SYRIE: COMMENT SOMMES-NOUS ARRIVE LA
Jusqu’au mois de décembre 2010, la situation du régime syrien sur la scène internationale était plutôt favorable.
D’abord, malgré la crise libanaise qui est survenue après l’assassinat du premier ministre libanais Rafiq Hariri et a causé un certain isolement de la Syrie sur la scène internationale, le régime a su maintenir des rapports plus qu’étroits avec le voisin turc.
Recep Tayyip Erdoğan a joué un certain rôle de protecteur du régime face aux occidentaux et aux régimes arabes « modérés » (développement du commerce entre la Syrie et la Turquie, suppression des visas et, notamment cession implicite ― mais définitive pour les Turcs de la région d’Alexandrette).
Ensuite, dès le début de l’année 2008 Bachar el-Assad a pu retrouver une place dans la communauté internationale. Le président français Nicolas Sarkozy lui a préparé une certaine réinsertion dans le concert des nations. Les États-Unis l’ont trouvé à nouveau fréquentable, même si un ambassadeur, Robert Ford, a été envoyé tardivement à Damas, peu après la Révolution tunisienne.
Le prix de ce réchauffement vient de la conviction des occidentaux (même si elle s’est avérée fausse par la suite) selon laquelle le régime syrien pourrait encore jouer un rôle comme médiateur fiable vis-à-vis de l’Iran. L’objectif était donc d’assouplir les ambitions des mollahs iraniens. C’est la raison pour laquelle Bachar el-Assad n’était pas particulièrement visé par les accusations du Tribunal Spécial pour le Liban (TSL), constitué à la suite de l’assassinat du premier ministre libanais Rafiq Hariri. Même l’Arabie saoudite avait voulu à un moment donné enterrer ledit tribunal, retendant la main à Bachar el-Assad.
Bachar el-Assad a donc été jusqu’en décembre 2010 la personnalité politique incontournable. En somme il est devenu politiquement le véritable héritier de son père Hafez el-Assad.
Sur plan arabe et interne, Bachar el-Assad a été vu comme le président du seul pays arabe qui n’a pas cédé face aux exigences de la politique américaine. Il est considéré ainsi comme le soutien de la résistance palestinienne et libanaise face à Israël. Cependant, personne en Syrie n’a la mémoire courte ou les yeux fermés à propos d’autres réalités.
Le pays est toujours soumis au parti unique (même s’il est désigné selon l’article 8 de la Constitution syrienne comme le parti commandant de l’État et de la société). À ce titre, Bachar el-Assad se réserve le privilège – comme son père – d’être le seul candidat à sa propre succession à la présidence de la République syrienne. Cette situation n’existe que dans très peu de pays dans le monde : la Corée du Nord, Cuba et la Libye.
Personne n’oublie non plus qu’aucune des promesses prononcées lors de son investiture en l’année 2000 n’a été tenue. Les libertés publiques sont muselées. Les droits à la manifestation, à la grève ou même à la libre expression n’existent pas. Il convient de souligner que les prisons syriennes détiennent le plus grand nombre de prisonniers politiques dans le monde (environ 12 000 prisonniers, y compris les membres des Frères musulmans.)
De plus, Bachar el-Assad, par sa rapide succession à son père décédé le 10 juin 2000, a consolidé le système d’une gouvernance familiale qui avait confisqué toutes les ressources économiques du pays. À titre d’exemple, son cousin maternel, Rami Makhlouf, empoche à lui seul 60 % des résultats des activités économiques du pays chaque année.
Les résultats d’une économie syrienne libéralisée et ayant enregistré un taux de croissance annuelle entre 5 et 6 %, n’ont été qu’au bénéfice de 0,05 % de la population, dont la propre famille du président.
En décembre 2010, Mohamed Bouazizi s’est donné la mort de façon héroïque, provoquant ainsi une onde de choc dans tous les pays arabes. Ainsi, le régime du président Ben Aliest tombé en Tunisie trois semaines après la révolte tunisienne. De même Hosni Moubarak a été forcé de quitter le pouvoir en Égypte après à peine quelques semaines de manifestations (des millions de personnes sont descendues dans les rues). Mouammar Kadhafi a longtemps résisté face à l’insurrection des Libyens soutenus par la communauté internationale (Résolution 1973 du conseil de sécurité). Ali Abdallah Saleh s’est éclipsé devant le feu de la révolte yéménite, qui a fini par s’armer.
Bachar el-Assad a cru, à tort, que son pays serait épargné de ces vents de liberté qui soufflaient depuis la Tunisie. Cependant, il a entamé à la hâte quelques petites réformes, sans grands effets, afin de calmer la colère qui commençait à naître. En vain.
Parallèlement, tout événement à l’intérieur de chaque société, y compris celle de la Syrie, est désormais transmis très rapidement grâce à internet.