Paradoxes du referendum en Catalogne
Les tensions entre gouvernement espagnol et militants catalans en faveur d’un referendum pouvant ouvrir la voie à l’autonomie, voire l’indépendance, font un événement important de notre époque. Cette situation concentre bien des paradoxes, voire incohérences, de la démocratie prétendument libérale moderne, ce qui mérite en soi un éclairage. Mais plus largement, elle augure sans doute des mouvements et bouleversements qui s’annoncent au sein d’une Europe arrivée en bout de liberté.
Alors que le Brexit semble se faire un peu oublier après la surprise, lui qui a lancé le signal d’alarme, la presse se garde bien de faire de trop gros titres sur la Catalogne. Il ne faudrait surtout pas donner l’idée de suivre le même chemin aux nombreuses régions – Corse, Bretagne, Basques – qui ont toujours manqué d’air dans un Hexagone toujours plus jacobin, méprisant et égalitariste.
Ce qui se passe est pourtant symbolique en matière de liberté et de viabilité du système politique « démocratique ». Une région disposant déjà d’une certaine autonomie envers l’Espagne souhaite organiser un referendum sur la question suivante : « Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d’une république ? » Mais le pouvoir central s’oppose pour des raisons de forme : un tel referendum serait inconstitutionnel, vu de l’Espagne. Ce serait donc illégal, alors que la vocation même d’un referendum consiste à établir la légitimité d’une décision par l’expression populaire, le vote direct de la population concernée. Le mécanisme démocratique serait donc illégal.
On touche là à un des paradoxes de la démocratie contemporaine. La démocratie, mise en avant comme le système politique moderne de la liberté, se révèle en réalité une tyrannie : celle de la majorité envers la minorité défaite. Ici, le pouvoir instauré par une majorité sur un grand territoire refuse à une minorité territoriale de mettre en œuvre le même mécanisme qui a porté ladite majorité au pouvoir. C’est un peu comme si « Bruxelles » refusait à la France d’organiser un vote sur sa sortie éventuelle de l’Europe – tiens, revoilà le Brexit. Mais comment, comment ? L’Europe enfin « unie » ne serait donc pas ce nirvana politique qui nous mènera tous à la liberté ? Non, certes non.
Car si le vote est le meilleur mécanisme de décision politique – ce qui n’est pas mon avis, mais suivons la logique démocratique – alors la seule manière de le rendre pertinent dans ses sujets et de limiter les minorités qu’il produit consiste à accepter de le voir appliqué en autonomie au niveau de petites localités. On ne peut pas imaginer un monde de 7 milliards d’humains demain où les seuls votes se feraient à l’échelle de la planète, sans prise en compte dynamique des spécificités locales.
L’avenir de la liberté, en Europe du moins, mais on voit le même phénomène se produire dans tous les pays vastes, l’avenir passe par une autonomie politique locale, qu’elle soit régionale ou autre. Au grand dam des pro-européens, l’Europe sera plus libre lorsque la Catalogne aura quitté l’Espagne et le Royaume-Uni aura quitté l’Union. Et l’Europe sera encore plus libre lorsque, entraînés dans la course, l’Ecosse, la Corse, voire la Bavière, auront claqué la porte. Les Balkans ont montré la voie. La liberté plus grande de pays plus petits vient de la possibilité plus grande d’agir sur son propre destin.
Alors, espérons que la Catalogne puisse mener son referendum ce week-end. Et que le vote soit en faveur du ‘Oui’. Attention, ce ne serait alors que le début d’un long processus, car cette sécession ne règlera pas toutes les questions. Elle sera forcément longue et contestée, comme le Brexit. Elle ne donnera pas naissance tout de suite à un régime idéal pour tous les Catalans. Peut-être même que ce premier régime sera lui-même renversé pour un autre – vas savoir. La liberté va pousser, longtemps.
Peu importe. Ce qui importe, c’est l’exemple et la dynamique lancée. La décentralisation du pouvoir politique en Europe est la conséquence logique, mécanique, de la décomposition morale des régimes démocratiques et de la révolution technologique, qui überise peu à peu les gouvernements. Et de se rendre compte que l’histoire de l’Europe est celle d’une foule de petits états, et qu’on y retourne.
S. Geyres