire l’Histoire, via un cauchemar ou via une innovation qui tire l’Humanité vers le haut (les myriades de start-ups à travers la planète, nées d’une simple idée strictement personnelle). En changeant le monde en pire ou en mieux. Et ce, à des années-lumière de toutes les lourdeurs identitaires des nations et des états, figées dans le passé, car sans doute jamais dans l’Histoire humaine un individu en tant que tel n’a joué un rôle aussi décisif qu’en ce début de nouveau millénaire.
Alors, le monde « facebookisé » du XXI siècle, sera – t – il celui du fatalisme des nations ou celui du volontarisme individuel ? Celui du « nous », tributaires du passé, ou celui du « moi » proactif, tourné vers l’avenir ?
Anonyme
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