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Afghanistan : le bilan un an après le départ du contingent américano-otanien Par Fiodor Loukianov

Aucune bonne parole n’accompagne aujourd’hui l’anniversaire de la fuite du gouvernement prooccidental de Kaboul, de l’arrivée des talibans et du départ précipité du contingent américano-otanien d’Afghanistan. Certes, c’est une fête pour les talibans, mais ils sont confrontés à de nombreux problèmes. Toujours pas de reconnaissance officielle, l’économie bat de l’aile, personne n’a l’intention de rendre l’argent saisi, l’absence de l’harmonie nationale. Quant aux autres acteurs et témoins, les humeurs sont déprimantes

La fin de la campagne afghane fut un coup dur pour le prestige des États-Unis. Et il ne s’agit pas seulement d’une finale irréfléchie et mal préparée, mais surtout de l’inutilité totale des 20 années écoulées et des pertes subies, matérielles et humaines. Ces sentiments animent encore plus les alliés américains. Les États-Unis ont envahi l’Afghanistan en 2001 pour une raison claire: en représailles aux attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington. Tandis qu’on ignore toujours ce que d’autres membres de l’Otan y faisaient. 

La société afghane a vécu un dur tournant. Elle s’adaptait d’abord longtemps au régime mis en place par les Américains, puis tout s’est effondré et il a fallu s’adapter d’urgence au contraire. Et ce processus est loin d’être terminé. 

Les voisins de l’Afghanistan, extrêmement préoccupés il y a un an, ne sont plus aussi inquiets. Aucune catastrophe ne s’est produite, mais le règlement n’a pas non plus eu lieu. Comme c’est souvent le cas dans de telles situations, les différents intérêts extérieurs se sont entremêlés curieusement avec les intérieurs, et dans l’ensemble cela exerce un impact notable sur la disposition régionale des forces. Les contradictions qui existent dans cette partie de l’Eurasie se superposent à la situation afghane, alors que cette dernière se répercute sur elles. 

Dans l’ensemble, l’épopée afghane a laissé un arrière-goût amer chez tout le monde. Une vision positive des choses permet d’espérer qu’au moins tout le monde a tiré des leçons importantes. Les sceptiques haussent la tête, dépités: c’est simplement un nouveau cycle… Les craintes sont fondées, mais c’est contestable. La capacité de l’humanité d’éviter les erreurs du passé mais surtout les changements structurels dans la politique internationale inspirent un optimisme modéré. 

Dans l’histoire contemporaine, à partir des années 1970, l’Afghanistan servait d’exemple accablant de la manière dont l’ingérence des forces extérieures, notamment des grandes puissances mondiales, aggrave les différends et transforme le pays en arène de conflit continu. Dix ans de présence soviétique avec une résistance indirecte mais très active des États-Unis. Puis, une période de chaos intérieur quand les querelles attisées de l’extérieur ont dégénéré en guerre civile. Enfin, l’invasion américaine avec l’intention de bâtir un Afghanistan « juste », qui n’a mené nulle part. 

Quels que soient les motifs des interventions extérieures, elles reflétaient la spécificité géopolitique de l’époque. De la guerre froide, quand la politique mondiale tournait autour des relations entre l’URSS et les États-Unis. Et de la période qui a suivi, quand le rôle principal revenait aux États-Unis. Au cours de ces deux périodes, cela n’étonnait pas que les « big boss » dictent le cours des évènements non seulement au niveau mondial, mais aussi régional. Du moins, ils cherchaient à le faire avec plus ou moins de succès. L’Afghanistan a confirmé sa réputation historique: personne de l’extérieur n’a jamais réussi à y atteindre ses objectifs. 

Le monde est entré actuellement dans une nouvelle ère, où la domination n’est plus possible. Les tentatives même des pays les plus forts d’imposer à d’autres leurs recettes qu’ils trouvent justes sont confrontées à un manque de ressources en tout genre. Et notamment à la réticence totale de la volonté des entités d’accepter ce qu’on leur impose. L’émancipation géopolitique mondiale a connu un grand succès. 

Les ingérences extérieures des dernières décennies n’étaient pas dictées seulement par l’avidité impérialiste des grandes puissances, mais également par des facteurs objectifs. De graves problèmes de sécurité et de développement menaçant non seulement l’Afghanistan, mais également d’autres acteurs des relations internationales existaient et n’ont pas disparu. Il faut quand même les régler. Il n’existe pas de panacée, mais il faut chercher une solution dans les tendances générales de la politique mondiale. 

Il s’agit avant tout de la régionalisation. Les principaux évènements politiques et de plus en plus économiques ne se déroulent pas au niveau mondial, mais dans le contexte d’un groupe de pays ayant des liens géoéconomiques, historiques et culturels. La pandémie et la crise politico-militaire mondiale de cette année ont montré: plus la chaîne logistique est courte, plus elle est fiable. Cela peut être qualifié de crise de la mondialisation ou de son optimisation. 

C’est très visible par rapport à l’Afghanistan. Il existe un groupe de pays voisins pour qui la stabilité est primordiale et qui possèdent des capacités d’influence relativement importantes. C’est à eux de décider comment aider pour améliorer l’efficacité et réduire le coût de leurs actes. C’est une voie difficile, sans garantie de succès, mais elle est claire. Et il semble que les voisins trouvent un terrain d’entente, en dépit des divergences parfois profondes entre eux. Et ce, sans aide extérieure.

Fiodor Loukianov, journaliste et analyste politique

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