L’UE est confrontée à la recherche difficile d’une indépendance énergétique Par Pierre Duval
Après une canicule durant l’été, le froid a soudain enveloppé la France et l’Europe. De nombreux pays européens vont avoir des débats houleux sur la question des énergies fossiles. La Russie est traditionnellement un important fournisseur de pétrole et surtout de gaz et de charbon. Pour l’UE, se passer de ces énergies, c’est un défi herculéen. Même s’ il existe des alternatives, aucune ne donne pleinement satisfaction. Il y va de la question de la sécurité des pays d’Europe.
L’UE est totalement dépendante. Plus de 70 % de l’énergie disponible européenne est d’origine fossile. Le pétrole (36%), le gaz (22%) et le charbon (11%) dominent à eux trois les autres sources d’énergie, même si leur part dans le mix en Europe a diminué de 11 points depuis 1990, fait savoir le site Touteleurope. En raison des infrastructures nécessaires pour les échanges énergétiques, les fournisseurs sont essentiellement des pays voisins.
L’énergie nucléaire et les énergies renouvelables sont deux autres sources d’énergie en théorie porteuses d’indépendance pour les Européens. Elles sont faiblement polluantes, voire pas du tout et peuvent être produites localement sans dépendre de fournisseurs étrangers. Elles ne pèsent, cependant, que 15,5% (pour les énergies renouvelables) du mix énergétique européen et 13% (pour le nucléaire) représentant moins d’un tiers de la production totale. C’est en servant d’appui qu’elles peuvent agir pour une politique d’indépendance énergétique. Mais, elles ne peuvent actuellement en être la base énergétique.
Le conflit en Ukraine a mis en lumière la question de la dépendance européenne par rapport aux énergies fossiles produites par le pays se trouvant bombardé de sanctions massives par l’Occident. La Russie fournit près du quart des importations de pétrole de l’UE et près de la moitié des importations de gaz et de charbon. Elle est, de fait, le premier partenaire énergétique de l’UE. Les gazoducs et oléoducs russes tissent une toile sur le réseau européen à travers trois grandes voies de passage: l’Ukraine, au centre; la mer Baltique, au nord, avec les projets dit North Stream 1 et 2 à destination de l’Allemagne; et la mer Noire, au sud, à travers notamment le gazoduc Turk Stream, qui fait de la Turquie une plaque tournante énergétique vers l’Europe du Sud. La Norvège – à une échelle bien moindre – intervient comme second fournisseur de l’UE en énergies fossiles. Elle représente environ 20% des achats en gaz et 18% des achats en pétrole.
Les élites européennes réalisent que la dépendance des Européens à l’égard des énergies fossiles russes n’est pas seulement une menace pour leur souveraineté économique, mais aussi un frein à leur capacité à agir sur le terrain géopolitique. N’ayant pas les moyens matériels et politiques à sortir de cette situation, ils se sont retrouvés dans un cul-de-sac en prenant brutalement conscience des difficultés à pouvoir effacer la Russie comme fournisseur.
La recherche de fournisseurs alternatifs est un combat dur. Le pétrole russe ne constitue, certes, que 25% des importations de l’UE mais il fait quand même de Moscou son premier fournisseur et il apparaît difficile de remplacer à court terme la carte russe. Il faut réaliser que la somme des réserves de l’Agence internationale de l’énergie et des réserves inutilisées de l’OPEP – si les pays membres acceptent de les débloquer – avec la production possible de l’Iran et du Venezuela – si dans l’hypothèse d’un accord permettant de rétablir leurs relations commerciales avec l’Occident – ne représente que les trois quarts des exportations russes globales. Seulement en partie, il semble possible de les remplacer. Cependant, cela suppose des conditions politiques et économiques plutôt favorables. Le remplacement des livraisons de gaz est d’autant plus sensible. A partir de 2018, la Russie avait tendance à augmenter ses exportations de GNL pendant que la production européenne était à la baisse. L’UE s’est trouvée dans une accentuation de sa dépendance envers les exportations russes.
En adoptant des sanctions massives, l’UE a été obligée dans l’urgence de chercher des solutions de remplacement. Les alternatives au GNL russe au sein de l’UE ou bien à ses frontières sont, en réalité, assez limitées. Au sein des pays de l’UE, les Pays-Bas ou la Roumanie pourraient augmenter en théorie leur production. Ces pays font face à des difficultés politiques. L’exploitation de leurs réserves de gaz soulève des problématique sécuritaires, juridiques et écologiques.
La Norvège, l’Azerbaïdjan, l’Algérie, sont envisagés comme des solutions pour obtenir de l’énergie. Encore une fois, ces alternatives paraissent, également, limitées. Le niveau des volumes fournis et la capacité d’exportation vers l’espace européen sont limités. Ces trois pays pourraient fournir au mieux un volume supplémentaire cumulé de 10 milliards de mètres cubes. Cela représente à peine 10% du volume de gaz russe que les Européens tentent de remplacer. A noter que ce chiffre est valable dans le cas où ces trois fournisseurs apporteraient à leur maximum. Si l’achat de gaz norvégien ne devrait pas poser de difficultés, les solutions algérienne et azerbaïdjanaise paraissent plus incertaines. L’Algérie est en proie depuis plusieurs années à de sérieux troubles politiques qui menacent sa stabilité. Le pouvoir en place pourrait être tenté de fournir l’énergie en priorité à son développement intérieur au lieu de l’exporter. Pour l’Azerbaïdjan, de loin le plus gros producteur potentiel dans ce groupe des trois pays, il manque le raccord direct aux réseaux européens. Pour exporter son gaz, il faudrait passer, soit par la Russie, une solution peu envisageable ou via par la Turquie qui mettrait l’UE dans une situation de dépendance vis-à-vis d’Ankara. Les tensions actuelles entre Arméniens et Azerbaïdjanais risquent de faire sauter la lune de miel avec Bakou.
D’autres fournisseurs comme les Etats-Unis, étant en bonne position pour jouer ce rôle, peuvent intervenir. Cette possibilité ne paraît pas être optimale pour les Européens. Le transport de GNL sur de longues distances augmente mécaniquement son coût d’achat. La facture énergétique va donc augmenter de manière mathématique. L’ensemble des volumes fournis par ces producteurs externes ne semble pas pouvoir excéder 40 milliards de mètres cubes, soit même pas la moitié du volume russe.
Le remplacement des stocks de charbon semble plus simple à réaliser. A contrario du gaz et du pétrole, c’est plus facile de les transporter. Il est, donc, ici, possible de s’approvisionner chez des fournisseurs lointains. Divers Etats européens ont réussi à déjà diversifier leurs approvisionnements pour avoir des stocks importants. Ici, le risque est de voir le charbon -source d’énergie fortement polluante- prendre la place du gaz qui est, lui, plus écologique.
Des Etats européens confrontés aux réalités. Face à la réalité, les pays européens n’arrivent pas à tomber sur un accord. On a les Etats d’Europe centrale et orientale qui n’ont pas accès aux énergies nucléaires ou hydrauliques et qui dépendent de la Russie alors que ceux d’Europe occidentale subissent beaucoup moins cette pression. L’Espagne -tout en recevant du GNL des Etats-Unis- est directement raccordée au réseau des gazoducs algériens. La nature du mix énergétique de chaque pays crée des situations différenciées. Les Etats européens fonctionnant avec l’énergie nucléaire ou avec d’autres sources nonfossiles, comme l’hydraulique avec les barrages ou les parcs éoliens, ont plus de choix face aux exportations russes. Pour la France, à titre d’exemple, le gaz ne représente que 15% du mix énergétique français, pour plus de 40% concernant le nucléaire qui est sa première source énergétique. Ainsi, la dépendance énergétique de la France est beaucoup plus faible que pour l’Allemagne qui a décidé d’en finir avec l’énergie nucléaire en 2010.
Ayant des situations différentes en Europe, des tensions relatives à la politique à adopter vis-à-vis de la Russie vont surgir. La Hongrie, par exemple, fortement dépendante de la Russie, connaît la tentation de voir à la baisse les sanctions ou de les refuser. La marche de manœuvre des pays possédant des accès aux énergies non-fossiles est plus élevée. Et, c’est à ce moment que les autres Etats membres pourraient demander un effort solidaire en distribuant leur manne énergétique. Cela n’est pas du tout certain que la cohésion européenne demeure solide alors que le froid de l’hiver arrive avec des menaces de pénuries et de révoltes sociales.
En raison des erreurs politiques passées des élites de l’UE, l’entité politique européenne doit trouver dans l’urgence plus d’indépendance énergétique. L’UE ne peut répondre à cette question sur le court terme car diversifier ses fournisseurs ne règle pas totalement le problème et cela ne retire pas les difficultés liées à la dépendance énergétique. La crise, qui a opposé l’Espagne et l’Algérie en 2021-2022, a bien montré cette limite. La stratégie de l’UE se heurte au facteur temps dans la faisabilité. La réalisation rapide de nouveaux partenariats ne peut que partiellement remplacer le fournisseur russe. L’exploitation des hydrocarbures de schiste reste une option et d’en importer des Etats-Unis, comme en augmentant l’emploi du charbon dans le mix énergétique.
Ce n’est que sur la durée que l’UE peut trouver une solution pour remplacer l’énergie russe. La question est de savoir si l’UE pourra résister à cette crise historique qu’elle a décidé si rapidement et donc si elle pourra effectuer ses réformes écrites sur le papier.
Pierre Duval
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