LA LIBYE, ENTRE GRIGNOTAGE ISLAMISTE ET MILICES ARMEES
La Libye vit toujours à l’heure des milices. En atteste l’affrontement entre la milice de Benghazi, le « bouclier de la Libye », et la population, qui a eu lieu dans la nuit de samedi à dimanche et qui a fait de nombreux morts et blessés.
Parallèlement, la situation politique est devenue précaire depuis la démission de Mohamed Megharief, le président du Congrès national général (CGN), suite au vote de la loi sur l’exclusion politique de certains responsables du régime, laquelle est une politique de grignotage mise en œuvre notamment par les islamis
Benghazi enterre mardi ses morts suite à un affrontement entre des manifestants, dont certains étaient armés, qui ont souhaité déloger la milice des bâtiments qu’elle occupe depuis des mois ; une milice qui pourtant avait intégré l’armée régulière libyenne. Celle-ci ne s’est pas laissé faire. Bilan : environ trente morts et près d’une centaine de blessés.
Echec de l’intégration des milices
Cet affrontement marque indéniablement l’échec de la politique d’intégration des milices dans son armée régulière, jusqu’à présent menée par le gouvernement. Si le « bouclier de la Libye » a en effet bien intégré l’armée c’est toutefois en gardant ses propres structures et son chef, l’islamiste Imad Balam.
Dans la nuit de samedi à dimanche, sa brigade d’Al Koufia (Est de Benghazi), dirigée par Wissam Ben Hamid, qui serait également islamiste, a fait savoir qu’elle gardait bien son indépendance, n’hésitant pas à tuer. Cet événement désastreux amène à réfléchir sur les différentes stratégies adoptées jusqu’à présent par le gouvernement pour faire face aux milices, et qui semblent de toute évidence peu efficaces.
En novembre, lors du conflit de Beni Walid opposant les milices de Misurata à la tribu des Warfallahs, perçus comme kadhafistes, le gouvernement avait appuyé la milice de Misurata pour mettre fin au conflit.
Résultat : la milice en est ressortie renforcée. Et les Warfallahs, représentants la plus grosse tribu de Libye, ont été écartés des postes à responsabilité dans les administrations, laissant un goût amère de revanche.
Menacé dans son bureau
Peu de temps après, Ali Zaedane a mené une politique très offensive vis-à-vis des milices. Il a demandé leur délogement même par la force et a exigé leur intégration dans l’armée sous deux conditions : l’abandon de leur structure et leur paiement après leur intégration.
Cela lui a valu d’être menacé dans son bureau par une milice proche de l’islamiste Abdouhakim Bel Haj, et l’enlèvement de son chef de cabinet, qui est aussi son cousin. Du coup, seules quelques petites milices ont été délogées, les plus importantes restant vissés aux ministères et bâtiments.
Durant l’épisode de l’occupation des ministères fin avril, par différentes milices et notamment islamistes qui ont ainsi fait pression pour faire voter la loi qui exclut les anciens collaborateurs au régime de Kadhafi, Ali Zaedane a joué cette fois-çi une politique d’apaisement.
Résultat : son ministre de l’Intérieur a jeté l’éponge. Ce dernier, aurait préféré une réplique plus efficace du gouvernement.
Le chef d’état-major dans le viseur
Aujourd’hui, c’est au tour du chef d’Etat major, Youssef al-Mangouch, d’être jeté en pâture pour avoir mal géré la situation de Benghazi. Les forces spéciales, pourtant basées à Benghazi, sont semble-t-il arrivées trois ou quatre heures après le début de la tuerie et du délogement de la milice par les manifestants.
Certes, depuis avril, ce chef d’état-major était déjà montré du doigt pour son inefficacité et était donc sur le départ ; aujourd’hui, sa destitution n’est finalement que le reflet de la très grande difficulté à faire face aux milices. Le gouvernement fera-t-il mieux sans son chef d’état-major ?
Une nouvelle stratégie semble s’esquisser. Elle a été proposée par l’Assemblée : dissoudre les groupes armés qui dépendent des ministères de la Défense et de l’Intérieur et intégrer leurs membres de manière individuelle au sein des forces régulières. Donc au cas par cas.
Si la dissolution ne pose pas problème, le « bouclier de la Libye » ne fait ainsi plus partie de l’armée ; reste à savoir si les membres de cette milice voudront bien intégrer l’armée sans leurs chefs et leurs structures…
Pari hautement difficile, surtout quand on sait que leur chef, Imad Balam, est un islamiste qui aura quelques difficultés à se séparer de ses ouailles, lesquelles sont majoritairement islamistes. D’ailleurs, plutôt de réintégrer l’armée, celui-ci voudra peut-être se venger de l’affront qu’il lui a été fait d’avoir été destitué de son poste de surveillance des frontières et des installations pétrolières de l’Est…
Comment dissoudre les milices ?
Autre volet de la stratégie du Parlement, mais qui n’est pas nouvelle : dissoudre « tous les groupes armés illégitimes », autrement dit ceux qui n’ont pas intégré l’armée régulière, « y compris par l’utilisation de la force ».
On s’interroge là aussi. Comment dissoudre des milices lourdement armées, quand on sait qu’elles se sont instituées en gardiennes de cinq régions : Barqa, Djebel Nefusa et Zouwara, Zentan, le Sud et Misurata, qui est devenue un véritable Etat dans l’Etat. Et que les fédéralistes dirigés par leur unité armée de Barqa viennent de proclamer une nouvelle fois leur autonomie…
Comment convaincre des jeunes avides de trafics de rejoindre l’armée, et que le chômage gangrène la société libyenne ? Le pari est une nouvelle fois difficile.
Autre question très préoccupante : la situation politique. Le président du Congrès national général (CNG), le deuxième homme fort de la Libye, a présenté sa démission le 28 mai, suite à l’adoption de la loi sur l’ « isolation politique », qui exclut les anciens du régime de Kadhafi et qui a été à l’initiative des Frères musulmans, ouvrant ainsi une crise politique sur sa succession.
Avec cette loi, les islamistes entendent bien poursuivre leur politique de grignotage du pouvoir mise en œuvre depuis la fin de la révolution et qui, si elle réussissait, peut acheminer la Libye vers une islamisation.
Sans attendre d’être exclu par la loi sur « l’isolation » politique qui le visait directement, il a été le président de la Cour des comptes, avec rang de ministre de 1972 à 1977 puis ambassadeur en Inde (1978-1980) ; Mohamed Megharief a pris les devants en démissionnant de son poste de président de GNG.
On pouvait espérer qu’il soit repêché grâce à une motion, prévue par la loi mais très difficile à atteindre, qu’aurait pu voter à la majorité des deux tiers plus une voix les députés. Or, les tractations de coulisses lui ont été défavorables.
Lâché par les islamistes, décidés à ne faire aucune exception, avec lesquels il a pourtant fait alliance pour se faire élire à la présidence ; lâché également par le clan des traditionnalistes appelés abusivement « libéraux », menés par Mahmoud Jibril, Mohamed Megharief a décidé de devancer, fierté oblige, le couperet de la loi en démissionnant.
Grosses empoignades en prévision
Son départ pose indéniablement le problème de sa succession. Tout d’abord, le premier vice-président de GNG étant visé par la loi, il ne pourrait lui succéder si elle devait lui être appliquée. Et le deuxième candidat, le second vice-président, qui a la faveur des islamistes – étant lui-même islamiste –, est loin de faire le consensus parmi les députés. Ceci augure donc de grosses empoignades pour trouver le candidat idoine.
Au-delà du cas de Mohamed Megharief, la loi, au vu de son contenu recensant un nombre impressionnant de postes et de fonctions, risque de toucher de nombreux libyens. Si elle était en effet appliquée en ces termes, on assisterait alors à une purge monumentale des administrations, et surtout de ses compétences
Qui en profiterait ? On craint fort que cela se fasse en faveur des miliciens, mais aussi des islamistes, lesquels, il ne faut pas perdre cela de vue, ont tout de même été à l’initiative de la loi.
Si, au départ, il y a eu en effet un consensus parmi les députés sur l’exclusion des postes à responsabilités de personnalités trop corrompues, et notamment impliquées dans les assassinats, le désaccord a surgit quand il s’est agit d’y inclure des fonctionnaires, des députés, et de ne pas tenir compte d’une période « dite d’exception », qui correspond à celle durant laquelle certaines personnalités sont passées dans l’opposition du temps de Kadhafi.
Dans la fronde pour faire passer ces éléments discriminants, les islamistes ont été en première ligne. On peut citer :
Mohamed Al Toumi, député indépendant mais islamiste de la ville de Gharyain. Il a présidé le Comité chargé de la rédaction de la loi ;
Mansur Al Hassadi, député de la partie Justice et développement (Frère musulman) de la ville de Derna ;
des chefs de milices, tels que le chef de la Coordination nationale pour l’exclusion politique des responsables de l’ancien régime, Ausama Khabar, et chef de milice à Al Zawia (40 km à l’ouest de Tripoli).
Purges et bras de fer
Pour faire passer cette loi, les milices n’ont pas hésité à employer la force et la menace à l’encontre des députés, voire des hommes politiques. Ou encore à occuper différents ministères ; le coup d’envoi a été donné par Abdoulhakim Bel Haj, entraînant d’autres milices non islamistes, notamment celle de Misurata.
Dès lors, un bras de fer très dur s’est déclaré, certains députés ne souhaitant pas voter la loi en ces termes. In fine, elle sera votée sous la pression. Au fil des mois, depuis leur entrée sur la scène politique, certains éléments révèlent peu à peu l’ambition des islamistes : accéder au pouvoir par une stratégie de grignotage.
Tout d’abord, via la Haute commission pour l’intégrité et le patriotisme (HCIP), et qui est chargée des purges. Ses membres sont majoritairement islamistes. Mise en place en janvier 2012, elle a déjà écarté un grand nombre de fonctionnaires –- certaines sources donnent des chiffres qui varient de 350 à 550. Dans ce jeu de chaises musicales, les islamistes ont été largement favorisés.
Certains postes-clefs sont ainsi actuellement occupés par des islamistes, comme c’est le cas, pour ne citer que ceux-ci, de Hacham Bichir, salafiste, chef du Haut comité de sécurité à Tripoli, de Fouzi AlKhadafi, chef du Haut comité de sécurité à Benghazi, et de Moustafa Shagouzli, le chef de l’Autorité des anciens combattants, chargée du recrutement des milices dans l’armée régulière.
Aujourd’hui, avec la loi sur l’isolation politique, excluant des personnalités politiques qui ont même œuvré à la révolution de février 2011, ils tentent de conquérir les hautes sphères. En visant certains députés, les islamistes souhaitent par ailleurs le renouvellement partielle de l’Assemblée, dont l’issue, pensent-ils, pourrait jouer en leur faveur – les Frères musulmans n’ont actuellement que onze sièges.
Comment appliquer la loi « sur l’isolation » ?
Indéniablement, la question est de savoir si les islamistes réussiront à continuer leur politique de grignotage. Dans l’immédiat, l’enjeu porte sur l’application de loi sur l’isolation qui sera mise en œuvre d’ici peu.
Anonyme
4.5