Interview d’Hélène Pichon :Condamner un prêtre, un évêque, un cardinal n’apporte aucune réparation
Le Pape a défroqué à point nommé samedi l’ex-cardinal américain Theodore McCarrick, 88 ans, accusé d’abus sexuels il y a près d’un demi-siècle. Une première historique pour « un prince de l’Église ». Ne seriez-vous pas en train de condamner l’Église catholique aussi malgré le travail que ce Pape fait depuis son arrivée à la tête du Vatican ?
Je suis persuadée qu’ils sauront trouver une issue en appliquant des changements de forme (comme cette décision concernant l’ex-cardinal McCarrick le souligne) mais aussi de fond : repenser les pratiques ecclésiastiques
J’ai accueilli cette nouvelle de manière positive car elle signifie qu’un vent de changement et de réforme est bel et bien entrain de souffler sur le Vatican. Et c’est une bonne chose. J’espère qu’au-delà de cette éviction, l’Église continuera son début d’introspection et saura appliquer des changements à la hauteur des espérances d’une grande partie de la communauté catholique. Mon propos ne saurait mettre tout le monde sur un pied d’égalité ou pour le dire autrement « mettre tout le monde dans le même panier » : il y a des acteurs ecclésiastiques qui ont compris l’urgence de la situation, que les actes de pédophilie entachent l’institution et rejaillissent sur la foi. Je suis persuadée qu’ils sauront trouver une issue en appliquant des changements de forme (comme cette décision concernant l’ex-cardinal McCarrick le souligne) mais aussi de fond : repenser les pratiques ecclésiastiques, donner une vraie place aux femmes dans le leadership religieux et moderniser une institution pour l’adapter à des sociétés qui changent, des sociétés du 21ème siècle. Une fois encore il ne s’agit pas de condamner l’Institution ou ses représentants : il s’agit de les LIBERER. Précisément il importe de sortir du jugement pour entrer dans la Compassion pour le genre humain. Cette chasse aux coupables n’est absolument pas satisfaisante. Car elle est une étape, certes nécessaire mais qui ne résout pas le problème de fond. Lorsque McCarrick ou d’autres sont mis hors d’état de nuire, on traite les conséquences du mal, mais on ne traite pas la racine du problème : sa cause. Les « coupables » d’une certaine manière eux-mêmes sont des victimes d’un « système » qui a broyé leur humanité au point d’en faire des êtres si profondément déséquilibrés et frustrés, que leur sexualité a basculé dans la subversion et la perversion, car elle ne pouvait s’exprimer dans la Lumière et la transparence, en conscience et dans le respect de soi et d’autrui.
Dans une interview accordée à Opinion internationale, vous dites « l’Église catholique doit faire sa révolution sexuelle ». Qu’attendez-vous pas « révolution sexuelle » au sein de l’Église catholique ?
l’interdiction de la possibilité du mariage des prêtres, décision humaine totalement historique et politique
Cette formulation est volontairement percutante car elle appelle à une réflexion globale à porter au sein de l’Église. Le lien entre pédophilie et absence des femmes au sein du Leadership religieux, pour l’instant n’est quasiment par établi dans la réflexion que mène la hiérarchie de l’Église, pourtant ce lien qui n’est a priori pas manifeste, existe : les deux sont les symptômes d’une difficulté de la part de l’Église d’expliquer, d’assimiler et d’intégrer la sexualité humaine dans la vie de son Clergé, et dans sa communauté dans son ensemble. La sexualité n’a rien d’hérétique et est bien loin des clichés réducteurs dont on l’a trop souvent accablée dans les rangs de l’Eglise catholique. La sexualité est non seulement une composante naturelle et saine de la Vie d’un être humain adulte, mais elle est aussi le lieu de l’expression de l’amour, de la Joie, de la Transcendance même. Vouloir la nier, la réduire sous silence, voire pire, la combattre, comme c’est le cas avec une pratique désuète – est une attitude qui n’est nullement inscrite dans la vision du Christ pour l’Humanité : l’interdiction de la possibilité du mariage des prêtres, décision humaine totalement historique et politique postérieure à la vie de Jésus, n’a fait qu’engendrer de graves problèmes au sein de la communauté des clercs et des laïcs. Alors oui, j’appelle à une « révolution sexuelle », c’est-à-dire à en finir avec des pensées et des pratiques d’un autre temps. Admettre que l’on ne peut pas exprimer sa relation avec Dieu si l’on est soi-même tourmenté dans son corps, cœur et esprit. Prendre conscience que si des névroses et autres troubles psychiques et psychiatriques – telles la pédophilie – ne sont pas soignées et traitées pour ce qu’ils sont, cela est à la fois malsain et dangereux pour la communauté humaine. Toutes les autres religions admettent la possibilité du mariage pour les hommes et les femmes qui consacrent leur vie à faire rayonner la Parole divine qu’ils ont reçu en héritage – quelle qu’elle soit – et nous sommes témoins que nos amis protestants, anglicans, orthodoxes, juifs, musulmans ou bouddhistes, pour ne citer que quelques-unes des familles spirituelles, ne sont pas moins exemplaires dans la vie de leur foi. La prêtrise est par excellence l’expression d’une relation privilégiée avec le Divin sur Terre, or comment exprimer la Transcendance si on n’est pas habité soi-même d’abord par tout ce qui la caractérise : La Vérité, la Paix et l’Amour fondés dans la Liberté ?
Toujours dans la même interview vous dites « J’ai pour ma part appelé à un Vatican III, pour repenser l’Église de fond en comble. »
il y a de moins en moins de fidèles dans le monde
Bien entendu. L’Église catholique est à la croisée des chemins : il y a de moins en moins de fidèles dans le monde, notre Eglise est souvent « abandonnée » au profit d’autres Eglises, notamment évangélistes, il y a par contre de plus en plus de révélations de scandales absolument abominables en son sein et fait pourtant étonnant, jusqu’à très récemment, aucune sérieuse remise en question et volonté de traiter le mal à la racine, de remonter à la cause très profonde du déséquilibre. Pourtant l’urgence est belle et bien là, il nousfaut réformer l’Église et le cadre d’un Vatican III, tout comme l’avait été en son temps Vatican II – de manière modeste – peut porter cette réforme nécessaire : autorisation de la possibilité du mariage des prêtres, accession des femmes au leadership dans la hiérarchie ecclésiastique, accueil dans la Communion des divorcés remariés, respect et accueil de la sexualité de tous les individus sans jugement aucun, et recentrage total sur la COMPASSION : toute une série de réformes majeures donc aujourd’hui plus qu’ultimement urgentes.
Que pensez-vous de la place de la pédophilie dans la société ? Pour vous la pédophile serait-elle une forme de sexualité ?
La Pédophilie d’un point de vue strictement médical est un trouble psychique, voire psychiatrique qui lorsqu’il engendre un passage à l’acte de la part d’un adulte sur un enfant est un acte criminel.
En effet rien ne peut justifier l’attouchement d’enfants ou de jeunes adultes. Absolument rien, aucune excuse ne peut être mise en avant. En revanche, on aurait tort de croire que la pédophilie est une fatalité et que rien ne pourrait être fait pour soigner les personnes qui souffrent de ce trouble, en fonction du stade de développement de cette pathologie, et prévenir et éviter les manipulations et agressions d’enfants, dont ils peuvent devenir les auteurs. Comme précédemment évoqué, des prises en charges par des psychologues, psychiatres, psychanalystes existent, il nous suffit d’y avoir recours de façon sérieuse, précoce et méthodique. Ceci permettra de réduire de manière drastique les cas de pédophilie – les autres institutions religieuses ne sont d’ailleurs, fait éclairant, absolument pas signalées pour abriter en leur sein de telles légions d’auteurs d’actes pédocriminels, ou du moins dans des proportions infiniment moindres : d’où l’impérieuse nécessité de sortir du déni et de traiter toute cette souffrance à la racine et dans ses causes et non pas seulement au niveau de ses conséquences.
Du reste, il est évident que la manifestation de la pédophilie – en tant qu’événement traumatisant pour les victimes – n’a pas sa place dans nos sociétés et doit être éradiquée. Seulement la solution envisagée – quand elle est envisagée – est jusqu’à présent la répression. Une fois encore la répression est une action en aval du problème, quand le mal est fait : il est urgent de s’attaquer en amont aux causes du mal, sans quoi on ne pourra jamais traiter le problème de fond.
La vie intime de la victime s’en trouve brisée à tout jamais
Pour conclure, condamner un prêtre, un évêque, un cardinal ou tout être pédocriminel, de toutes les manières, n’apporte aucune réparation, une fois que l’acte d’agression a eu lieu, à leurs victimes passées : La vie intime de la victime s’en trouve brisée à tout jamais : parfois conduisant cette victime même jusqu’au suicide.
Nous rendrons un immense service aux victimes actuelles et passées en évitant qu’il y en ait d’autres à l’avenir.
Pour cela Réformons l’Église en profondeur, réalisons sa révolution sexuelle !
Cédric Leboussi
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