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Les États-Unis sont-ils vraiment les sauveurs de l’Europe ? Par Fiodor Loukianov

La solidarité absolue avec les États-Unis sur le dossier russe suppose une subordination envers le partenaire le plus fort. 

Le président français Emmanuel Macron s’est entretenu avec son homologue américain Joe Biden. Les relations entre Paris et Washington battent de l’aile. L’an dernier, la France a été sérieusement offensée par la création de l’alliance Aukus comprenant le Royaume-Uni, l’Australie et les États-Unis. Premièrement, les autres alliés de l’Otan n’en ont pas été notifiés. Deuxièmement, ce pacte a conduit à la rupture d’un contrat entre Canberra et Paris pour la construction de sous-marins pour l’Australie. Au lieu de sous-marins français ordinaires, il a été décidé de construire des sous-marins nucléaires américains. La colère de la France était si grande que les ambassadeurs à Washington et Londres ont été rappelés à Paris, mais pas pour longtemps. 

Les rancunes de l’automne 2021 ont semblé s’apaiser en hiver, quand les relations transatlantiques sont passées à la phase de « fraternité opérationnelle ». L’unité indestructible de l’Europe et de l’Amérique face à la menace russe est une thèse qui se répète littéralement tous les jours. Selon l’interprétation occidentale, le président Vladimir Poutine a commis une sérieuse erreur de calcul en s’attendant à une division entre le Vieux Continent et le Nouveau Monde. Et à présent, la communauté atlantique a acquis un nouveau souffle et sens d’existence. 

Difficile de dire dans quelle mesure Moscou était prêt à une réaction aussi brutale de l’Occident à la campagne ukrainienne. Mais à mesure que les conséquences de la crise se propagent, les fondations de la coalition occidentale montrent des failles. Cependant, les divergences ne concernent pas l’attitude envers la Russie, mais principalement la répartition du fardeau. Et là l’Europe commence à avoir des soupçons désagréables. 

L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche a été saluée par les Européens il y a deux ans. À tel point que son prédécesseur Donald Trump suscitait un rejet auprès de la plupart des dirigeants continentaux, alors que l’ex-président ne cachait pas non plus son mépris envers le Vieux Continent. Toutefois, les divergences ont commencé plus tôt, au tout début du , quand Bill Clinton a cédé sa place à George W. Bush. C’est à ce moment-là que les priorités américaines ont commencé à dériver de l’Europe qui semblait prospère et sans problèmes vers l’Asie plus riche en évènements. 

Le président actuel Joe Biden est un homme politique de la vieille école où l’Europe était le centre des intérêts américains. Mais la vieille école prévoit une analyse sobre des coûts et avantages, des frais et opportunités. Et la capacité d’optimiser le premier et de maximiser le second. Après la Seconde Guerre mondiale, et notamment après la guerre froide, l’Europe renonçait à la réflexion stratégique au profit de mesures appliquées pour s’assurer une existence confortable. Alors que les États-Unis ont conservé leur capacité de penser ou du moins sentir stratégiquement. S’où la compréhension (plutôt l’instinct) des réalités géopolitiques qui changent. L’instinct ne garantit pas une politique juste. Mais il implique son association aux besoins et aux circonstances. Étrangement, l’Europe historiquement connue pour son rationalisme corrèle bien moins ses actions avec leurs conséquences. 

Washington avait-il un plan vicieux pour rejeter le principal fardeau de la confrontation avec la Russie sur les alliés européens? Nous le saurons peut-être un jour. Toutefois, le comportement des États-Unis peut être expliqué par une réaction intelligente et non une arrière-pensée. Les vagues de la crise ukrainienne se répandent partout, les États-Unis prennent des décisions pour éviter des conséquences ou les utiliser à terme. Ce qui suscite la confusion de l’Europe: les Américains peuvent le faire, mais pas les Européens. Et quand l’administration Biden adopte une loi sur la réduction de l’inflation offrant une position bien plus avantageuse aux résidents américains par rapport aux européens, cela correspond parfaitement aux intérêts des États-Unis. Et alors? 

L’Europe s’est retrouvée dans un piège dont elle ignore comment sortir. La solidarité absolue avec les États-Unis sur le dossier russe implique une subordination envers le partenaire le plus fort. L’Europe est prête, mais cela signifie (pour des raisons objectives): 1) assumer la majeure partie des frais; 2) suivre la ligne stratégique commune sur d’autres questions fondamentales pour le partenaire fort. Notamment chinoise. La Chine est un adversaire stratégique de l’Amérique pour les décennies à venir. Elle ne représente pas de menace ou de défi pour l’Europe. La coopération avec elle est bénéfique. Mais pourquoi le frère aîné doit permettre au cadet d’aider celui qui est en conflit avec lui? 

Joe Biden et Emmanuel Macron se serraient la main en signe de cordialité incroyable. En fait, le dirigeant américain a assuré que les États-Unis ne voulaient pas faire du tort à l’Europe. Et c’est tout. Rien de plus.

Fiodor Loukianov, journaliste et analyste politique

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