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Peer de Jong : « Le coup d’Etat à Niamey tend un piège à la France »

@Col Peer de Jong

La date du 26 juillet 2023 qui a vu le renversement du président élu nigérien Mohamed Bazum par ses plus proches collaborateurs militaires dont le général Omar Tchiani, chef de la garde présidentielle, va devenir un marqueur. Tout d’abord de la réimplantation rapide mais réussie de la Russie en Afrique.

C’est un jalon important pour Moscou qui voit son influence s’étendre sur le continent. Pas sûr que Vladimir Poutine ne soit l’instigateur de ce coup d’Etat mais comme le disait Jean Cocteau : « puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur ». Les premiers drapeaux russes apparaissent dès le 26. Quasiment une signature d’autant que la manifestation massive de la population nigérienne devant l’ambassade de France à Niamey le 30 juillet, qui n’est pas sans rappeler les manifestations contre la France au Burkina Faso en novembre 2022 et janvier 2023, s’inscrit à l’évidence dans une stratégie globale russe.

Cette date du 26 juillet est également un marqueur pour la politique française en Afrique, puisqu’après le départ pour le moins en urgence du Mali en 2022 de l’opération militaire Barkhane, le nouveau dispositif d’appui aux forces sahéliennes s’était installé au Niger. Cette installation matérialisait à la fois le choix du Niger comme pièce maitresse du dispositif de lutte contre le terrorisme tout en nous garantissant une présence, souhaitée par les autorités politiques du pays. Le dispositif français était d’autant plus cohérent qu’il s’appuyait également sur la force militaire française centrée à N’Djamena au Tchad, ainsi que sur les bases françaises du Golfe de Guinée.

Le coup d’Etat à Niamey tend un piège à la France. En effet, le Conseil de défense français trois jours après le coup d’Etat du 26, a pris logiquement des mesures dites conservatoires de suspension de l’aide. Moscou de son côté, profitant de l’espace laissé vide, assure la junte en place au Niger de son soutien, rendant caduque si la situation perdurait, la présence de nos 1500 soldats dans le pays. Evgueni Progojine de son côté laisse immédiatement sous-entendre un appui de la force Wagner. L’occasion fait le larron. L’ombre de la Russie plane à présent sur tout le Sahel puisque Bamako et Ouagadougou sont déjà entrés dans l’orbite de Moscou.

La CEDEAO ou la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest qui compte 15 membres, dans la continuité du Conseil de défense français et ne souhaitant pas être en reste, lance un ultimatum aux officiers ayant réalisé le putsch. Ils doivent s’effacer dans la semaine sous peine d’une action de force1. La mécanique infernale est lancée. La France met en œuvre un plan d’évacuation de ses ressortissants le 1er août tandis qu’apparaissent les premières notes discordantes en provenance de la Garde nationale nigérienne qui semble ne pas être en phase avec le gouvernement de transition qui tente de se mettre en place.

Trois pays et non des moindres, le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, appuyés voire encouragés par la Russie, font immédiatement connaître leur désaccord avec la CEDEAO. Les trois pays ne cachent pas leur intention de réagir militairement à une action de vive force de la CEDEAO. Une guerre entre Etats sahéliens ? Inutile de dire qu’une opération militaire comme celle-là impliquerait de facto les forces françaises basées à Niamey et au Tchad et probablement nécessiterait un renforcement Guépard2 en provenance de France.

La tension devient palpable dès lors que le Nigéria manifeste son intention d’intervenir. Wagner se prépare officiellement à soutenir militairement le Niger, sachant que le 19 juillet, donc une semaine avant le coup de force à Niamey, Prigojine demandait à sa structure « de se préparer pour un nouveau voyage en Afrique »3 . La notoriété de la Russie et du groupe Wagner, est « intacte » dans les opinions publiques africaines et sahéliennes. Les événements du Niger, à l’évidence récupérés par les Russes, renforcent cette impression. Le « sentiment anti-français » grandissant efface paradoxalement la mauvaise image de la nébuleuse Wagner et valorise les éléments de langage officiel russe. Les déclarations de Prigojine mais aussi celles de Sergueï Lavrov sur la pérennité de la présence russe en Afrique rassure les Etats qui ont
fait le choix d’un alignement sur Moscou

La période est particulièrement compliquée tant pour la politique de la France en Afrique que pour les Etats africains. Ces derniers soumis à la pression terroriste cherchent la clef de résolution de cette guerre qui martyrise les populations. Les pays démocratiques se refusent évidemment à l’usage immodéré de la force. La Russie n’a pas elle, les mêmes réticences. Elle répond aux besoins des Etats demandeurs tout en expliquant sa proximité avec les Etats africains sur le partage des valeurs traditionnelles.

Comments

  • GEORGE
    août 9, 2023

    Cette actualité africaine tourmentée s’inscrit pleinement dans la crise systémique que nous vivons actuellement ; les démocraties occidentales font face à des systèmes autoritaires, parfois corrompus ou mafieux, qui ne se contentent plus de les concurrencer, mais adoptent une posture agressive à leur égard quand ils ne les attaquent pas militairement. Comprendre ses ressorts sur le continent africain passe par des lectures pluridisciplinaires : historique/géographique, politique/institutionnelle, démographique/sociale, économique/monétaire et sécuritaire. Des hypothèses de solutions existent alors que le conflit d’Europe centrale épuise les lutteurs dans des points culminants successifs. Reprendre l’ascendant dans cette crise, alors que nous la subissons, passe par la conception africaine et l’application de politiques multi vectorielles impliquant une totale coordination des acteurs politiques, diplomatiques, économiques et militaires ; ce que la France et l’Union-Européenne n’ont pas vraiment compris dans des approches trop cloisonnées. Ces lectures font l’objet d’un séminaire (07 77 99 21 45)

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