Arménie : le comité anti-torture du Conseil de l’Europe relève quelques progrès dans la lutte contre la hiérarchie informelle entre détenus, mais les conditions matérielles dans les prisons devraient être améliorées de toute urgence
Strasbourg, 13.11.2024 – Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a publié aujourd’hui le rapport relatif à sa visite périodique de septembre 2023 en Arménie, accompagné de la réponse des autorités arméniennes (en anglais seulement). La délégation a examiné la situation des personnes privées de liberté par la police et l’armée ainsi que des personnes détenues dans plusieurs prisons, à l’hôpital pénitentiaire central et dans des foyers sociaux (« internats ») (*).
En ce qui concerne les conditions en garde à vue, la plupart des personnes avec lesquelles s’est entretenue la délégation ont indiqué avoir été traitées correctement par la police. La délégation a néanmoins recueilli quelques allégations de mauvais traitements physiques infligés récemment à des personnes détenues par la police, notamment lors d’interrogatoires, apparemment dans le but d’obtenir des aveux ou d’autres informations. La situation concernant les garanties juridiques contre les mauvais traitements (informations sur les droits, notification de la garde à vue, accès à un·e avocat·e et à un·e médecin) s’est globalement améliorée depuis la visite de 2019, au moins en partie grâce à l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale. Tout en se félicitant de ces évolutions positives, le CPT réitère ses recommandations visant à améliorer la recherche de blessures dans les locaux de détention de la police : les membres des forces de l’ordre ne devraient pas être présents lors de l’examen médical et la confidentialité des documents médicaux devrait être strictement respectée.
En ce qui concerne la situation dans les prisons, la délégation du CPT n’a pas recueilli d’allégations de mauvais traitements physiques infligés par le personnel dans les établissements pénitentiaires visités. Le pouvoir de la hiérarchie informelle entre personnes détenues semble avoir diminué, notamment grâce à la récente criminalisation de l’adhésion à la sous-culture carcérale et sous l’effet de la décision prise par l’administration pénitentiaire de mettre à l’écart certains des « caïds » les plus influents et les plus inflexibles dans la prison d’Erevan-Kentron. Cependant, la violence entre détenus n’a pas encore été totalement éradiquée, en particulier dans les prisons de Nubarashen et d’Artik. Le CPT recommande de prendre des mesures résolues pour mettre un terme à l’influence de la hiérarchie informelle entre personnes détenues.
Pour ce qui est des conditions matérielles dans les prisons, la rénovation complète de la prison d’Abovyan, qui est en cours, est un point positif ; pour le reste, les conditions demeuraient généralement très mauvaises dans la prison de Nubarashen, et au mieux médiocres dans les prisons d’Armavir et d’Artik. Parmi les priorités, les autorités devraient fermer comme prévu la prison de Nubarashen et rénover complètement la prison d’Artik et, pendant ce temps, réaffecter les personnes détenues des cellules les plus délabrées dans d’autres cellules. Les conditions de vie dans l’hôpital pénitentiaire central se sont encore détériorées depuis la visite de 2019, tout l’établissement étant dans un état de délabrement avancé et ne correspondant pas à une structure de soins. Dans son rapport, le Comité a appelé les autorités arméniennes à le fermer dans les plus brefs délais.
Dans les établissements sociaux, aucune allégation crédible de mauvais traitements physiques infligés aux pensionnaires par le personnel n’a été recueillie ; de nombreux pensionnaires ont parlé en termes positifs du personnel et l’atmosphère semblait généralement détendue, ce qui est particulièrement louable compte tenu des difficultés rencontrées par un personnel peu nombreux pour s’occuper d’autant de pensionnaires. Toutefois, le Comité recommande de développer la gamme d’activités motivantes, notamment pour préparer les pensionnaires à se réinsérer dans la société. En outre, en dépit de la précédente recommandation du Comité, la législation arménienne n’exige toujours pas que le placement d’une personne dans un établissement social contre sa volonté donne lieu à un réexamen périodique par un tribunal.
Dans les établissements de détention militaire visités, aucune allégation de mauvais traitements physiques infligés par le personnel n’a été recueillie. Il ne semblait pas y avoir de problème de violence entre personnes privées de liberté, et les conditions matérielles et les services de santé étaient adaptés.
Le rapport du CPT et la réponse des autorités ont été publiés à la demande du gouvernement arménien. Dans leur réponse, les autorités arméniennes ont informé le CPT des efforts déployés pour lutter contre la sous-culture carcérale dans les établissements pénitentiaires, des mesures d’ores et déjà prises, des plans de rénovation des prisons à plus long terme, ainsi que des initiatives visant à revoir les restrictions au droit d’accès à un tribunal pour les personnes dont l’incapacité juridique est reconnue.
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Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) se rend dans des lieux de détention des Etats Parties à la Convention européenne pour la prévention de la torture pour évaluer la manière dont sont traitées les personnes privées de liberté, en vue de renforcer, le cas échéant, leur protection contre la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. Ces lieux incluent les prisons, les centres de détention pour mineurs, les postes de police, les centres de rétention pour étrangers, les hôpitaux psychiatriques et les foyers sociaux. Après chaque visite, le CPT adresse à l’État concerné un rapport contenant ses conclusions et recommandations.
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(*) Le CPT s’est rendu dans les institutions suivantes lors de sa visite : des établissements de police (le centre de détention de la police de la ville d’Erevan et les commissariats de police d’Ashtarak, de Gavar, de Gyumri, de Hrazdan, de Martuni, de Sevan, de Talin et de Vardenis), des établissements pénitentiaires (les prisons d’Abovyan, d’Armavir, d’Artik et de Nubarashen et l’hôpital pénitentiaire central), le foyer social de Nork pour personnes âgées et/ou en situation de handicap à Erevan et le foyer social pour personnes souffrant de troubles psychiatriques et de déficiences intellectuelles à Vardenis, ainsi que les bataillons disciplinaires de la police militaire à Martuni et à Erevan.