Image Alt

Vudailleurs.com

L’Allemagne se positionne comme leader de l’UE Par Olivier Renault

Le 29 août, le chancelier allemand Olaf Scholz a prononcé un discours à Prague qui a été considéré par les commentateurs européens comme une déclaration officielle à la candidature de Berlin au rôle de leader stratégique de l’UE. La volonté de l’Allemagne de devenir un acteur géopolitique à travers l’UE se montre en plein jour alors que cette volonté politique avançait en mode camouflage sur la scène politique européenne et internationale.

Les habitués des conférences de presse au Bundestag, à la chancellerie allemande, au Parlement européen ont, cependant, pu durant les dernières années assister à la montée de cette volonté politique allemande de diriger, reléguant la France à un rang subalterne. Ursula von der Leyen, l’ex-ministre fédérale du Travail et des Affaires sociales et de la Défense, qui est actuellement la présidente de la Commission européenne harangue son pays à prendre le leadership et profite du conflit en Ukraine pour faire avancer les pions stratégiques de son pays.

Le chancelier allemand, Olaf Scholz, a prononcé un discours à l’Université Charles dans la capitale de la République tchèque, pays qui assure la présidence de l’UE pour ces six mois. Il a appelé l’UE à se préparer à intégrer les Balkans occidentaux, l’Ukraine, la Moldavie et, à l’avenir, la Géorgie. La volonté d’élargir l’UE est annoncée. Olaf Scholz a fait, aussi, fait savoir, pour poursuivre son expansion, que l’UE a besoin d’un certain nombre de changements fondamentaux. La réforme du Parlement européen est prévue, ainsi que le rejet du principe de l’unanimité dans la prise de décision dans le domaine des affaires étrangères et de la politique fiscale de l’UE, tout cela sur le slogan pour mieux « protéger la démocratie » et les valeurs de l’UE. 

Le point clé du discours d’Olaf Scholz est la thèse selon laquelle l’UE doit se transformer en une union « géopolitique» capable d’actions « décisives » «à l’échelle mondiale». A cet égard, le chancelier allemand a proposé de former une «force militaire de réaction rapide européenne» d’ici 2025, que l’Allemagne entend diriger. Le chef du gouvernement allemand a également appelé à la création d’un système unifié de défense aérienne en Europe.

Le 31 août, dans le développement des idées exprimées par Olaf Scholz, la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a présenté un «plan pour construire les relations futures entre l’Union européenne et la Russie» qui comprend quatre points. Nous parlons de « renforcer la défense nationale, de soutenir les adversaires de la Russie, de soutenir l’Ukraine et de travailler avec des partenaires mondiaux dans le domaine de la protection du droit international ».

Avec la France, elle prône une réorientation de la politique UE-Russie. Les propositions allemandes ont été envoyées pour être discutées entre les participants de la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l’UE qui s’est tenue à Prague les 30 et 31 août.

Que pourraient signifier les dernières déclarations de Berlin ? Depuis son arrivée au pouvoir en décembre dernier, Olaf Scholz est confronté à la nécessité de trouver une issue à l’enchevêtrement serré des contradictions qui tourmente la classe politique allemande. A l’intérieur du pays, le nouveau chancelier devrait, à la fois, continuer avec le cap initié par Angela Merkel et surmonter la stagnation provoquée par la volonté de l’ancienne chancelière allemande de maintenir le statu quo. Berlin continue de s’interroger sur les moyens d’éviter un choix définitif entre le pari sur la transformation de l’Union européenne en un pôle autonome d’influence internationale et un nouveau refroidissement des relations avec les Etats-Unis.

Pendant ce temps, l’administration Biden, avant même le conflit en Ukraine, a exigé que l’Allemagne et les autres membres de l’UE abandonnent leurs ambitions stratégiques en faveur de la « cause commune » de l’Occident. Ce n’est qu’une fois que le président Vladimir Poutine a effectivement lancé son invasion que le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz a réorienté la politique de son pays à l’égard de la Russie et annoncé un programme de dépenses pour la Bundeswehr sans précédent dans la période de l’après-guerre froide avec 100 milliards d’euros. L’objectif dit de 2 % de l’Otan sera aussi atteint « en moyenne sur plusieurs années ». 

Le voisin polonais, qui jette un œil inquiet sur la politique allemande et qui vient de réclamer des réparations concernant la Seconde Guerre mondiale, notait que sur le fond de lutte pour l’Ukraine, où se dessinent les contours d’un nouvel ordre mondial, la position de l’Allemagne reste la principale inconnue. Alors que les tensions montaient en Europe de l’Est, Olaf Scholz a même été accusé d’être prêt à échanger sans sourciller les intérêts de l’Ukraine contre de bonnes relations avec le Kremlin.

Wolfgang Ischinger, président de longue date de la Conférence de Munich sur la sécurité a tweeté: « Malheureusement, l’ambiance internationale s’est retournée contre l’Allemagne il y a longtemps. Il faut vite sortir de ce piège. Parce que si la guerre devait se terminer avec succès pour la Russie, les gens pointeraient rapidement du doigt l’Allemagne lorsqu’ils essaieraient de trouver les coupables. Les conséquences pour l’Allemagne et l’UE sont à peine imaginables !». Les intérêts stratégiques allemands et les plans à long terme pour l’avenir étaient attaqués. Berlin fait face à la crise de sécurité européenne la plus grave depuis des décennies : une crise de confiance de la part des autres pays de l’UE et l’effondrement de leur diplomatie économique traditionnelle. Il en va de l’Union européenne qui, malgré sa taille et sa puissance économique, n’a pas su se positionner comme un acteur indépendant des relations internationales, incapable de protéger et de promouvoir ses intérêts de sécurité en restant totalement dépendante de Washington. D’ailleurs, de nombreux observateurs doutent des ambitions de réarmement de l’armée allemande en peu de temps. 

La réaction initiale d’Olaf Scholz semblait non seulement décisive, mais même menaçante. Il a évoqué dans son discours de Prague «le tournant d’une époque» dans la politique européenne et mondiale. Il a exprimé la volonté de Berlin de «punir» Moscou de la manière la plus décisive et de soutenir Kiev, notamment en fournissant des armes, car l’Ukraine a des valeurs démocratiques. Cependant, les mesures pratiques de l’Allemagne ont rapidement provoqué une désillusion croissante parmi les faucons européens et américains.

L’Allemagne se retrouve coincée dans le conflit ukrainien. Olaf Scholz a appelé à un cessez-le-feu rapide en Ukraine faisant augmenter les pressions sur Berlin qui semblait se défiler dans son soutien à l’Ukraine. Les Allemands ont été accusés de manière violente, en particulier par Kiev, d’avancer à reculons dans l’envoi d’armes lourdes formellement promises à Kiev. Puis, lorsque les premières livraisons ont débuté, les reproches ont commencé à pleuvoir sur une Allemagne jetant de l’huile sur le feu.

A la suite des résultats du sommet de l’Otan de juin dernier, le Sunday Times a déclaré que la principale alliance militaire de l’Occident était divisée et que l’Allemagne faisait partie du groupe des « colombes » qui préconisaient la conclusion rapide d’un accord de trêve – même au prix de «concessions territoriales de l’Ukraine».

En juin, Olaf Scholz s’est, finalement, rendu à Kiev avec le président français, Emmanuel Macron et le Premier ministre italien, Mario Draghi, où, selon les médias occidentaux, il a fortement recommandé que les dirigeants ukrainiens reviennent à la table des négociations de paix avec la Russie. 

Au vu de ces déclarations, le discours de Prague d’ Olaf Scholz peut être interprété comme une réponse allemande à la fois aux partisans de la transformation géopolitique de l’UE et aux néo-atlantistes, convaincus qu’une UE plus forte et plus indépendante est plus dans l’intérêt de Washington face au déclin de l’hégémonie américaine. Rappelons que le 8 novembre 2019, dans son premier discours, Ursula von der Leyen a déclaré que l’UE devait également apprendre «la langue du pouvoir» et a déclaré que la Commission européenne, dirigée par elle, devrait être géopolitique. Olaf Scholz avance dans les souliers de la présidente de la Commission européenne. 

Cependant, plusieurs questions se posent. Premièrement, les Européens et les Américains sont-ils prêts à accepter des ambitions aussi flagrantes de Berlin en matière de politique étrangère ? Washington et Bruxelles ont-ils besoin du « leadership allemand »? Ou ont-ils seulement besoin d’argent et d’armes allemands ? Lorsque Olaf Scholz a lancé quelques idées sur la « centralisation » et le « renforcement » de la politique étrangère commune de l’UE en juillet dernier, de nombreux membres de l’UE n’ont pas exprimé d’enthousiasme pour cela. Berlin a exprimé sa volonté de partager le siège au Conseil de sécurité des Nations unies de la France à l’Onu et d’employer les atouts de la bombe atomique française. 

Observateur Continental rapportait que des déclarations en Allemagne font comprendre que le président français, Emmanuel Macron, est en train de livrer la clef de la force de frappe française à l’Allemagne et à l’Otan, même si ce dernier disait au début de son premier mandat refuser le retour de la France au sein de l’Otan, en vantant une Europe militaire forte.

La France va-t-elle accepter ce leadership sans broncher?

Olivier Renault

Les opinions exprimées par les analystes ne peuvent être considérées comme émanant des éditeurs du portail. Elles n’engagent que la responsabilité des auteurs

Postez un commentaire

You don't have permission to register