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Faut-il avoir peur des élections américaines ?

Par Florence Pisani, PhD, Global Head of Economic Research et Nicolas Forest, Chief Investment Office chez Candriam

Alors que les clivages partisans se durcissent à l’approche du 5 novembre, la course à la présidentielle a été relancée avec le retrait de Joe Biden fin juillet. En quelques semaines, Kamala Harris a réussi à insuffler une énergie nouvelle à la campagne démocrate. Les sondages nationaux lui donnent désormais un léger avantage et son retard dans les « swing states »[1] s’est nettement réduit. Et si Kamala Harris a réussi son premier débat télévisé le 10 septembre dernier, bousculant Donald Trump à de nombreuses reprises et le cantonnant à une posture défensive, la course reste extrêmement serrée : à quelques semaines des élections, rien ne semble donc encore joué.

Les enjeux de cette élection sont pourtant cruciaux, pour l’avenir de la démocratie américaine d’abord, mais aussi en matière géopolitique ou encore sur le plan climatique. Pendant les quatre années de sa présidence, Donald Trump a bousculé les institutions nationales et déstabilisé les institutions multilatérales. L’assaut du Capitole est venu nous rappeler que l’enjeu des élections américaines est loin d’être seulement économique. Sa réélection signifierait aussi davantage de politiques visant à démanteler le gouvernement fédéral, à déréglementer l’industrie ou encore à soutenir les énergies fossiles. Une victoire du camp démocrate offrirait au contraire une continuité tant sur le plan politique que climatique.

Sur le plan économique, les programmes des deux candidats engageront aussi les Etats-Unis, et avec eux le reste de la planète, sur des trajectoires très différentes.

Make America Great vs Make the middle class happier

En matière commerciale, la rhétorique de Donald Trump reste résolument protectionniste. Il promet de relever les droits de douane de 60 % sur la Chine et de 10 %, voire de 20 %, sur les autres pays. Le candidat républicain veut aussi rendre permanentes les baisses d’impôts votées en 2017 à son initiative – elles expireront fin 2025 – et abaisser le taux d’impôts sur les sociétés[2]. Il souhaite également mettre un coup d’arrêt à l’immigration et dit vouloir déporter 11 millions de migrants illégaux. Il n’apprécie guère Jerome Powell et pense que le Président doit sinon contrôler, du moins pouvoir influencer les décisions de politique monétaire. Enfin, en matière de politique industrielle et climatique, il veut abroger l’IRA[3] et favoriser le développement de l’industrie pétrolière (« Drill, Baby, Drill ! »[4]). Sur le plan budgétaire, ces mesures sont présentées comme s’autofinançant : aux 3 000 milliards de recettes attendues sur dix ans de la hausse des droits de douane, s’ajouteraient 1 000 milliards d’économies liées à l’arrêt du programme de subventions de l’IRA, ce qui couvrirait les 4 000 milliards de pertes de recettes fiscales dues aux baisses d’impôts. Ce programme retirerait plus d’un point à la croissance de 2025, et entraînerait une hausse significative de l’inflation qui toucherait particulièrement les ménages les moins favorisés, plus sensibles à une hausse du prix des biens importés[5]. Il dégraderait aussi sensiblement l’équilibre budgétaire sur la prochaine décennie : la dette du gouvernement fédéral atteindrait 132 % du PIB en 2034, contre 122 % dans le scénario de référence du CBO publié en juin 2024[6]. Une guerre commerciale aurait bien sûr aussi des répercussions pour l’économie mondiale. Elle risquerait en particulier de pousser la zone euro très près de la récession…

Le programme de Kamala Harris s’inscrit, lui, dans la continuité de celui de Joe Biden et reprend la plupart des mesures proposées par le Président dans sa proposition de Budget 2025[7]. Il s’agit d’un programme social-démocrate assez classique, même si Kamala Harris met, plus encore que Biden, l’accent sur les mesures de soutien aux classes moyennes. La candidate promet notamment de faire baisser les coûts de la santé, d’augmenter les crédits d’impôts pour les plus défavorisés mais aussi les allocations familiales pour faire sortir de la pauvreté « des millions enfants ». Afin de favoriser l’accès à la propriété, elle suggère de mettre en place un crédit d’impôt de 25 000 dollars pour les primo-accédants, une mesure qui risque de s’avérer inutilement coûteuse pour le Budget dans un contexte où l’offre de logements est déjà insuffisante. Sur le plan climatique, la candidate reste assez évasive, indiquant vouloir poursuivre le développement d’une économie basée sur les énergies propres sans interdire pour autant la fracturation. Il faut dire que la Pennsylvanie, l’un des « swing states » clés pour l’élection, est un grand producteur de gaz de schiste, notamment par fracturation hydraulique ! Au total la dépense publique augmenterait d’environ 3 000 milliards de dollars sur la prochaine décennie[8]. Ce coût serait financé par une augmentation de la fiscalité sur les plus riches et une remontée du taux d’impôts sur les sociétés de 21 % à 28 %. A ces quelque 5 000 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires attendues sur dix ans s’ajouteraient aussi 1 000 milliards d’économies, notamment grâce à une baisse des prix des médicaments. La trajectoire de la dette publique deviendrait donc nettement plus favorable qu’à politique inchangée, puisque la dette du gouvernement fédéral se stabiliserait autour de 110 % du PIB. Ce résultat semble toutefois optimiste : comme Joe Biden, Kamala Harris veut en effet prolonger, pour les seuls ménages qui gagnent moins de 400 000 dollars par an, les baisses d’impôts qui arrivent à expiration fin 2025. Cette mesure coûterait au Budget 2 800 milliards de dollars sur la prochaine décennie, coût dont les Démocrates ont omis de préciser comment ils entendaient le financer… Plus vraisemblablement donc, la dette publique resterait sur sa trajectoire actuelle, montant graduellement un peu au-dessus de 120 % d’ici 2034. L’effet de ce programme serait stimulant pour l’activité du fait notamment d’une redistribution favorable aux Américains les moins riches dont la propension à dépenser est plus élevée que celle des ménages du haut de l’échelle.

Ne pas négliger les scénarios extrêmes

Ces deux programmes ne constituent bien sûr que des promesses électorales et leur mise en œuvre dépendra non seulement du candidat élu mais aussi de la couleur du Congrès. Sans majorité au Congrès, le décalage entre déclarations et réalisations risque d’être grand. Pour les marchés, deux scénarios pourraient toutefois avoir des effets « disruptifs ». Dans le premier, Donald Trump gagnerait l’élection, obtiendrait la majorité au Congrès et mettrait en œuvre ses promesses les plus extrêmes. Dans le second, Kamala Harris l’emporterait de peu et n’aurait pas de majorité au Congrès. Les résultats de l’élection seraient contestés par les partisans les plus fervents de Donald Trump et une période d’instabilité sociale, doublée d’une paralysie du gouvernement, s’ensuivrait.

Ces scénarios conduiraient, il faut le souligner, à des politiques monétaires très différentes. Dans le premier cas, la banque centrale ne pourrait ignorer la hausse de l’inflation et les tensions sur le marché du travail liées à la politique migratoire de Donald Trump. Elle n’aurait d’autre choix que de monter ses taux malgré un ralentissement de l’activité. Dans le second cas, l’économie étant durablement déprimée, la banque centrale baisserait au contraire ses taux… d’autant plus rapidement que la liquidité sur les marchés risquerait de se geler. Si, au total, la probabilité de ces scénarios « défavorables » nous semble aujourd’hui relativement faible (autour de 20 %), il serait dangereux pour un investisseur de les ignorer complétement…

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