Chypre : dans ses conclusions, le Comité anti-torture dénonce les mauvaises conditions de détention, une hausse de la surpopulation carcérale ainsi que les violences entre personnes détenues
Strasbourg, 17.05.2024 – Un nouveau rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe conclut que la situation des personnes détenues dans les prisons de Chypre s’est considérablement détériorée depuis sa précédente visite en 2017 (voir le résumé du rapport).
La hausse de la surpopulation carcérale a conduit à de mauvaises conditions de détention et à une augmentation de la violence entre personnes en détention. Le manque de personnel pénitentiaire opérationnel de première ligne n’a fait qu’aggraver la situation. La surpopulation carcérale est due à des facteurs spécifiques, notamment l’incarcération d’un nombre important de personnes condamnées à des peines de courte durée et le nombre élevé de personnes placées en détention provisoire. Le rapport recommande aux autorités de réexaminer d’urgence les motifs d’emprisonnement de ces groupes et d’appliquer des mesures alternatives à la détention afin de désengorger le système pénitentiaire.
Se fondant sur une visite périodique effectuée à Chypre du 9 au 17 mai 2023, le rapport met l’accent sur le traitement et les conditions de détention des personnes dans les prisons centrales de Nicosie et des personnes retenues en vertu de la législation sur l’immigration, notamment au centre de rétention de Menoyia et au centre de premier accueil de Pournara. Il examine également le traitement des personnes privées de liberté par la police.
Dans leur majorité, les personnes détenues avec lesquelles la délégation s’est entretenue ne se sont pas plaintes d’avoir été maltraitées par le personnel. Cependant, le CPT a reçu un certain nombre d’allégations selon lesquelles le personnel aurait giflé des personnes privées de liberté à titre de punition informelle parce qu’elles étaient revenues en retard dans leur cellule. Diverses allégations ont été reçues faisant état de violences verbales – y compris racistes – de la part du personnel à l’égard de personnes détenues étrangères.
Le rapport fait état de cas de violences graves entre personnes en détention, dont le meurtre de l’une d’entre elles en octobre 2022. En conséquence, ces personnes craignaient pour leur propre sécurité. Le CPT a en outre constaté que les mesures prises pour s’acquitter efficacement de l’obligation de la prison de garantir la sécurité des personnes privées de liberté- et de son personnel – et de réduire les violences entre personnes détenues étaient insuffisantes. En outre, le manque de personnel pénitentiaire de première ligne a créé un terrain propice au développement de hiérarchies informelles entre les personnes détenues, permettant à certaines d’entre elles de garder le contrôle et d’imposer leur discipline aux autres. Le CPT a recommandé de recruter et de former rapidement davantage de personnel pénitentiaire de première ligne et de mettre davantage l’accent sur la promotion d’une approche dynamique de la sécurité, impliquant une interaction personnelle accrue entre le personnel et les personnes détenues.
Le CPT a constaté qu’un grand nombre de personnes privées de liberté dormaient sur des matelas à même le sol, sous des lits superposés, sous des tables et dans tous les espaces disponibles à l’intérieur des cellules. Elles n’avaient pas non plus facilement accès aux toilettes la nuit, en raison du manque de personnel disponible pour les laisser sortir de leur cellule pour aller aux toilettes, ce qui les obligeait à uriner dans des bouteilles. En outre, elles n’avaient rien d’intéressant à faire pour structurer leur journée. De l’avis du CPT, les conditions matérielles épouvantables cumulées avec une absence de régime d’activités ne peuvent que constituer un traitement inhumain et dégradant. Une action concertée s’impose de toute urgence pour résoudre ces problèmes.
Le CPT s’est également rendu dans des commissariats de police et des locaux de garde à vue dans l’ensemble de Chypre, qui accueillaient trois catégories de personnes : des personnes retenues pour des raisons administratives en vertu de la législation sur les étrangers, des suspects détenus en vertu du droit pénal, et quelques détenus condamnés. Les durées de séjour dans les commissariats de police allaient de quelques jours à quelques mois. Le rapport rappelle que les personnes ne devraient pas être placées en garde à vue pour des périodes prolongées. La majorité de celles avec lesquelles la délégation du CPT s’est entretenue ont déclaré qu’elles avaient été correctement traitées par la police.
Au centre de rétention pour personnes migrantes de Menoyia, aucune allégation de mauvais traitements physiques de la part du personnel n’a été reçue, mais les conditions de vie générales étaient trop carcérales par rapport à la nature du centre. Les personnes retenues n’avaient rien pour structurer leurs journées et n’avaient droit qu’à une heure et demie par jour à l’air libre.
Le centre de premier accueil Pournara accueillait plus de 1 000 ressortissants étrangers au moment de la visite de la délégation du CPT, dont beaucoup attendaient des semaines, voire des mois, avant d’être autorisés à quitter le centre. Ils étaient logés dans des conditions fortement surpeuplées, soit dans des conteneurs préfabriqués en plastique, soit dans des abris en plastique, soit dans des tentes. La plupart des logements étaient délabrés, avec des portes cassées et des sols en terre, mal ventilés, moisis et humides. Les personnes placées dans des conteneurs, y compris les enfants, étaient souvent forcées de partager des lits et des draps sales. Dans la section des tentes, il y avait un manque d’électricité et d’eau chaude. Les personnes étaient obligées de dormir sur des matelas usés ou sur des draps posés directement sur le sol, entassées les unes à côté des autres. Les toilettes et les douches étaient délabrées, ce qui provoquait des fuites d’eau tout autour, y compris à l’extérieur, créant des flaques stagnantes. Certaines refusaient d’utiliser les toilettes et les douches sales et préféraient utiliser les espaces extérieurs communs pour leurs besoins sanitaires, ce qui entraînait la formation de tas d’excréments et de rigoles d’urine. De l’avis du CPT, de telles conditions de vie pourraient bien s’apparenter à des traitements inhumains et dégradants ; il a formulé des recommandations pour remédier d’urgence à ces problèmes.
Le CPT exhorte les autorités chypriotes à prendre immédiatement des mesures pour offrir des conditions de vie décentes, en particulier aux enfants non accompagnés et séparés, ainsi qu’aux catégories de personnes vulnérables telles que les mères célibataires avec des enfants en bas âge, les personnes âgées et malades et les personnes qui ont survécu à des violences sexuelles et sexistes.
Le CPT se félicite des informations fournies dans la réponse des autorités chypriotes concernant les plans de rénovation de certaines parties de Pournara, ainsi que des mesures prises par les autorités chypriotes à la suite de la visite du CPT pour éloigner les personnes vulnérables de Pournara. Néanmoins, le Comité reste profondément préoccupé par le fait que ces groupes vulnérables sont toujours présents à Pournara.
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Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) se rend dans des lieux de détention des Etats Parties à la Convention européenne pour la prévention de la torture pour évaluer la manière dont sont traitées les personnes privées de liberté, en vue de renforcer, le cas échéant, leur protection contre la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. Ces lieux incluent les prisons, les centres de détention pour mineurs, les postes de police, les centres de rétention pour étrangers, les hôpitaux psychiatriques et les foyers sociaux. Après chaque visite, le CPT adresse à l’État concerné un rapport contenant ses conclusions et recommandations.