Réforme constitutionnelle sur l’IVG – Les explications de Mélody Mock-Gruet
Dans une interview La Tribune Dimanche, du 29 octobre 2023, le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé déposer au Conseil d’Etat un projet de loi constitutionnelle visant à inscrire dans la Constitution l’interruption volontaire de grossesse (IVG).
Ce texte sera débattu à l’Assemblée le 24 janvier dans l’hémicycle. Il sera soumis au Sénat, en séance publique le 26 février. Si le texte est adopté dans les mêmes termes par chacune des Chambres, le Parlement devrait être convoqué en Congrès à Versailles, dès le 5 mars.
L’issue du projet de loi constitutionnelle semble acquis sans difficulté, puisque la plupart des parlementaires de différends bords politiques, mais également des Français, souhaitent la constitutionnalisation de ce principe. Pourtant la configuration actuelle du Parlement peut compliquer l’adoption de ce texte, et même faire douter de son succès. Au regard de la composition politique des deux Chambres, et de l’attitude de certaines oppositions, il n’est déjà pas certain qu’un texte soit voté en termes identiques. Il serait vraiment dommageable que l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution, qui fait consensus, puisse tomber à l’eau, le jeu politique risquant de supplanter l’enjeu juridique.
Une seule après-midi est prévue pour étudier les amendements du texte. Mais on peut noter qu’il y en a peu qui ont été déposés, et qu’ils sont tous en relation avec le sujet.Sur 171 amendements : – 149 viennent des Républicains, dont en réalité une poignée de députés – 9 amendements LFI : dont 3 amendements de réécriture de l’article unique qui sont des amendements de groupe. L’un d’eux avait déjà été déposé en commission puis retiré après débat.- 1 amendement PS de groupe de réécriture de l’article- 1 amendement de groupe Ecologie qui rajouter la contraception – 1 amendent LIOT (presque de groupe, il en manque certains dont de Courson) de réécriture de l’article- Aucun amendement RN, ni de la majorité |
Le contexte
Le 24 juin 2022, la Cour suprême des Etats-Unis avait rendu un arrêt (décision « Dobbs » ) concernant l’avortement, précisant que le recours à l’IVG relevait des Etats fédérés qui pouvaient ainsi avoir différentes législations, renversant la jurisprudence de Roe versus Wade de 1973 (reconnaissant largement ce droit).
En Europe, le droit à l’avortement a tendance à reculer : en Pologne, l’avortement est extrêmement rare et très encadrés (résultant d’un viol ou danger mortel pour la femme, mais pas en cas de malformation du fœtus). La Hongrie a inclus dans sa Constitution la protection » du fœtus dès sa conception ». En Slovaquie, des dizaines de propositions de loi ont été déposées pour limiter l’accès. En Croatie, Roumanie, Italie, 60% des médecins sont objecteurs consciences (article la tribune 3 octobre 2023). Au Portugal, depuis 2015, l’avortement est à la charge des femmes et conditionné à un examen psychologique.
En France, l’interruption volontaire de grossesse est autorisée depuis la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975, dite loi « Veil ». Plusieurs dispositions intervenues ultérieurement ont prolongé le délai de 10 semaines dans lequel il est possible de recourir à une IVG, désormais fixé à quatorze semaines. Elles ont pris en compte l’évolution des techniques médicales, assoupli les conditions posées pour les mineures et instauré une prise en charge intégrale par l’assurance-maladie de l’acte d’interruption volontaire de grossesse et des examens associés. Les médecins et les sage-femmes autorisés à réaliser des interruptions volontaires de grossesse sont libres de ne pas en pratiquer, à la condition d’en informer la femme concernée et de l’orienter vers un autre professionnel susceptible de réaliser cette interruption. Les établissements de santé privés peuvent, dans des conditions précisées par la loi, refuser de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse.
Objectif politique
Dans son avis du 3 novembre 2023, le CE considérée que « Aucun pays n’a à ce jour inscrit l’interruption volontaire de grossesse dans un texte de valeur constitutionnelle ». Il constate également que L’IVG ne fait aujourd’hui l’objet d’aucune consécration en tant que telle dans la Constitution française, dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et ses protocoles additionnels ou en droit de l’Union européenne. Elle n’est pas davantage consacrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l’homme ou de la Cour de justice de l’Union européenne.
L’idée est de « constitutionnaliser le droit à l’IVG », afin de l’inscrire dans la norme suprême et permettre que ce droit soit consacré, (autrement dit qu’il ne puisse pas être remis en cause par une loi postérieure). Certains constitutionnalistes considèrent qu’en réalité l’inscription ne changerait rien concrètement, elle serait disproportionnée et n’aurait qu’une simple portée symbolique. Mais dans un contexte de montée du conservatisme, et de remise en cause de certains droits dont ceux des femmes, cette initiative n’est pas une avancée (elle ne permet pas un nouveau droit) mais empêche les reculs possibles dans l’avenir.
Différents quinquennats ont été marqués par une avancée sociétale majeure (vote à partir de 18 ans, mariage pour tous, PMA pour toutes, etc.) La constitutionnalisation de l’IVG pourrait être le marqueur du deuxième quinquennat du Président de la République (plus symbolique encore que la question de la fin de vie, qui sera au niveau législatif). Avec son projet de loi, le Président a repris la main sur l’agenda politique. Il a d’ailleurs besoin de ce succès, la dernière révision constitutionnelle qu’il avait proposée ayant échoué.
Le dispositif
Plusieurs propositions de loi ont été déposées sur le bureau des assemblées parlementaires. L’une d’elle a été votée en novembre 2022 à l’Assemblée nationale ayant retenu « le droit fondamental à l’IVG et à la contraception ». En lecture au Sénat le 23 février 2023, la chambre haute avait préférée « la liberté », ajoutant un article 34 à la Constitution : « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ». Les deux dispositifs n’ont en réalité rien à voir.
Reprenant l’initiative de plusieurs parlementaires de différents bord politique, l’Elysée a choisi de consacrer dans un 17ème alinéa à l’article 34 « la liberté » d’une femme à avoir recours à l’avortement, qui « lui est garantie ». Le dispositif est le suivant : « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »
Le Conseil d’Etat considère que, l’inscription de la liberté de recourir à une IVG dans la Constitution, dans les termes que propose le Gouvernement, ne remet pas en cause les autres droits et libertés que la Constitution garantit, tels que notamment la liberté de conscience qui sous-tend la liberté des médecins et sage-femmes de ne pas pratiquer une interruption volontaire de grossesse ainsi que la liberté d’expression. La rédaction du Gouvernement a pour effet de faire relever l’exercice de la liberté de recourir à l’IVG de la seule appréciation de la femme, sans autorisation d’un tiers, que ce soit le conjoint ou les titulaires de l’autorité parentale.
Le calendrier
Le texte a été présenté en Conseil des ministres le 12 décembre 2023. Il a été d’abord examiné par l’Assemblée nationale le 16 janvier devant la commission des lois, puis il est étudié le 24 janvier dans l’hémicycle. Il sera soumis au Sénat, où il sera inscrit à l’ordre du jour de la séance publique du 26 février. Si le texte est adopté dans les mêmes termes par chacune des Chambres, le Parlement devrait être convoqué en Congrès à Versailles, dès le 5 mars.
La procédure
Ayant une Constitution rigide (et non souple comme certains pays comme l’Angleterre), pour réviser la Constitution, nous avons une procédure, celle de l’article 89 de la Constitution. Les 3 premiers alinéas sont :
« L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement.
Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l’article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.
Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l’Assemblée nationale. »
Le texte de révision doit être adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées, sans qu’il soit possible de réunir une commission mixte paritaire.
La compétence du Congrès est limitée au projet qui lui est soumis. Les parlementaires ne peuvent qu’adopter ou refuser la révision. Le Premier Ministre ou un ministre expose l’objet de la révision puis s’expriment les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat et un représentant de chaque groupe. Puis suit le vote qui est personnel ; le vote peut avoir lieu à main levée, par assis et levé, au scrutin public ordinaire ou à la tribune ; le scrutin public est de droit lorsqu’il est demandé par le président de séance, le gouvernement ou un président de groupe et bien sûr pour l’adoption finale qui doit se faire à la majorité des 3/5èmes.
Les 3/5ème du Congrès
Il y a 577 députés et 348 sénateurs, soit 925 parlementaires. Pour être certain de pouvoir réviser la Constitution en passant par le Congrès, le parti majoritaire doit donc pouvoir compter sur 60 % de ce total, soit 555 parlementaires.
La dernière réforme de la Constitution réussie était celle de la révision du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République a été adoptée par le Parlement convoqué en Congrès en vertu de l’article 89 de la Constitution. Il s’agissait d’une réforme d’envergure qui a porté sur plus de la moitié des articles de la Constitution. Elle a été adoptée par 539 oui sur un total de 896 parlementaires.
Les deux dernières réformes constitutionnelles proposées par des Présidents de la République ne sont même pas allées jusqu’au Congrès. Le Président de la République François Hollande a échoué loirs de son quinquennat à trouver le consensus nécessaire entre les deux chambres, et le Président de la République, Emmanuel Macron, n’a pas réussi alors qu’il disposait du fait majoritaire à l’Assemblée nationale. Présentée en avril 2018 en Conseil des ministres, la première réforme s’est embourbée à l’Assemblée nationale en juillet 2018, dans la foulée de l’affaire Benalla. Une tentative de relance un an plus tard n’avait pas connu plus de succès.
Les amendements d’un projet de loi constitutionnelle
Exceptionnellement, les parlementaires ne sont pas soumis aux règles de l’article 40 et l’article 45 concernant un projet de loi constitutionnelle. Autrement dit, ils ne sont pas limités dans leur dépôt au cout financier d’un amendement, ou du lien avec le texte. Même si le projet de loi constitutionnelle n’a qu’un seul article, inscrivant l’IVG à l’article 34 de la Constitution, les parlementaires peuvent sans aucune difficulté modifier tous les articles de la Constitution, supprimer, en rajouter, voir même proposer des amendements en écriture inclusive… Le débat peut donc facilement s’enliser et prendre beaucoup temps, et laisser place à ce qu’on appelle communément « l’obstruction ». Mais on peut noter qu’il y en a peu qui ont été déposés (171), et qu’ils sont tous en relation avec le sujet.
En outre, lors de la navette, on peut remarquer que les parlementaires ne sont pas limités par la règle de l’entonnoir.[1] On peut voir que pour le projet de loi constitutionnel de 2008, en 2eme lecture, quelques amendements additionnels ont été déposés à l’Assemblée nationale, voire même adoptés, comme cela a été le cas de l’amendement n°117 du député Sauvadet introduisant un article 75-1 dans la Constitution la mention de l’appartenance des langues régionales au patrimoine national. De même au Sénat des amendements additionnels ont été déposés mais rejetés, ce qui a permis le vote conforme. Il peut donc y avoir pas mal d’aller-retour, de navette, afin d’avoir un texte identique entre les deux chambres.
Il n’y a pas de saisine a priori du Conseil constitutionnel pour un projet de loi constitutionnel.
[1] La règle de l’entonnoir : Après la première lecture, la discussion se recentre sur les dispositions restant en discussion, sans remettre en cause les dispositions adoptées ou supprimées conformes. Les adjonctions ou modifications apportées après la première lecture doivent être en relation directe avec les dispositions restant en discussion (une condition plus stricte que le « lien direct ou indirect » exigé en première lecture). Trois exceptions pour les amendements destinés à : – assurer le respect de la Constitution ; – opérer une coordination avec les textes en cours d’examen ; – corriger une erreur matérielle. Les articles additionnels ne sont pas reçus par le Service de la Séance, sauf référence explicite dans l’objet à l’une des trois exceptions. La règle de l’entonnoir s’applique aux amendements des députés, des sénateurs, des commissions et du Gouvernement.
Le Petit Guide du Contrôle Parlementaire
de Mélody Mock-Gruet et Hortense de Padirac
paru le 17 octobre aux éditions L’Harmattan
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Si la fonction législative de l’Assemblée et du Sénat est généralement bien connue du grand public, leur mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques l’est moins. L’idée que le Parlement n’aurait pas les moyens d’exercer ce rôle demeure. Ainsi, malgré les progrès constatés, la « culture du contrôle » n’est pas encore pleinement intégrée dans les mœurs.
Inscrite dans la Constitution, elle est pourtant essentielle dans un État de droit. Devenu un véritable contre-pouvoir, le contrôle parlementaire ne se résume plus à renverser le Gouvernement mais bien à analyser les situations, identifier les difficultés, discuter et vérifier l’activité gouvernementale, afin de lui demander des comptes.
Volontairement tourné vers la pratique, l’ouvrage décrypte le contrôle afin de permettre à tous de se saisir des enjeux techniques et politiques qu’implique ce pouvoir. Chaque chapitre est consacré à un outil de contrôle, avec à chaque fois un « bon à savoir ». Protéiformes et en constante évolution, ces instruments contribuent aujourd’hui plus que jamais à la qualité des débats parlementaires et des décisions politiques, méritant l’attention de tous ceux qui s’intéressent à la bonne santé démocratique du pays.
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Mélody Mock-Gruet est docteure en droit public de l’Université Paris II Panthéon-Assas (thèse sur le coup d’État moderne) et titulaire du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat. Après trois ministères, elle a travaillé dix ans à l’Assemblée nationale, notamment en qualité de conseillère législative en charge de la prospective et du contrôle dans un groupe parlementaire. Elle est également enseignante à Sciences Po Paris, dispensant un cours sur les actualités et enjeux parlementaires.