Président du Parlement, David Sassoli, devant le Conseil européen
Monsieur le Président du Conseil européen,
Monsieur le Président de la Commission,
Mesdames et messieurs les chefs d’État et de gouvernement,
C’est la première fois que j’ai le plaisir de m’exprimer en introduction de la réunion du Conseil européen. C’est pour moi un honneur que de m’adresser à vous au nom du Parlement.
Nous nous trouvons au début d’une législature issue des élections de fin mai, au cours desquelles, pour la première fois depuis de nombreuses années, la tendance de la participation populaire s’est inversée.
C’est un fait essentiel, qui montre que l’opinion publique européenne a bien compris l’importance de l’enjeu à un moment fondamental du processus d’intégration européenne.
Nos citoyens ont voté massivement pour des partis qui, bien qu’ayant des sensibilités politiques différentes, se reconnaissent dans les grands principes du projet européen.
Nous n’avons pas assisté, comme beaucoup le prédisaient, à un essor des forces populistes et nationalistes. Ce résultat ne doit toutefois pas nous induire en erreur ou nous faire baisser notre garde: les citoyens européens n’ont pas demandé que les choses continuent tout court; ils ont clairement appelé à une Europe nouvelle, plus proche de leurs exigences, plus ferme dans sa défense de l’état de droit, plus attentive aux droits sociaux, plus efficiente et transparente dans son processus de décision.
Une Europe plus participative est nécessaire.
Le vote des citoyens a permis de former un nouveau Parlement européen dont les caractéristiques sont très différentes du passé. Les rapports de force entre les groupes politiques se sont modifiés, et aucun d’entre eux ne peut considérer qu’il se suffit à lui-même.
Mais il ne s’agit pas d’un frein, comme on pourrait le croire à première vue. Aujourd’hui, au sein du Parlement européen, nous avons véritablement la possibilité de renforcer le niveau de conscience des forces pro-européennes dans leur recherche de convergences possibles pour répondre aux demandes de changement.
Le Parlement n’est pas un poids ni un dysfonctionnement du processus de prise de décision: il est le fondement de la légitimité du système démocratique européen.
La présente législature a connu des débuts très compliqués. Bien qu’elle soit légitime au regard des traités, la volonté du Conseil européen de ne pas tenir compte des Spitzenkandidaten a été pour le Parlement européen une blessure dont il faudra guérir.
C’est pourquoi nous avons fermement demandé que soit convoquée une Conférence sur les instruments de la démocratie en Europe.
À l’heure actuelle, les auditions sont encore en cours et le vote sur la nouvelle Commission, présidée par Mme Von der Leyen, est attendu en novembre. Ce vote survient avec environ un mois de retard, ce qui ne peut être reproché au Parlement: il a rempli son rôle, et continuera de le faire, avec beaucoup d’attention, dans le plein respect des compétences que lui confèrent les traités.
Je veux le dire clairement aujourd’hui devant vous: comme il l’a montré durant ses premiers mois, le Parlement européen compte s’affirmer en tant qu’acteur du processus de prise de décisions européen. Il le fera assurément de manière constructive, en travaillant main dans la main avec le Conseil et la Commission, mais il revendiquera aussi son rôle et ses prérogatives.
Cadre financier pluriannuel (CFP)
La présidente Von der Leyen a été élue à Strasbourg en juillet dernier sur la base d’un programme très ambitieux. Ce programme ne pourra être réalisé que si ses engagements politiques sont accompagnés de ressources adéquates.
Le Parlement européen a établi très tôt, dès novembre 2018, ses ambitions pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027 et est depuis lors prêt à négocier.
Notre position, que nous avons réaffirmée la semaine dernière, est fondée sur la condition que la décision sur les recettes et les dépenses fasse partie d’un «paquet unique».
En ce qui concerne les recettes, il est nécessaire de mettre en place un ensemble de nouvelles ressources propres qui correspondent mieux aux principales priorités politiques de l’Union et qui encouragent les progrès dans ces domaines. Nous œuvrerons en faveur d’un budget transparent et considérons que le moment est venu de mettre fin au système des rabais.
Pour ce qui est des dépenses, le Parlement européen considère qu’il est essentiel de favoriser les programmes les plus performants – par exemple dans les secteurs de la jeunesse, de la recherche et de l’innovation, de l’environnement et de la transition climatique, des infrastructures, des PME, de la transition numérique, et des droits sociaux – tout en conservant inchangés en valeurs réelles les engagements financiers pour les politiques traditionnelles de l’Union – en particulier la cohésion, l’agriculture et la pêche.
Il conviendra de garantir des ressources suffisantes pour les nouveaux défis, tels que la migration, l’action extérieure et la défense. Nous devons en outre donner une réponse aux privations et aux difficultés économiques de nombreux citoyens. C’est pourquoi nous sommes convaincus qu’il est nécessaire de renforcer le modèle social européen.
Le revenu minimum européen, l’assurance chômage européenne, les mesures de lutte contre la pauvreté infantile, la garantie pour la jeunesse et le fonds d’aide aux plus démunis sont des mesures qui doivent être financées de manière suffisante.
La lutte contre le changement climatique doit être intégrée à toutes les politiques de l’Union. Nous attendons donc de connaître la proposition de la Commission sur le pacte vert européen.
Pour toutes ces raisons, un budget ambitieux, établi à 1,3 % du revenu national brut, est nécessaire. Ce montant est le résultat d’une minutieuse évaluation ascendante des besoins de financement pour les programmes et les politiques de l’Union.
Par ailleurs, quel gouvernement européen pourrait supporter un échec des engagements pris par la présidente von der Leyen?
Un bilan ambitieux est nécessaire pour faire grandir l’Europe.
Pour la faire grandir également dans le respect de nos valeurs. C’est pourquoi il serait utile de créer un nouveau mécanisme de protection du budget, qui pénalise ceux qui ne respectent pas les principes de l’état de droit sans affecter les paiements vers les bénéficiaires finaux ou ceux qui reçoivent des financements.
Un accord rapide sur le cadre financier pluriannuel et sur les ressources propres permettrait de conclure les négociations sur les programmes sectoriels et d’éviter les retards qui ont entravé la mise en œuvre rapide des cadres financiers précédents.
Je souhaite que les négociations avec le Conseil s’ouvrent au plus vite et nous nous tenons prêts à adopter une approche constructive, mais restons déterminés à rejeter toute proposition qui ne respecte pas les prérogatives parlementaires ou ne tienne pas dûment compte de ses positions.
CHANGEMENT CLIMATIQUE
Une lutte efficace contre le changement climatique est une question très présente dans les réflexions du Parlement européen. Nous sommes très soucieux de permettre à l’Union européenne d’assumer un rôle de leader mondial dans la protection de la planète grâce à des politiques de développement durable. Nous saluons les suggestions de la présidente von der Leyen, qui vont dans le sens des positions exprimées par le Parlement.
Au printemps dernier, nous avons réclamé un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. Malheureusement, l’Union européenne n’a été en mesure de le faire. Nous reconnaissons toutefois que des progrès ont été réalisés, particulièrement en ce qui concerne les financements et les engagements du secteur privé.
Nous invitons les États membres qui ne l’ont pas encore fait à augmenter leur contribution au Fonds vert pour le climat et à soutenir la création d’une Banque européenne du climat.
Ces politiques impliquent de profonds changements pour nos sociétés et nos économies, c’est pourquoi il convient d’adopter un plan d’investissement adéquat et de financer la transition écologique de façon équitable. Il s’agit d’un choix stratégique qui doit être considéré comme une possibilité de développer une industrie innovante et de créer des emplois.
Le pacte vert ne pourra toutefois être une réussite qu’avec des ressources adéquates, à même d’assurer une transition écologique équitable.
BREXIT
Je me réjouis qu’un accord ait pu être atteint avec le Royaume-Uni. Je remercie sincèrement Michel Barnier, négociateur en chef, pour son travail et le résultat qu’il a obtenu.
Le Parlement européen va examiner avec la plus grande attention, dans les prochaines heures, les termes et le contenu de l’accord, afin de vérifier sa conformité avec les intérêts de l’Union européenne et de ses citoyens. Le Parlement agira avec le sens des responsabilités qui est le sien.
ÉLARGISSEMENT
Nous avons besoin d’une Europe qui soit de plus en plus présente dans le monde. Pour ce faire, nous devons investir dans notre unité et notre crédibilité. Lorsque nous demandons à nos voisins des efforts colossaux de changement et que ces efforts sont faits, il est de notre devoir d’être cohérents. C’est pourquoi nous estimons qu’il importe d’ouvrir maintenant les négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord et l’Albanie. L’avis de la Commission européenne est favorable et les citoyens de ces pays ne comprendraient pas un quelconque report.
Il va de soi qu’il reste encore beaucoup à faire et que les négociations d’adhésion sont un long processus. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, ce n’est pas un chèque en blanc, mais cela peut aussi être considéré comme une assurance pour l’Union européenne. La stabilité des Balkans occidentaux est également essentielle pour notre sécurité et pour éviter que des ingérences extérieures ne compromettent leur avenir et le nôtre.
TURQUIE
Cela fait maintenant plusieurs jours que nos opinions publiques observent avec colère et angoisse les événements qui se déroulent non loin de nos frontières. La population kurde du nord-est de la Syrie, qui a combattu avec courage contre les terroristes de l’État islamique, est maintenant la cible des agressions d’un pays membre de l’OTAN.
Il ne fait pas de doute que nos citoyens sont fortement reconnaissants à ces communautés: la lutte contre Daech a d’ailleurs été fondamentale pour notre sécurité.
C’est pourquoi nous condamnons fermement et sans réserve l’action militaire de la Turquie dans le nord-est de la Syrie, qui constitue une violation grave du droit international et compromet la stabilité et la sécurité de la région dans son ensemble, cause la souffrance d’une population déjà touchée par la guerre et entrave l’accès à l’aide humanitaire.
Cette action militaire doit être arrêtée immédiatement.
Nous saluons la décision de coordonner les mesures nationales d’embargo sur les ventes futures d’armes à la Turquie, mais nous estimons que ce premier pas n’est pas suffisant.
Nous avons le devoir d’envoyer un signal d’unité, en faisant valoir un embargo commun au niveau de l’Union non seulement pour les livraisons futures d’armes, mais également pour les commandes en cours.
La décision de l’Union de sanctionner la Turquie pour le fait grave que sont les forages à Chypre est louable, mais il est plus difficile de comprendre pourquoi elle n’en fait pas autant sur le sujet de l’agression militaire dans le nord-est de la Syrie.
Nous devons mettre sur la table toute possibilité de sanctions économiques contre le gouvernement turc; celles-ci ne doivent concerner que des personnes physiques et morales et non la société civile déjà éprouvée par la crise économique.
Dans la région du Moyen-Orient, l’Union européenne jouit d’une crédibilité et d’un capital diplomatique qui lui permettent d’engager un dialogue avec les principaux acteurs.
Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour mettre fin à cet acte de guerre et lancer une initiative qui fera l’objet d’un débat au sein de l’OTAN et qui sera portée devant le Conseil de sécurité des Nations Unies. L’Union européenne démontrerait ainsi qu’elle agit pour la paix en parlant d’une seule voix dans les instances multilatérales.
Dans ces conditions, le Parlement européen, comme il l’a déjà fait par le passé, demande de nouveau la suspension des négociations d’adhésion avec la Turquie.
Nous jugeons inacceptable et rejetons avec vigueur toute tentative des autorités turques de faire un lien entre l’action militaire dans le nord-est de la Syrie et le sort des réfugiés syriens sur le territoire turc.
Il est utile de répéter à nos citoyens que l’Union européenne ne finance pas les autorités turques, mais contribue directement à aider et à améliorer les conditions de vie des réfugiés grâce aux activités des agences des Nations unies et des organisations humanitaires. Les êtres humains en difficulté ne doivent jamais être utilisés comme monnaie d’échange pour justifier des violations inacceptables du droit international.
MIGRATION
Au sujet des migrations, nous saluons la déclaration de Malte concernant la gestion partagée des débarquements comme étant un premier pas positif. Nous restons toutefois convaincus que la solution ne peut être établie que dans le cadre commun de l’Union européenne, sur la base de la réforme du règlement de Dublin, au sujet de laquelle, comme vous le savez, le Parlement s’est exprimé depuis longtemps.
Face aux crises qui se jouent à nos portes, l’Union européenne a le devoir de garantir la protection des personnes qui y ont droit, y compris par la création de véritables corridors humanitaires européens qui, sur une base volontaire et avec l’aide des agences compétentes en matière d’aide humanitaire, permettront à ceux qui en ont besoin d’arriver en Europe sans devoir s’en remettre aux trafiquants d’êtres humains.
Mesdames et Messieurs du Conseil, le dialogue avec vous sera fondamental pour le Parlement. Nous avons les valeurs qu’il faut pour faire face intelligemment aux événements de notre époque sans être surpris, et si nous sommes à l’écoute des mêmes longueurs d’ondes, je suis sûr que cette législature sera un succès.
Je vous remercie de votre attention