Comment l’UE transforme son industrie de la défense ? Par Philippe Rosenthal 
L’Europe se trouve en pleine restructuration sur la question de ses capacités de défense. L’un des éléments de cette nouvelle donne devrait être une coordination plus étroite au niveau de l’UE. Mais, la restructuration du secteur militaire comporte un certain nombre de risques qui ne font qu’aggraver les contradictions internes.
Les autorités des pays européens tentent d’inverser le cours sur le long terme des capacités de défense. Dans les capitales de l’UE des propositions sont à l’étude pour élargir la coopération dans le domaine des programmes militaires et des moyens de rationaliser la production des armes. Après le début du conflit en Ukraine au mois de février, l’Union européenne a annoncé une augmentation massive des dépenses de défense de 200 milliards d’euros. Cependant, des responsables affirment que les plans pourraient être entravés par une inertie qui a déjà commencé depuis longtemps par la réalisation de coupes budgétaires et de sous-dépenses.
«Nous devons dépenser mieux et plus», a déclaré Alessandro Profumo, président de l’Association des industries aérospatiales et de défense de l’Europe et PDG de la marque Leonardo, l’un des plus grands holdings d’ingénierie d’Italie. Cependant, pour cela, comme il le souligne, une coordination plus étroite des achats au niveau intra-européen est nécessaire. «Nous devons avoir ce processus d’intégration. Ce ne sera pas rapide, mais cela doit arriver», fait-il savoir. Le Financial Times constate que «le conflit en Ukraine a galvanisé les efforts pour concrétiser des idées vagues ou ratées afin de renforcer le statut de l’Europe en tant que puissance militaire mondiale cohérente».
Ce mois-ci, la Commission européenne a approuvé la mise en place de l’instrument visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes pour 2022-2024 par le biais de marchés publics communs (EDIRPA). Cet instrument, faisant suite à la demande du Conseil européen, vise à répondre aux besoins les plus urgents et les plus critiques en matière de produits liés à la défense qui sont la conséquence du conflit entre la Russie et l’Ukraine. La Commission européenne propose d’y consacrer 500 millions d’euros du budget de l’UE pour la période 2022-2024. L’instrument incitera les Etats membres, dans un esprit de solidarité, à procéder à des acquisitions conjointes et facilitera à tous l’accès aux produits liés à la défense dont ils doivent se doter de toute urgence.
Des observateurs signalent la nécessité de reconstituer les stocks épuisés au cours des deux dernières décennies, de remplacer le matériel militaire obsolète laissé par la guerre froide, et de reconstruire et sécuriser la base de l’innovation pour moderniser la défense de l’Union européenne.
La Commission européenne affirmant que «l’Europe doit devenir une puissance géopolitique et un acteur de sécurité au niveau international», rappelle qu’ «à travers le Fonds européen de défense adopté en 2021 et doté de 7,9 milliards d’euros, le budget de l’UE finance pour la première fois des projets en matière de défense. Le Fonds européen de défense complète et renforce les investissements nationaux dans la recherche en matière de défense, le développement de prototypes et l’acquisition d’équipements et de technologies de défense. Il doit aussi permettre de renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne. Parallèlement, les Etats membres ont adopté en mars 2022 pour la première fois une Boussole stratégique, analyse commune des défis et des menaces qui se posent à l’UE qui renforce la politique étrangère, de sécurité et de défense et la dote notamment d’une capacité de déploiement rapide de 5 000 hommes».
Les Etats membres de l’Union européenne ont consacré 232 milliards de dollars à la défense en 2020 soit 1,6 % de leur PIB en moyenne, contre 778 milliards de dollars aux Etats-Unis (3,7% du PIB) et 252 milliards de dollars en Chine. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, l’Allemagne a décidé de doubler son budget de défense, le faisant passer à 200 milliards d’euros par an, soit 2% de son PIB.
Un bémol se fait, cependant, entendre du côté de la ministre néerlandaise de la Défense, Kajsa Ollongren, qui, comme le Financial Times, le fait savoir admet que des promesses similaires ont déjà été faites, mais ont échoué. Les politiques expérimentés ne savent pas à l’heure actuelle si les annonces nouvelles venant de l’UE deviendront demain une réalité. Kajsa Ollongren pense que la réalité du conflit en Europe va aider à forcer le débat. Le Financial Times avertit que les Etats-Unis font du forcing pour acheter des équipements américains, ainsi, le premier gros achat de l’Allemagne, après l’annonce du lancement d’un fonds de modernisation militaire de 100 milliards d’euros, a été l’avion de chasse F-35 de fabrication américaine, capable de transporter des armes nucléaires. «Certains dirigeants de l’industrie européenne craignent de voir l’investissement de la défense de l’UE être dépensé ailleurs que chez eux», révèle le Financial Times. La direction de certaines entreprises européennes craint que la plupart des fonds ne soient dépensés à l’étranger, principalement aux Etats-Unis.
Philippe Rosenthal
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