Coronavirus et les « métiers à la con »
Le confinement vient bousculer les idées reçues sur nos métiers. En ce sens, il est un révélateur et peut aider à se rendre compte de l’importance ou non de certains services, de certaines tâches inutiles : des «jobs à la con» que David Graeber, docteur en anthropologie, économiste et professeur à la London School of Economics avait dénoncés dans son livre « Bullshit jobs ». Il y soutenait que lorsque 1 % de la population contrôle la majeure partie des richesses d’une société, ce sont eux qui définissent les tâches «utiles» et «importantes». Que penser d’une société qui, d’une part, méprise et sous-paie ses infirmières, chauffeurs de bus, jardiniers ou musiciens ‒ autant de professions authentiquement créatrices de valeur ‒ et, d’autre part, entretient toute une classe d’avocats d’affaires, d’actuaires, de managers intermédiaires et autres gratte-papier surpayés pour accomplir des tâches inutiles, voire nuisibles ?
Dominique Méda, normalienne et sociologue émérite, l’affirme : « Cette crise va nous donner l’occasion d’une double réflexion : sur le rôle social du travail, d’une part, et sur l’importance relative accordée aux différents métiers, d’autre part. Concernant le travail, le confinement va confirmer, comme l’ont fait de nombreux sociologues, le caractère très structurant de son rôle dans notre vie.
Peut-être va-t-on également prendre conscience de l’inutilité d’un certain nombre de réunions et de dispositifs, ou encore, comprendre, grâce au télétravail, que les salariés ont de nombreuses ressources. Bref, nous allons apprendre énormément de choses sur la place du travail dans nos vies. Il s’agit d’un moment opportun pour prendre en considération l’importance sociale des différents métiers. Dans son ouvrage Bullshit Jobs, l’anthropologue américain David Graeber explique que pour savoir si un métier est essentiel ou si c’est un « boulot à la con », il faut imaginer les conséquences sociétales de sa disparition. Par ce prisme et à l’heure d’une crise sanitaire mondiale, l’enseignement est clair : aujourd’hui, les métiers essentiels sont ceux qui nous permettent de continuer à vivre : tous les personnels de santé, du médecin à l’aide-soignante, mais aussi tous les métiers dits du « care ». Mais on peut aussi penser aux éboueurs, aux personnels des commerces alimentaires… »
A l’épreuve de la pandémie il apparaît donc que l’utilité d’un métier est en général inversement proportionnelle à la rémunération et la considération sociale qui y sont attachées. Ce constat d’une opposition entre utilité et considération sociale n’est d’ailleurs pas sans rappeler la célèbre parabole du philosophe et économiste Saint-Simon, qui affirme que les « trente mille individus réputés les plus importants de l’État » sont en fait si peu indispensables à son fonctionnement, que leur disparition subite ne causerait aucun mal à la société.
« Soudainement, les titulaires des métiers les mieux payés nous apparaissent bien inutiles et leur rémunération exorbitante, ajoute Dominique Méda « L’un des premiers enseignements de la crise sanitaire, en somme, c’est qu’il est urgent de réétudier la « hiérarchie » sociale des métiers, en accord avec nos valeurs et relativement à leur utilité réelle. »
Alors que le progrès technologique a toujours été vu comme l’horizon d’une libération du travail, notre société moderne réalise qu’elle est fondée sur le paradoxe de tâches inutiles, sans réel intérêt et vides de sens, tout en ayant pleinement conscience de la superficialité de leur contribution à la société.
Faisons le test très simple : pour savoir si un métier est utile ou non, imaginons sa disparition et regardons les effets sur la société. Nous en sommes là et c’est sans doute le moment d’une vaste réorganisation des valeurs, qui placerait le travail créatif au cœur de notre société.
S de La Houssière
Anonyme
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