La renonciation au pétrole et au gaz russes serait un choc pour le monde entier
Il ne reste plus en Occident qu’un dernier moyen sérieux pour faire pression sur la Russie, c’est de renoncer aux achats d’hydrocarbures russes. Cette idée est activement discutée aux États-Unis et en Europe. Dans quelle mesure un tel scénario est-il réaliste, quelle seraient ses conséquences pour la Russie, et pourquoi, quoi qu’il arrive, cela signifierait un immense choc énergétique pour le reste du monde?
Les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni font activement pression sur l’UE pour qu’elle se décide à cesser les achats de pétrole et de gaz russes. Cependant, ni l’Europe ni la Russie n’a besoin d’un tel échange de sanctions.
Un embargo commercial sur le pétrole et le gaz serait possible seulement en cas d’escalade du conflit armé en Ukraine si les forces de l’Otan s’y ingéraient, estiment les experts.
Dans ce cas, la Russie devrait réduire la production de pétrole et de gaz. Le pays ne dispose pas de grands réservoirs. Une partie du pétrole pourrait être stockée directement dans les pétroliers ainsi que dans des citernes ferroviaires. Mais ce serait une solution temporaire. En cas d’une longue renonciation au pétrole russe du côté de l’Europe, il serait nécessaire de réduire la production, comme ce fut le cas pendant la pandémie au printemps 2020.
La Russie est le troisième producteur mondial de pétrole et son plus grand exportateur. Les exportations pétrolières russes avoisinent 5 millions de barils par jour, soit près de 12% du commerce mondial. Les exportations russes de produits pétroliers s’élèvent à 2,85 millions de barils par jour, environ 15% du commerce mondial.
Approximativement 60% des exportations du pétrole russe partent en Europe, et 20% en Chine. La Russie pourrait certainement rediriger une partie du pétrole du marché européen fermé vers le marché asiatique, à bord de pétroliers par la mer. Il serait impossible techniquement d’envoyer immédiatement tout le pétrole et les produits pétroliers en Asie. La construction d’une nouvelle infrastructure et de nouveaux itinéraires demandera du temps et de l’argent.
Il ne serait pas difficile de rediriger le gaz naturel liquéfié (GNL) russe d’Europe en Asie. Ce gaz était initialement destiné aux marchés asiatiques, et c’est là qu’il est acheminé la majeure partie de l’année. Le GNL est envoyé en Europe depuis Yamal principalement en hiver, quand la situation glacière sur la Route maritime du Nord est difficile et la vitesse de passage des cargos diminue.
Mais dans le cas du gaz de gazoduc, la situation se complique. L’an dernier, l’Europe a acheté 15 milliards de mètres cubes de GNL russe. Alors que les livraisons via gazoduc par Gazprom à l’Europe sont bien plus élevées – 140 milliards de mètres cubes (sans tenir compte de la Turquie) en 2021. 155 milliards de mètres cubes au total, soit près de 45% des importations totales de gaz en Europe et environ 40% de la consommation totale.
Gazprom devrait geler la production en cas de suspension de ces livraisons. Parce qu’il est physiquement impossible de réorienter 140 milliards de mètres cubes de gaz livrés en Europe via un réseau ramifié de gazoducs. Il n’existe pas d’infrastructure alternative.
La réduction de la production et de l’exportation de gaz et de pétrole serait un coup dur pour la production locale et les emplois ainsi que pour les recettes du budget russe. Les ventes de pétrole et de gaz représentent presque la moitié des revenus budgétaires.
Certes, la Russie commencerait à s’adapter aux nouvelles conditions et trouvera de nouveaux marchés pour écouler ses ressources, cette fois dans la région asiatique. Mais il faudrait se serrer la ceinture pendant la période de transition.
Par ailleurs, l’embargo commercial sur le pétrole et le gaz porterait atteinte non seulement à la Russie, mais également à l’Europe elle-même. Et qui plus est au monde entier.
La flambée sans précédent des prix du gaz en Europe et du pétrole sur le marché mondial reflète les craintes d’une nouvelle restructuration du monde qui suivront le franchissement de ce seuil. Les prix du gaz ont déjà pratiquement doublé depuis le début de la semaine, dépassant 3.600 dollars les mille mètres cubes, et continuent d’augmenter.
La renonciation éventuelle au gaz russe plongerait l’UE dans une crise économique et énergétique. Parce que personne dans le monde n’est capable actuellement d’augmenter significativement la production de gaz, qui plus est de 140 milliards de mètres cubes. Tout au long de 2021 nous assistions à un déficit global de gaz, et la cessation des livraisons de Russie provoquerait un tel déficit que les consommateurs asiatiques et européens se battraient sérieusement pour lui. Il est même difficile d’imaginer les conséquences d’une telle guerre tarifaire.
La semaine dernière, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a présenté un grand plan de renonciation au gaz russe en UE. Mais il ne s’agit pas d’une renonciation totale au gaz russe. Le premier plan, lent et cher, suppose la diminution d’un tiers des importants du gaz russe. Le second plan, plus rapide, prévoit une division par deux (réduction de 80 milliards de mètres cubes). Les deux plans paraissent bien sur le papier, mais ne sont pas réalistes. Il suffit de dire que le second plan prévoit un retour de l’UE au charbon et aux produits pétroliers au lieu du gaz russe. Or la Russie est également le plus grand fournisseur de charbon en Europe. Et où l’UE trouvera-t-elle le pétrole pour le raffiner? L’AIE n’aborde tout simplement pas ces problèmes.
La Banque mondiale s’est exprimée plus clairement: le gaz russe est irremplaçable pour l’instant. Toutefois, la BM espère que d’ici cinq ans tout changera.
La pénurie de gaz et de pétrole et la montée en flèche des prix à des niveaux inimaginables sont dangereuses pour toute l’économie mondiale. Les prix mondiaux des matières premières ont déjà atteint leur record depuis 2008. Même les contrats à terme de blé à la bourse de Chicago ont déjà grimpé jusqu’à 12 dollars le boisseau, le prix du soja croît. Les prix du charbon, de l’aluminium, de la platine, du cuivre et du palladium ont considérablement augmenté la semaine dernière.
En cas d’un véritable embargo commercial sur les matières premières russes, le préjudice pour l’économie mondiale serait bien plus grave. La logistique habituelle s’effondrerait, la pénurie de matières premières durerait des années, l’inflation exploserait à cause des prix exorbitants des matières premières. Le déficit des semi-conducteurs ressenti par le monde après la pandémie serait encore plus fort. Comme l’indique l’agence de notation Moody’s, la Russie et l’Ukraine occupent une place conséquente (25%) dans la production mondiale de néon, qui est un élément fondamental dans la production de puces électroniques. Compte tenu de la gravité des conséquences, il reste à espérer que les choses ne dégénéreront pas jusqu’à un embargo sur le pétrole et le gaz en provenance de Russie.
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