Conflits régionaux, tensions géopolitiques, guerres commerciales en 2024. Dix tendances lourdes qui vont façonner le nouvel ordre international Par Hugues Mbadinga Madiya
L’année 2024 vient de s’achever. Plusieurs événements marquant ont émaillé cette année qui vient de s’écouler: la guerre russo-ukrainienne, le conflit israélo-palestinien étendu à l’Iran et ses proxy au moyen Orient, les tensions géopolitiques sur fond de guerre commerciale et de conflit potentiel entre les deux méga-puissances que sont les USA et la Chine.
À l’orée de de la nouvelle année, je souhaiterais partager avec mes lecteurs quelques avis sur les tendances lourdes qui sont susceptibles de redessiner le monde tel que nous l’avons observé ces dernières années. En effet, le monde évolue à une très grande vitesse. Les fondement de l’ordre international qui avait été bâti au lendemain de la seconde guerre mondiale vacillent sous nos yeux.
Sur le plan économique, l’année 2024 confirme la reprise post-covid bien qu’à un niveau assez décevant et dans un contexte marqué par des tensions commerciales et géopolitiques. Selon les projections du FMI, la croissance mondiale devrait se situer autour de 3,2% cette année. L’Asie demeure le premier moteur de croissance avec un taux de 4,6%, bien que la reprise soit toujours en suspens. La Chine, principal moteur de croissance de la région accuse le contre-coup de la chute de son secteur immobilier et des réformes vigoureuses internes menées par le Président Xi Ji Ping. Les performances de l’économie américaine sont relativement appréciables avec un taux de croissance projeté à 2,8%, et ce malgré des défis économiques perceptibles sur le marché du travail qui a montré des signes d’affaiblissement. L’Europe reste à la traine avec un taux de croissance de 1,7% dans un contexte d’incertitudes notamment en Allemagne ou en France, confrontée à des déficits budgétaires record de l’ordre de 6% du PIB. L’Afrique devrait enregistrer une performance de 3,8% du PIB en présentant toutefois une grande disparité entre les États et des faiblesses structurelles dues à sa grande dépendance face au marché mondial.
La dette publique a atteint un niveau record et historique en 2024. Selon les données de la CNUCED, le stock total de la dette a atteint un niveau de 97 000 milliards de dollars, soit pratiquement le double de son niveau de 2010. Dans ce contexte, la situation de l’Afrique est particulièrement préoccupante. Selon la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED), 27 pays africains ont vu leur ratio dette/PIB dépasser les 60 % . En 2023, la Banque africaine de développement (BAD) prévoit que la dette extérieure totale de l’Afrique a atteint un niveau record de 1 152 milliards de dollars US. Le service de cette dette s’élève quant à lui à plus de 163 milliards de dollars, une augmentation significative par rapport aux 61 milliards de dollars enregistrés en 2010.
L’année 2024 voit également s’installer une tendance à la relocalisation des investissements. Selon les données de MIGA, les flux d’investissements directs étrangers ont amorcé un net recul en 2024. Une tendance initiée en 2021 (mois 30%), et qui devrait s’installer en 2024. Cela traduit des changements majeurs entrepris par plusieurs pays développés suite à la crise sanitaire de 2019. De nombreux pays veulent sortir ainsi de leur dépendance vis à vis de la Chine et des pays du Sud Est, considérés comme l’usine du monde il y a quelque temps. Dans le domaine minier, l’Afrique par exemple qui est l’un des principaux producteurs des terres rares dans le monde est le théâtre d’affrontements entre européens, américains et chinois.
La crise sanitaire de 2019 a nourri les tensions commerciales entre les grands blocs économiques particulièrement, les USA, la Chine et l’Union européenne. Plusieurs pays se sont rendus compte de leur extrême dépendance vis à vis de la Chine, en ce qui concerne l’approvisionnement ou même la production de certains biens stratégiques. Cette situation, de même que le déficit structurel du commerce américain vis à vis des USA et qui fragilise le dollar US, a ouvert une nouvelle ère de conflits commerciaux entre pays. Les cas litigieux se multiplient du fait de mesures unilatérales telles que les relèvements des droits de Douanes, les contrôles à l’exportation de certains produits ou alors les législations restrictives sur le plan de la santé. Selon les chiffres de l’OMC, le nombre de conflits commerciaux depuis 2015 a été multiplié par 9. Il est à craindre que cette situation empire avec les dernières déclaration du Président Donald TRUMP, nouvellement élu aux USA.
Sur le plan géopolitique, l’année 2024 a été marquée par plusieurs tendances lourdes : la perte d’influence de la France en Afrique, particulièrement dans les anciennes colonies; l’Afrique qui confirme son rôle de nouveau terrain de jeu des puissances internationales; la montée des totalitarismes, la guerre en Ukraine sur fond de conflit mondial; la montée en puissance du sud global.
Cette année aura marqué un point d’inflexion important dans la relation entre la France et ses anciennes colonies africaines. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont formé l’Alliance des États du Sahel (AES), un projet commun visant à les sortir de l’UEMOA et se démarquer totalement de l’influence française. Les forces françaises stationnées au Mali et au Niger se sont progressivement retirées au profit de l’influence russe, de plus en plus grandissante en Afrique. Tour à tour, le Tchad, la Côte d’Ivoire et le Sénégal ont demandé et obtenu la fermeture des bases militaires françaises. Ainsi, dans ce qui était qualifié auparavant comme le pré-carré français, l’influence de l’ancienne puissance coloniale a considérablement baissé, favorisée en plus par le développement d’un sentiment anti-français, surtout chez les nouvelles élites africaines.
D’un autre côté, l’Afrique apparaît de plus en plus comme un enjeu géostratégique pour les grandes puissances. Alors que la fin de la guerre froide avait vu progressivement, et peut être de manière paradoxale les deux anciennes grandes puissances que sont les USA et la Russie se désengager de l’Afrique, laissant le terrain à une influence chinoise de plus en plus grande, surtout au niveau commercial, on aura noté un retour de plus en plus marqué des jeux stratégiques de ces puissances sur le continent. La Russie, d’abord à la faveur de son agence Wagner, puis officiellement, se déploie dans de nombreux pays africains tels que la RCA, le Mali, le Niger, le Burkina-Faso et dans une moindre mesure le Tchad et le Soudan. Sa présence surtout militaire s’est accompagnée d’un vaste balai diplomatique mené notamment par Serguei Lavrov, son Ministre des Affaires Étrangères dans de nombreuses capitales africaines. Les USA de leur côté se déploient de manière accélérée d’abord à travers les agences américaines chargées du commerce et de l’investissement porteuses de nombreuse initiatives telles que Prosper Africa. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que le Président effectue les 3 et 4 décembre 2024, une visite pleine de symboles en Angola, et que l’une des plus grandes banques américaines, JP Morgan annonce son implantation en Côte d’Ivoire. La Chine de son côté, tente de consolider sa présence au delà de son mode d’action traditionnel qu’est le commerce et l’investissement en tendant de renforcer ses relations politiques et militaires avec certains pays africains.
Le monde voit également une tendance de plus en plus vivace se dessiner: la montée des régimes populistes et totalitaires. Aux USA, l’élection de Donald Trump et les discours ultra conservateurs inquiètent le monde. Dans une tentative d’exporter ce modèle en Europe, le multi milliardaire américain Elon MUSK, patron du réseau social X (ex twitter) affiché son soutien à l’extrême droite britannique et allemande. Dans toute l’Europe, en France, en Italie ou même dans les pays du nord, les régimes politiques se droitisent, traduisant certainement une inflexion des opinions publiques sur des sujets notamment liées à la sécurité, à l’immigration. Cette tendance est également perceptible en Europe de l’Est avec des acteurs tels que Victor Orban, mais aussi à la faveur des dernières élections dans les ex républiques soviétiques. Que ce soit en Europe, en Amérique ou en Asie, les régimes populistes et totalitaires prennent le pas, sans rappeler l’atmosphère politique des années 30.
Les signes d’un affaiblissement de l’ordre multilatéral. La question n’est pas nouvelle. Le 3 novembre 2024, le Gouvernement israélien a voté une loi interdisant l’UNRWA, une agence de ONU, de mener des activités sur son sol. L’évènement est passé presque inaperçu. Mais c’est un coup dur apporté aux Nations unies dont la neutralité dans la résolution des conflits ne s’est que très peu posée depuis sa création. Cette interdiction met en lumière un débat de plus en plus important sur l’importance de l’ONU, autrefois socle des échanges entre les Nations. Cette tendance confirme un affaiblissement de l’ordre international dans un monde miné par des conflits majeurs qui s’étendent sur presque l’entièreté de la planète et par une reconfiguration des échanges commerciaux et des investissements après la crise sanitaire due au COVID 19.
La montée en puissance du Sud global. Le dernier sommet des BRICS a KATAN (Russie) a été très riche en enseignements.Ce qui a étonné bon nombre d’observateurs c’est le caractère politique que les autorités russes ont donné à ce sommet. D’une organisation relativement fermée et réservée à un club restreint de pays parmi les meilleurs performeurs au niveau économique, nous avons vu assister une diversité de pays, pas souvent logés à la même enseigne au plan économique ou même au niveau de la démocratie et des droits de l’homme. Le sommet des BRICS cette année a connu un élargissement vers ce que l’on appelle généralement le Sud global. Cela n’est pas loin de rappeler l’initiative menée par les pays du Sud pendant la guerre froide, qui a amené à Bandung, à la création du mouvement des non alignés. Une organisation composée de 120 pays membres qui ont essayé de maintenir leur indépendance entre les deux grands blocs de l’époque qui s’affrontaient indirectement. Mais à la différence des non alignés, la nouvelle version des BRICS contient en son sein des pays qui ont un poids très significatifs sur les plans économique, militaire ou même du point de vue démographique. C’est dire que le sommet des BRICS de cette année a été véritablement un marqueur.
La guerre russo-ukrainienne ou l’opposition entre deux visions du monde. Lancée en 2022 sous la forme d’une opération spéciale russe en Ukraine, la guerre entre la Russie et l’Ukraine a pris progressivement la tournure d’un conflit international avec un engagement certes indirect des pays de l’OTAN face à la Russie. De son côté la Russie tente de mobiliser le soutiens des pays tels que la Chine, la Corée du Nord ou l’Iran.Aussi, derrière cette tentative d’union autour de la Russie, dans le cadre du Sud global, il s’agit d’une opposition de deux visions du monde diamétralement opposées. Deux visions entre les pays du Nord, dit démocratiques et progressistes, un sud global qui revendique son identité , son authenticité dans un monde en perte de valeurs.
Le monde en 2025 et les années à venir, présente un visage singulier. Sous nos yeux, les fondements de l’ordre international construits au lendemain de la seconde guerre mondiale sont entrain de vaciller. Ces dix tendances lourdes vont marquer à moyen long terme les relations internationales. L’Afrique, grande perdante de la conférence de Berlin, devrait chercher à trouver sa voie. Elle doit de plus en plus chercher à parler d’une même voix dans les questions internationales mais aussi tenter de résoudre les questions liées à sa stabilité au moment où les changements non démocratiques de régimes ainsi que les conflits entre États ont repris leur cours. Nous proposons en cela que le siège permanent attribué à l’Afrique au sein du conseil de sécurité de l’ONU soit confié à l’Union africaine, avec une règle de rotation interne entre les pays. Deuxièmement, les pays africains devraient unir leurs efforts pour industrialiser le continent mais aussi concrétiser le marché commun africain à travers la ZLECAF. Les pays africains doivent faire preuve d’une grande solidarité sur des questions telles que la restructuration des dettes africaines et la mise place de la nouvelle architecture financière mondiale.
Stezen BISSELOU-NZENGUE
Merci pour cette analyse très pertinente et exhaustive. Vous mettez en lumière des tendances cruciales qui redessinent notre monde à une vitesse fulgurante.
La montée en puissance du Sud global et l’évolution des rapports de force géopolitiques montrent clairement que l’Afrique a un rôle clé à jouer dans ce nouvel ordre mondial.
J’apprécie particulièrement votre appel à l’unité africaine et à l’industrialisation, des solutions indispensables pour transformer les défis actuels en opportunités durables.
Je suggérerais également que l’Afrique travaille à renforcer ses mécanismes internes de résolution des conflits, pour éviter que des puissances extérieures n’exploitent ses divisions et freinent son développement.