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La curieuse histoire de l’Arc de triomphe

Le 1er décembre 2018, dans un air saturé de gaz lacrymogène, l’Arc de Triomphe a été pris pour cible par des militants d’extrême gauche issus d’une manifestation des «gilets jaunes». À l’intérieur, matériel et mobilier, statues anciennes et moulages ont été saccagés ; en particulier la sculpture de François Rude, «Le départ des volontaires de 1792», autrement appelée «La Marseillaise», qui représente notre Marianne républicaine. Ce vandalisme visait directement, à travers ce monument commandé par Napoléon Bonaparte pour célébrer les victoires de l’armée impériale, un symbole «arrogant de l’impérialisme français».

On apprend désormais que l’artiste plasticien Christo va recouvrir d’une gigantesque toile l’Arc de Triomphe en avril prochain. Un voile plissé de couleur argent bleuté de 25 000 mètres carrés, ainsi que 7 000 mètres de corde rouge, recouvriront entièrement le bâtiment symbolique de la nation. «C’est une structure qui est magnifique pour être réinterprétée comme objet d’art», explique Christo dans une interview accordée à France Inter. «Ce sera comme un objet vivant qui va bouger dans le vent, refléter la lumière et avec ces plis qui vont bouger, la surface du monument va devenir sensuelle, les gens auront envie de toucher l’Arc de Triomphe.» Avec le tissu comme matière première de prédilection, Christo s’est fait connaître avec des installations textiles qui transforment temporairement un paysage urbain comme l’emballage du Reichstag de Berlin ou du Pont Neuf à Paris.

En l’espace de quelques mois, le monument parisien subira donc deux outrages: l’un au nom d’une idéologie dressée contre le régime républicain, visant un lieu de mémoire national, tandis que l’empaquetage de Christo relève, lui, d’une démarche teintée de nihilisme: œuvre éphémère nous dit-on. C’est en effet un des aspects essentiels du travail de Christo: œuvre passagère, œuvre nomade… Un tel art est événementiel: lié à un lieu, à un moment, au provisoire. Dont il ne restera rien, qui ne renvoie à rien d’autre qu’à lui-même, qui est-là, sans plus, dans sa parfaite inanité.

L’art est dans l’emballage : c’est un passage de la forme à l’informe.

Un monument a habituellement comme fonction de célébrer un souvenir, de rappeler un événement historique ; aussi, lorsqu’un artiste, par le seul truchement de sa notoriété, propose de le recouvrir ne serait-ce que temporairement, la réaction est généralement négative. Ce fut le cas pour l’empaquetage du Reichstag, le Parlement allemand. Or l’événement, qui eut lieu du 17 juin au 7 juillet 1995, attira tout de même cinq millions de curieux alléchés par le côté spectaculaire des 100 000 m² de toile blanche de ce qui était devenu une attraction touristique.

En choisissant le monument parisien de la Place de l’Étoile, l’artiste entend encore une fois occuper délibérément l’espace public pour «réinventer la monumentalité». C’est une des caractéristiques de certains courants contemporains: un nouveau rapport à l’exposition et au public. On quitte l’espace privé des galeries avec le souci de phagocyter des lieux chargés de mémoire comme le Pont Neuf en 1985… pour mieux les subvertir.

Le choix du terme «emballage» n’est pas innocent. En effet, le mot emballer, qui traduit pourtant le verbe «to wrap», cité dans la plupart des titres de ses projets, agace l’artiste. Il lui préfère «empaqueter.» Car le terme «emballage» semble encore trop sophistiqué.

Empaqueter relève de la trivialité utilitaire et commerciale, dans le droit fil du mouvement Dada, pour qui tout matériau peut devenir le support d’une expression artistique, débouchant sur une esthétique du déchet, du rebut. Avec finalement le souci d’isoler, de dissimuler dans un habillage dérisoire l’objet de la fierté nationale. Le tissu posé intercepte le regard, s’interpose comme un monstrueux parasite, dans une négation de l’objet indifférencié, instillant la conviction ultime que l’emballage équivaut au contenu. Que l’art est dans l’emballage. Ces toiles bleutées vont recouvrir l’édifice, abolissant la structure, superposant une matière molle, soumise aux souffles d’airs urbains: passage de la forme à l’informe.

«Toute une partie de l’art contemporain n’a pas d’autre objet que lui-même» disait Bourdieu. Oui, hélas!

Ayons une pensée émue pour le héros de la Grande Guerre, qui assiste impuissant à cette comédie de mauvais goût.
Sandrine Tarn

Comments

  • Anonyme
    septembre 17, 2021

    5

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