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France : assez de croissance pour continuer à réformer ?

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C’est le problème : réformer en France est indispensable, après tant d’années d’inaction, mais « consomme » de la croissance, comme du pétrole. Réformer inquiète, suscite des polémiques et des oppositions, rend nerveux, brouille l’horizon. Réformer agite le corps social et politique, emplit les assemblées générales, suscite grèves et manifestations, le tout avant de sentir, puis de voir, les premiers résultats positifs. Ce seront de nouveaux investissements, puis de nouveaux emplois. Après.
C’est ce qui se passe : la croissance ralentit, consommée par les réformes. 0,3% de croissance au deuxième trimestre 2018, comme au premier. Nous ne sommes plus au 0,6% de croissance du deuxième trimestre 2017, au 0,5% du troisième, moins encore au 0,7% du quatrième. La croissance 2018 s’annonce plus faible, à 1,8 ou 1,9% au mieux contre 2,2% en 2017, avant de décélérer encore à 1,7% en 2019 puis à 1,6% en 2020, selon une Banque de France nécessairement optimiste ! Et ceci en supposant une croissance américaine qui tient, ce qui fera de la reprise américaine la plus longue de son histoire, plus une reprise en zone euro qui résiste et un pauvre monde qui franchit sans encombre les embûches géopolitiques qui l’encerclent.
C’était pourtant bien parti. Coup de chance, le début des réformes d’Emmanuel Macron coïncide avec l’accélération de la croissance mondiale. Elle était portée par des taux d’intérêt bas et par la chute du prix du pétrole, dont on parle trop peu. Bien sûr, la nouvelle révolution industrielle travaille en sous-main, mais elle détruit des emplois, on le voit, même si elle en crée, qu’on ne voit pas. Les embauchés ne manifestent pas ! Aujourd’hui, le mieux global est manifeste. Avec le plein emploi américain, les taux courts continuent de monter et poussent devant eux les taux longs. Ils s’installent au-dessus de 3% et vont partout tirer les nôtres à la hausse, même si la Banque centrale européenne joue les prolongations. Voilà le taux à 10 ans qui remonte à 0,86% en France : nous ne sommes pas (encore) au 1% de début février, mais plus du tout aux minima de 0,6% en 2017, et n’y reviendrons pas.
Ça va continuer. Apple ne demande pas d’autorisation pour se lancer dans la banque, pas plus que Facebook. Netflix n’est pas invité à Cannes, mais le sera bientôt partout. Les millenials sont aux manettes dans ce nouveau monde, comme les Chinois ou les Indiens. Disrupter étant partout, les « avantages acquis » ne peuvent plus l’être.
Ce sera compliqué. Certes le taux de marge remonte en France, à 31,9% de la valeur ajoutée fin 2107, et amène avec lui le taux d’investissement, vers 24%. Mais le besoin d’investissement avance plus vite, en machines, robots et logiciels. Ces nouveaux investissements sont plus chers et surtout « s’usent » plus vite. Avec son obsolescence, le capital installé en France baisse. La révolution technologique en cours chamboule tout. Pour se lancer dans l’innovation, il faut risquer beaucoup, quitte à tout perdre. Si son idée l’emporte, the winner takes it all, the loser standing small. Notre vieille logique des rendements d’échelle croissants, puis décroissants, ne marche plus. Si l’application gagne, elle évince les autres. Les rendements sont croissants dans cette révolution industrielle : la voie est ouverte aux monopoles mondiaux.
C’est donc bien différent : il faut pousser les feux des changements et modernisations, réformer les structures publiques pour en réduire les coûts, permettre plus de souplesse aux PME pour qu’elles haussent leurs marges, former plus vite les salariés. Les tensions et les freins monteront alors d’autant, permettant et « consommant » plus de croissance.
C’est donc qu’il faut parler plus clair : il ne s’agit pas de rattraper le retard, de réduire le déficit budgétaire ou extérieur… mais de revenir dans l’équipe mondiale de tête, avec l’Allemagne. La Chine y est évidemment, mais elle avance masquée. Elle ne montre pas l’étendue de ses avancées, occupant la galerie dans un jeu immature avec Donald Trump, un jeu qui l’arrange.
C’est l’effet Joule, comme disent les physiciens, qui explique ce qui se passe ici, et son risque : il faut l’expliquer, pour le réduire. Une part du mouvement, de la croissance, se perd en chaleur. Chaleur des manifs, grèves, blocages, fatigue des réformes, montée des « à quoi bon » et des « encore deux ans », baisse de la cote de Macron pour demander une pause. Croître plus, c’est pour réformer plus.

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