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Villages abandonnés en France : le mal des campagnes

« La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur d’un mortel ». Comme Baudelaire, qui n’a jamais eu le cœur serré en traversant une bourgade, rideaux de fer baissés, devantures taguées, services publics et commerces fermés … Nos campagnes françaises sont-elles menacées d’un irréversible déclin ?

La première difficulté réside dans les caricatures, les préjugés. Entre « le bonheur est dans le pré » et « La Terre » de Zola, il y a de la place pour une infinie variété de situations. Avec des territoires ruraux qui vont très bien. D’autres qui sont en grande difficulté. Quand on regarde de plus près ces dernières, on constate bien souvent que les villages qui se situent autour se portent plutôt bien. Ils attirent les ménages de classe moyenne et les commerces, les emplois et les ressources fiscales qui vont avec. En fait, ce que montre un certain nombre de travaux, c’est que beaucoup de villes petites ou moyennes en crise doivent leurs difficultés à la concurrence qu’exercent les campagnes alentour. 

Un rapport pour le Sénat a été rédigé en 2020 par un groupe de travail sur « Les collectivités territoriales, leviers de développement des territoires ruraux » par Bernard DELCROS et Jean-François HUSSON, qui souligne que la ruralité a trop souvent été abordée en terme négatif, sous l’angle de la déprise ou de la désertification mais que la réalité est bien différente : d’un point de vue démographique l’exode rural s’est inversé. Le Covid a accentué un phénomène dont les origines remontent aux années 1960, à savoir un retour à la campagne pour de nombreux citadins. Les spécialistes appellent ce phénomène la périurbanisation. Et si elle est souvent assimilée à l’étalement urbain, au pavillon, à la voiture… Ce n’est qu’une partie de la réalité. L’autre partie témoigne du souhait des ménages de venir vivre à la campagne.

Les représentants du monde rural demandent la mise en place d’une politique spécifique à destination des campagnes, à l’image de celles qui existent dans les domaines de la politique de la ville et du soutien aux quartiers en difficultés. C’est que qui a été initié depuis décembre 2017 par le plan « Action cœur de ville » pour revitaliser les villes moyennes dans tout le territoire métropolitain et ultramarin. En tout 222 communes sont concernées par ce plan d’investissement public d’ampleur : Aurillac, Blois, Rochefort, Bayonne, Basse-Terre ou encore Grasse….

Quelques actions concrètes engagées par exemple à La Roche-sur-Yon en faveur de son centre-ville : requalification des halles, de ses espaces publics et de ses équipements commerciaux, aménagement de la place de la Vendée, aménagement du nouvel hôtel de Ville , démolition et dépollution d’un îlot insalubre pour la création d’un complexe immobilier et commercial , rénovation de l’église Saint-Louis , modernisation du parking Clemenceau, déploiement de la fibre optique et démarche d’une « smart city », définition d’un parcours lumière pour le patrimoine , déploiement de la vidéoprotection

Un bilan opérationnel encourageant : on peut encore citer la rénovation des Halles à Roanne, Dax ou Limoges, le retour du cinéma en centre-ville à Lunéville, Dieppe ou Denain, la valorisation des berges de rivière ou de fleuve à Moulins ou Libourne, la réhabilitation de bâtiments historiques la reconversion d’une friche industrielle, la création d’une résidence service senior, d’un nouvel hôtel de ville, d’une maison de santé et de commerces à Bagnols-sur-Cèze…  A Nancy plusieurs projets concrets et emblématiques sont sortis de terre comme le cinéma Cinélun en centre-ville ou bien la restructuration du secteur de la gare avec de grands parkings gratuits. La halle du marché couvert du Puy-en-Velay a été réhabilitée, un centre culturel s’est ouvert à Montbéliard ou encore une friche commerciale a été reconvertie en école de maroquinerie à Châteauroux. 

Les habitants changent leurs habitudes : Carole habite à Lunéville mais travaille à Nancy. Pourtant, c’est bien ici en centre-ville qu’elle vient faire ses achats : « Ça a beaucoup changé, c’est plus agréable et moins tristounet. J’ai plus le temps de me balader« . Ces derniers mois, quatre commerces alimentaires ont ouvert en centre-ville. Selon la mairie, il y autant de boutiques aujourd’hui qu’il y a 10 ans. Cela va dans le bon sens pour Véronique qui tient une épicerie fine : « dans la rue du général Leclerc, il y avait plus de cellules vides, elles se remplissent. La ville est bien fleurie, bien décorée pour Noël. Les rues sont refaites, les trottoirs refaits »

L’usine de poupées GéGé à Montbrison dans la Loire, fermée depuis 40 ans. 6000 mètres à l’abandon en plein centre. Le gouvernement a créé un fonds spécifique pour viabiliser de nouveaux projets sur les sites de ce type, portés par des promoteurs privés. C’est un vrai succès.

Tous ces exemples indiquent que le problème n’est pas tant lié à la ruralité, qu’aux services, aux facilités qu’on y trouve ou pas. Bien souvent, il suffit d’un déclic pour que s’engage un cercle vertueux. Ce déclic passe par la protection de l’environnement, le soutien au petit commerce, l’emploi et la formation, la présence des services publics et l’accès à des services essentiels comme la santé.

Par exemple les déserts médicaux, devenus les symboles de « l’abandon » des populations des territoires ruraux les plus fragiles. Les médecins ne sont que 238 pour 100 000 habitants dans l’Ain ou 264 en Haute-Saône. Dans certains départements, la moyenne cache d’importantes disparités : si l’Ardèche se situe juste au-dessus du seuil de 300 médecins, ce n’est pas le cas de la montagne ardéchoise, au contact de la Lozère et de la Haute-Loire. Dans nos campagnes en souffrance, la question de l’accès aux soins est souvent pointée comme le révélateur des activités et services déficients. La téléconsultation permet dans bien des cas de contourner des obstacles logistiques pouvant concerner tous les patients (déplacements, délais décourageants, difficultés à suivre un traitement) mais qui sont accentués dans les régions sous-dotées en médecins. La télésurveillance contribue aussi au meilleur suivi des maladies chroniques et affections de longue durée, lorsqu’il est difficile pour le patient de se déplacer.

La question des zones rurales et de leur déclin continue de hanter l’imaginaire collectif. Les campagnes françaises ne sont plus en grande partie un repoussoir : le bonheur est vraiment dans le pré !

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