La France est entrée en période électorale. Or l’argument de la discipline budgétaire ne semble pas une priorité pleine et partagée. Vous vous en inquiétez ?
Nous partageons avec nos voisins européens le même modèle social. C’est un modèle avec davantage de services publics et moins d’inégalités qu’aux Etats-Unis. Les Français y sont très légitimement attachés. Mais notre difficulté, à nous Français, c’est que ce modèle social nous coûte trop cher. Regardons nos dépenses publiques : elles représentent 56 % du PIB, quand la moyenne de nos voisins est à 47 %. C’est presque 200 milliards d’euros de différence. Il est donc possible d’être plus efficace, tout en gardant ce modèle social. Il faut notamment privilégier les dépenses d’investissement, d’éducation et de formation professionnelle. Tout ce qui est porteur d’avenir.
Pour confirmer que la solution pour plus de croissance et d’emploi en France n’est pas plus de dépenses budgétaires, il faut aussi regarder comment notre dette publique a évolué. En 1980, elle était à 20 % du PIB. Aujourd’hui, nous léguons aux jeunes une dette publique qui représente presque 100 % du PIB. Cinq fois plus ! Même problème en Italie. Et que je sache, malheureusement, la France et l’Italie n’ont pas été sur cette période les championnes de la croissance en Europe.
En quoi c’est menaçant pour le modèle français ?
Cela augmente d’autant les intérêts de la dette que nous devons payer aujourd’hui, d’autant plus si les taux devaient monter. Cela accroît aussi la charge que, demain, les jeunes générations devront rembourser, tôt ou tard. Et en conséquence, cela diminue notre liberté de manœuvre.
On parle très souvent de développement durable pour les générations futures. La maîtrise de la dette publique devrait en faire partie.
Pour l’heure, contrairement à certaines autres élections présidentielles, il est très peu question de dette publique…
La Banque de France est indépendante. C’est essentiel. Notre rôle n’est donc pas de distribuer bons et mauvais points politiques. En revanche, il est de rappeler un certain nombre de faits. Je crois qu’il y a une prise de conscience croissante des Français que la dépense publique ne résout pas tout et que la dette publique pèse sur la génération qui suit. Après, cela appelle des choix, pas toujours simples, pour lesquels le débat politique retrouve toute sa place.
Craignez-vous que [les promesses] menacent nos engagements européens ?
Dans ce monde incertain, nous avons besoin de l’Europe. Et symétriquement, cela me frappe dans toutes les discussions européennes auxquelles je participe, l’Europe a besoin de la France. Mais pour qu’on nous écoute en Europe, il faut qu’on nous croie. Une France qui tient ses engagements sur le plan budgétaire et sur le plan des réformes, c’est bon pour la France elle-même – c’est davantage de croissance et d’emploi -, et c’est bon aussi pour notre capacité à peser en Europe.
L’argument du rétablissement d’une monnaie nationale, est-ce vraiment crédible ?
Notre euro est le résultat d’un choix démocratique, dont nous fêtons cette année les 25 ans. Il est aujourd’hui soutenu, à l’expérience, par une large majorité des Français : ils sont 68 % à dire leur attachement à l’euro.
Dans un monde devenu très incertain, nous Français et Européens, avons la chance d’avoir avec l’euro une monnaie solide et qui inspire la confiance. Une monnaie solide, avec une inflation maîtrisée, c’est celle qui préserve le pouvoir d’achat, l’épargne, les retraites, la valeur des biens. Cette force, il faut la garder.
Pour autant, et c’est une bonne nouvelle, beaucoup de choses relèvent encore de nos choix nationaux. L’euro ne peut pas tout faire. Il est très frappant de voir qu’à l’intérieur de la zone euro, la croissance moyenne est de 1,7 % mais que de nombreux pays font nettement mieux ; certains sont même au plein emploi. Ce qui fait cette différence, ce n’est pas la monnaie, puisque nous la partageons ; ce sont les bonnes politiques nationales, des politiques de réforme.
L’Europe s’est d’abord construite pour la paix, et il ne faut jamais oublier ce progrès unique qui n’a aucun équivalent au monde. Cela reste un acquis infiniment précieux dans le monde incertain de 2017. Plus largement, l’euro permet aux Européens de peser dans la discussion internationale. Je peux en témoigner, quand Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, parle au G7 ou au G20, le monde entier écoute l’Europe. Pour une fois. Dans les discussions qui vont avoir lieu dans ce monde incertain, sur les taux de change, sur le commerce, la réglementation financière, aucun de nos pays pris séparément ne pourrait peser.
Faut-il s’inquiéter du retour de l’inflation qui a atteint, en janvier 2017, son plus haut niveau depuis quatre ans dans la zone euro ?
Il y avait une inquiétude, il y a encore un an, sur ce qu’on appelait la menace de déflation, c’est à dire un reflux général des prix et de l’activité. Nous l’avons évitée grâce à l’action résolue de l’Eurosystème, qui réunit la Banque centrale européenne et les 19 banques centrales nationales de la zone euro dont la Banque de France. Aujourd’hui, la remontée des prix du pétrole fait qu’il y a un pic temporaire d’inflation ; mais cela reste très maîtrisé, puisque nous sommes à 1,6 % en France au mois de janvier. Et cela se passe conformément à notre objectif qui est de porter et maintenir l’inflation à une moyenne inférieure mais proche de 2 % par an. On a peut-être oublié ce que représentait une inflation élevée d’avant l’euro. Au début des années 1980, elle était à deux chiffres !
Si nous devions abandonner l’euro, un scénario que je me refuse à envisager, cela signifierait une vie plus chère pour les Français. Les prix des biens que nous importons augmenteraient, tout comme le coût de la dette pour tous ceux qui ont des emprunts.
On estime que l’euro nous a apporté une baisse de taux d’intérêt de plus de 1,5 %. C’est significatif pour les ménages qui achètent un bien immobilier, pour les entreprises qui investissent, et pour tous les contribuables que nous sommes et qui financent la dette publique. Si nous devions retrouver les taux d’intérêt d’avant l’euro, le financement de la dette publique coûterait chaque année au moins 30 milliards d’euros d’intérêts supplémentaires par an.
Quelles pourraient être les conséquences pour la France et l’Europe d’un protectionnisme renforcé côté Etats-Unis voulu par Donald Trump ?
Certaines déclarations d’intention posent des questions sérieuses. Il est cependant trop tôt pour connaître leur traduction en actions. En matière économique, il y a la tentation du protectionnisme, celle de peser sur le cours du dollar, ou celle d’une déréglementation financière. Sur ces différents sujets, les Européens doivent dire aux Américains que la règle du jeu internationale est un facteur de stabilité et de croissance.
Sur le protectionnisme en particulier, il faut veiller à ce que le commerce mondial profite mieux à tous, y compris aux PME et à l’ensemble des populations. Mais ce que l’histoire a montré, c’est que le protectionnisme pénalise d’abord les plus pauvres.
En 2016, le déficit commercial a progressé de plus de trois milliards d’euros pour dépasser les 48 milliards d’euros, avec un recul du nombre d’entreprises exportatrices. Comme l’expliquez-vous ? Comment rebondir ?
D’abord, la croissance française résiste, même si elle est insuffisante. Selon la Banque de France, nous serons à 1,3 % de croissance en 2017. Il y a eu des progrès sur la compétitivité de nos entreprises, à la suite du pacte de responsabilité et du Cice, mais ce que nous voyons dans les chiffres que vous citez, c’est que nous ne sommes pas au bout de cette bataille pour la compétitivité. Sur le marché mondial, nous ne profitons pas assez de la demande de nos partenaires.
Que vous disent les entrepreneurs que vous rencontrez ?
Une des missions de la Banque de France est d’être au service des entrepreneurs sur le terrain, et je suis frappé par deux messages. En premier lieu, le besoin de simplification. Les Français le ressentent : nous avons trop de normes, trop de règles, quand il faudrait donner envie d’entreprendre. Ce que j’entends aussi, ce sont les difficultés de recrutement dans un pays qui a pourtant malheureusement tant de chômeurs. Ce qui est ici en jeu, c’est l’éducation et surtout la formation professionnelle. Il y a notamment un grand retard français en matière d’apprentissage.
L’Europe ne rajoute-t-elle pas trop de règles également ?
L’Europe a bien sûr aussi cet effort de simplification à faire. Elle doit se consacrer à quelques priorités, pour parler moins mais agir mieux. Maintenant, il faut être honnête : quelquefois l’Europe a bon dos ! Beaucoup des normes dont nous parlons sont d’origine française.
La révolution numérique est une chance fabuleuse pour simplifier et générer de la croissance ?
Oui. La révolution numérique simplifie la vie des Français, y compris dans leurs relations avec le service public. D’ailleurs la Banque de France se transforme elle aussi et investit dans sa digitalisation, pour un service aux entreprises et aux particuliers toujours plus efficace.
Les taux d’intérêt proposés aux particuliers et aux entreprises – malgré une légère remontée depuis le début de l’année – vont-ils encore rester durablement bas ?
Vous avez raison, les taux d’intérêt sont historiquement bas. Cela, c’est grâce à l’euro et à la politique monétaire que nous menons au sein de l’Eurosystème. Une remontée progressive est en cours, à mesure que nous revenons vers notre cible d’inflation un peu inférieure à 2 %. Mais pour autant, les taux d’intérêt devraient rester à un niveau favorable dans les mois et les années qui viennent ; c’est un élément de visibilité positif pour l’économie car des taux bas soutiennent l’investissement des ménages, par exemple dans l’immobilier, comme des entreprises.
À cet égard, comment est positionnée la France par rapport à ses voisins de la zone euro ?
Nous avons, en France, la croissance des volumes de crédits la plus forte de la zone euro. Respectivement pour les entreprises et les ménages, l’offre de crédit croît de 4 et 5% par an. Nous avons aussi les taux d’intérêt les plus bas. C’est une situation très favorable.
Pour autant, nous restons vigilants quant à l’accès au crédit des TPE. C’est pour cela que, dans chaque département, la Banque de France a créé un Correspondant TPE. Depuis l’automne dernier, c’est un interlocuteur privilégié pour les entrepreneurs, en amont. En cas de blocage non résolu, le directeur local de la Banque de France assure aussi le rôle de médiateur du crédit.
Autre mission de la Banque de France, et c’est une nouveauté : l’éducation économique et financière des publics…
La Banque de France s’est effectivement vu confier en fin d’année dernière le rôle d’opérateur national de « la stratégie d’éducation économique et financière des publics ». Il s’agit de donner aux Français, dans leur diversité, un maximum de clés pour maîtriser les débats économiques et financiers, l’utilisation des produits financiers, la gestion de leur budget, etc. Nous sommes chef d’orchestre d’un grand nombre de partenaires : Éducation nationale, associations… Pour cela, nous avons notamment ouvert un portail «
mesquestionsd’argent.fr« . Les Français peuvent y trouver à peu près toutes les informations qu’ils souhaitent. A nous de montrer que l’économie, ce n’est pas forcément ennuyeux ou complexe. On peut s’y intéresser de façon crédible mais ludique.
Anonyme
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