Emmanuel Macron ou le romantisme européen : analyse critique
Le Président de la République, Emmanuel Macron, a tenu deux discours sur lEurope, deux discours programmes qui méritent une analyse critique.
1. Macron veut faire de lEurope un axe majeur de son quinquennat.
Il convient tout dabord de relever les lieux de ces discours. Le premier à Athènes sur la colline de la Pnyx, devant lAcropole, le 7 septembre 2017, haut lieu de la Grèce antique où lEcclésia, lassemblée des citoyens, votait à main levée. Le second est prononcé le 26 septembre 2017 dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne.
Ces choix, symboliques, incarnent la culture française et européenne ; on ne saurait les rejeter, ils appartiennent à lhistoire et bien au-delà à lhistoire de lHumanité. Ces choix sont donc judicieux même si certains les ont jugés ostentatoires.
1. Macron a abordé pour exprimer sa vision de la refondation de lEurope les thèmes suivants :
I LEurope-puissance.
Dans son discours dAthènes, il critique vertement les souverainistes et les accuse de « recroquevillement ». Pour lui, la souveraineté « se construit dans et par lEurope » et consiste à « conjuguer nos forces pour bâtir ensemble une puissance européenne » ; et dajouter « nos défis ne sont plus à léchelle de nos Nations (…), la bonne échelle est léchelle européenne ».
Que les choses soient claires : le souverainisme nest en rien un « recroquevillement », un repli sur soi, bien au contraire. Il exprime la volonté du peuple de garder la maîtrise de ses décisions afin de participer au concert des Nations en toute liberté et de ne pas subir les décisions prises par les autres. Emmanuel Macron est en réalité dans la pure polémique vis-à-vis des souverainistes.
1. Macron plaide pour « lEurope-puissance », qui deviendrait un nouveau bloc ; je me souviens dune affiche dans les années soixante où lon voyait un Européen musclé écarter le bloc soviétique et le bloc américain…
Cest là une époque révolue, utopique. Le monde ne fonctionne plus en blocs, nous sommes dans lère des puissances relatives, un monde mouvant où les coalitions se font et se défont en fonction des sujets et des enjeux. En réalité, il ny a plus de superpuissances ou dhyper puissances, tel que lavait analysé Hubert Védrine, qui puissent mettre à sa botte le reste des pays du globe. Si une grande puissance frappée dhubris entre dans le délire impérialiste, elle coalisera le monde entier contre elle.
De surcroît, penser que vingt-huit Nations puissent se sublimer et se fondre dans un super- Etat relève de la pure utopie.
Je me souviens des paroles prononcées par Jacques Delors en Commission des Affaires étrangères de lAssemblée nationale : « Il ny aura jamais de politique étrangère commune. LEurope puissance est une utopie du Quai dOrsay. »
1. Macron est dans cette utopie contre laquelle les peuples, de plus en plus nombreux, se rebellent : en témoignent le rejet du Traité constitutionnel en 2005 en France et aux Pays-Bas, le Brexit aujourdhui. De plus, nombre dexperts estiment que sil y avait eu un référendum en Allemagne, le résultat eût été le même.
La Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe le 30 juin 2009 réaffirme avec force en substance : « Il ny a pas de peuple européen, il y a un peuple français, un peuple italien, un peuple néerlandais… un peuple allemand et en cas de modifications des Traités pour lAllemagne, le dernier mot doit appartenir à la Diète fédérale ».
A lheure du village planétaire, la notion dEurope puissance apparaît comme un concept obsolète car, pour la France, lAllemagne, le Royaume-Uni et la plupart des pays européens, les intérêts ne sont pas seulement et exclusivement européens mais mondiaux. La mondialisation, par sa nature même, transcende lEurope ; ce qui ne signifie pas quil y ait intérêt à abandonner toutes
coopérations européennes mais ces dernières ne sauraient être exclusives : dautres coopérations hors Europe peuvent être bénéfiques pour les pays européens pris individuellement.
Emmanuel Macron, en parlant dEurope puissance, est en pleine chimère.
II La sécurité
Prenons des extraits du discours de la Sorbonne : « Nous devons créer un espace de sécurité et de justice commun… En matière de défense, notre objectif doit être la capacité daction autonome de lEurope, en complément de lOTAN… Ce qui manque le plus à lEurope aujourdhui, cest une culture stratégique commune… LEurope devra se doter dune force commune dintervention, dun budget de défense commun et dune doctrine commune pour agir. Je souhaite une Académie européenne du renseignement… »
Avoir une défense européenne avec un budget de défense commun et surtout une doctrine commune présuppose un pouvoir politique supranational européen, lequel nexiste pas et nest pas près dexister. Proposer aux Etats européens de tels projets nest pas sérieux ; ce sont des propos davenir et qui le resteront longtemps.
Relevons que nos partenaires sont tous inféodés à lOTAN, sauf lIrlande, et quaucun, même après lélection de Donald Trump, na manifesté la moindre velléité den sortir.
Les termes de larticle 42-7 alinéa 2 du Traité sur lUnion européenne adopté à Lisbonne sont limpides :
« Les engagements et la coopération dans ce domaine (politique de sécurité et de défense) demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de lOrganisation du Traité de lAtlantique Nord, qui reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et linstance de sa mise en uvre. »
Le Brexit ne change rien à cette disposition. Ni les Etats baltes, ni la Pologne, ni la Roumanie ne renonceront à lOTAN. La Roumanie, qui accueille une grande base américaine, a dabord adhéré à lAlliance atlantique avant de rejoindre lUnion européenne.
Cela étant, les Etats européens, sils veulent exister en matière de défense, doivent commencer à augmenter leurs budgets nationaux, comme les Américains leur ont souvent répété. En matière de projets déquipements militaires européens, ils devraient privilégier des coopérations entre entreprises européennes, ce quils ne font pas : nombreux sont ceux qui ont succombé aux illusions dune coopération avec les Etats-Unis et ont perdu la maîtrise de leur industrie darmement. Cest le cas de la coopération sur le JSF F35 proposé par les Américains aux Européens. Ces derniers payent, pour 8 milliards de dollars, sans retours technologiques !
Sans chauvinisme ni orgueil déplacé, la défense européenne sappelle lindépendance militaire de la France, seule puissance européenne qui dispose encore de sa libre décision. Sacrifier cette indépendance dans une hypothétique défense européenne, cest lâcher la proie pour lombre !
A ce titre, gardons à lesprit léchec auquel aboutit le syllogisme de Nicolas Sarkozy au moment où il prit la décision de rallier lOTAN. Son raisonnement était en substance le suivant : « Je suis pour une défense européenne. Mes partenaires sont pour lOTAN. Je rallie lOTAN pour rallier mes partenaires européens à la défense européenne. »
1. macron devrait méditer cet échec.
III La maîtrise de nos frontières
« La crise migratoire nest pas une crise, cest un défi qui durera longtemps… ce nest quavec lEurope que nous pourrons efficacement protéger nos frontières, accueillir dignement ceux qui ont droit à lasile, les intégrer réellement, et dans le même temps renvoyer rapidement ceux qui ne sont pas éligibles à cette protection ».
E.Macron propose la création dun office européen de lasile, une police des frontières européennes, un large programme de formation et dintégration pour les réfugiés, un partenariat avec lAfrique, éléments de la refonte du projet européen.
Il est vrai, nul ne peut le contester, la crise migratoire est un défi majeur pour la France et les Etats dEurope.
En revanche, pour avoir un office européen de lasile, un programme de formation pour les réfugiés, un partenariat avec lAfrique, il faut élaborer une politique commune. Les divergences sont nombreuses, et même antagonistes, entre les Etats européens.
Le temps nest guère éloigné où des Etats refuseront tout accueil de réfugiés et fermeront complètement leurs frontières en raison de la croissance des flux de migrants et de limpossibilité politique de les intégrer économiquement et surtout culturellement. Les ONG qui prétendent le contraire commettent une erreur stratégique.
IV Le partenariat avec lAfrique
Il est une partie prenante, pour E. Macron, de la souveraineté européenne.
Je considère que lAfrique a des potentialités immenses mais que son explosion démographique incontrôlée est une menace pour elle-même, la France et lEurope.
La stabilisation de ce continent ne se réalisera pas au moyen daides classiques, léducation, la santé, lénergie comme le prône Emmanuel Macron, mais par des programmes drastiques de contrôle des naissances.
V Sur une transition écologique efficace et équitable, E. Macron fait état de sa foi dans lEurope qui « doit être à lavant-garde ». Il plaide pour un prix de carbone à la tonne « significatif qui permette des réorientations profondes de nos économies … de 25 à 30 euros » ainsi que louverture dun marché européen de lénergie.
Relevons que lélaboration dun marché européen de lénergie ne se réalisera quavec laccord des Etats dont les intérêts ne coïncident pas. LAllemagne, en ayant décidé de fermer toutes ses centrales nucléaires, soppose à la France.
VI La souveraineté alimentaire
« Est-ce que notre politique agricole commune protège bien nos agriculteurs et nos consommateurs ? » ; « La PAC doit protéger face aux aléas du marché et aux grandes crises. »
On ne peut quêtre daccord avec E. Macron sur ce sujet, mais observons que ce sont nos partenaires européens qui ont exigé de modifier la PAC qui, à leurs yeux, coûtait trop cher.
VII La souveraineté numérique
« Nous devons tout faire pour avoir ces champions du numérique. Créons dans les 2 ans qui viennent une agence européenne pour lassociation de rupture à linstar des Etats-Unis avec la DARPA. »« Nous devons défendre nos droits dauteur. » « Je souhaite taxer la valeur créée… »
Je partage ces objectifs mais pour cela, encore faut-il élaborer une politique industrielle européenne et prendre ses distances avec le « tout concurrence » dogme de la Commission européenne. Quant à la taxation de la valeur créée, elle tombe sous le sens.
VIII Union économique et monétaire
« Cest à partir de cette union économique et monétaire…. que nous pourrons créer le cur dune Europe intégrée… » « comment nous arriverons à faire de cette zone une puissance économique concurrente de la Chine et des Etats-Unis… »
« Nous avons besoin dun budget plus fort au cur de lEurope, au cur de la zone euro.Un budget ne peut aller quavec un pilotage politique fort par un Ministre commun et un contrôle parlementaire. »
1. Macron est toujours dans la logique des blocs et ce faisant, il rêve dune Europe puissance, qui se révèle une chimère.
La question de la survie de lEuro reste entière, car sans création dune union de transferts, où les pays riches, soit lAllemagne, et les pays du Nord de lEurope payent pour les pauvres, il ny a pas davenir pour la zone euro ; Joseph Stiglitz, Prix Nobel déconomie, la parfaitement démontré.
Quant à avoir un budget fort piloté par un ministre de la zone, cest un projet fédéral qui na pas lassentiment de nos partenaires, y compris et surtout de lAllemagne qui se refuse à payer pour les autres.
IX La solidarité
« Comme le disait Jacques Delors, la concurrence qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit ». « Cest le sens du combat que je mène pour réviser la Directive sur la travail détaché… » ; « Nous devons accéder à lharmonisation des bases de limpôt sur les sociétés. »
« Nous devons définir une fourchette de taux (de lIS)… Le respect de cette fourchette conditionnerait laccès aux fonds européens… Nous puissions définir une vraie convergence sociale et rapprocher progressivement nos modèles sociaux… »
Salut aux chercheurs daventures !
Lharmonisation des bases de limpôt sur les sociétés serait un premier pas pour assurer une concurrence non faussée. Cependant, lharmonisation des taux nest pas souhaitable dans la mesure où les conditions de production ne sont pas les mêmes dans les Etats de lUnion.
Quant à la convergence sociale, cest une idée davenir promise à le demeurer. Nombreux sont les Etats européens qui veulent garder un avantage concurrentiel économique avec un niveau bas de prestations sociales.
Pour ce qui est de la directive sur les travailleurs détachés, en dehors dune limitation théorique de la durée de détachement, un an plus six mois, Emmanuel Macron na pu en modifier la structure même : les cotisations seront toujours payées dans le pays dorigine. De plus, le contrôle et la sortie de France des travailleurs détachés demeurent un défi permanent. La remise en question du travail détaché est en réalité la remise en question de la liberté de circulation des travailleurs qui est au cur des libertés des Traités ; cest une mission impossible sauf à remettre en cause la libre circulation des travailleurs. Relevons de surcroît que le transport est laissé hors le champ des 18 mois de durée du détachement.
X La culture
« Le ciment le plus fort de lUnion sera toujours la culture et le savoir» ; » Parcourir le continent pour apprendre dautres langues» ; « Chaque étudiant devra parler au moins deux langues européennes avant 25 ans passés. « au moins six mois dans un autre pays européen. » « Je propose la création duniversités européennes. »
Oui, la seule Europe est bien celle de la culture et elle a existé bien avant la démultiplication débridée des règlements et directives de lUnion européenne.
Quant à lapprentissage des langues, on ne peut quapplaudir à la condition de ne pas parler le globish à luniversité Humboldt, à Berlin, mais le français…
XI Les «intraduisibles»
« Je veux imaginer Sisyphe heureux» ; « Nous navons pas eu raison de faire avancer lEurope malgré les peuples» ; « Nous devons refonder le projet européen par et avec le peuple.» ; « Je souhaite que nous passions par des conventions démocratiques pour 2019 (aux élections européennes). » ; « Je souhaite que la moitié du Parlement européen soit élue sur ces listes transnationales. »
Les propos dEmmanuel Macron sont un oxymore ; dun côté, il affirme que pour refonder le projet européen, il faut le faire avec et par le peuple, de lautre, il propose des listes transnationales qui ne représentent pas le peuple.
Par ailleurs, soumettra-t-il son projet à référendum et renoncera-t-il à organiser une deuxième consultation si le résultat est Non, comme on la vu pour lIrlande ?
XII Le marché unique et les institutions
« Le marché unique doit réunir cet espace de convergence plus que de concurrence… Pour fonctionner, cette Union européenne ne pourra échapper à la question de ses institutions. Une commission de 15 membres devra être notre horizon, que les grands pays renoncent à leurs commissaires pour commencer. Nous donnerons lexemple. LUnion devra souvrir aux Balkans. LUnion permettra des différenciations plus grandes.
Je propose à lAllemagne un partenariat nouveau : pourquoi ne pas se donner lobjectif dintégrer totalement nos marchés en appliquant les mêmes règles à nos entreprises du droit des affaires au droit des faillites ?
Refaisons un Traité de lElysée le 22 janvier prochain.
Je proposerai de lancer… un groupe de la refondation européenne. »
A ce stade, on nest plus au stade du rêve mais du nirvana et de la fuite en avant !
Qui peut encore croire que lAllemagne abandonnera son représentant à la Commission européenne ? Quant à lui proposer un nouveau traité de lElysée, cest rappeler aux Allemands des précédents fâcheux.
Proposer lélargissement aux Balkans diluera davantage encore lUnion européenne.
1. Macron commet une faute avec lAllemagne en la mettant, comme beaucoup en France, au cur de la refondation de lEurope. Cet amour immodéré de la France pour lAllemagne et la promotion tous azimuts de laxe franco-allemand sont une faute. Pierre Manent a raison de dénoncer « la transe amoureuse envers lAllemagne ».
Conclusion
Emmanuel Macron sinstalle résolument dans lutopie et la chimère pour lEurope. Son projet est totalement décalé par rapport à la nouvelle donne européenne qui veut que les Etats reprennent la main sur une construction qui leur échappe et une technocratie européenne avide de tout contrôler.
Il est symptomatique quEmmanuel Macron ne prononce jamais, dans son lyrisme et leuro béatitude qui lhabite, le mot de « subsidiarité » qui est pourtant la clef de la refondation de lEurope. LEurope sest élargie, elle doit samaigrir et sen tenir à lessentiel. Telle est la condition fondamentale pour réconcilier lEurope et ses peuples.
En définitive, ce nest pas en jouant le cabri de lEurope que lon fera avancer la nécessaire refondation de lEurope. Emmanuel Macron lui tourne le dos.