«Crimes rituels» au Gabon: « les sorciers sont des faiseurs de rois »David Warnery
Un enfant blanc disparaît sur une plage de Libreville. Son assassinat est escamoté par les protagonistes de l’époque. Meurtre politique, rivalité des sociétés pétrolières, vengeance personnelle, sorcellerie ?
Dans votre roman, vous abordez le sujet des crimes rituels… Qu’entendez-vous par “crimes rituels”?Il s’agit de crimes commis par un sorcier, appelé au Gabon « nganga », au bénéfice d’un commanditaire pour qu’il accède par la magie au pouvoir, à la richesse, etc.On cherche à s’emparer des forces vitales de la victime afin d’acquérir des pouvoirs. Cela se fait au moyen des organes, les fameuses « pièces détachées ».
En clair, on enlève une personne, généralement un enfant (mais parfois des adultes), le plus souvent un gamin des rues que personne ne va réclamer et ensuite on le torture à mort en lui coupant, alors qu’il est vivant : le sexe, la langue, en lui arrachant les yeux, le cœur, en le vidant de son sang. Le sexe sert à gagner en séduction, la langue pour devenir un orateur, etc.
Dans votre roman, vous abordez le sujet des crimes rituels… Qu’entendez-vous par “crimes rituels”?
Plus la victime souffre, plus la magie sera efficace.
Je n’hésite pas à dire que ceux qui pratiquent ces rituels ne valent pas mieux Mengele, le médecin-tortionnaire du camp d’Auschwitz.
N’êtes-vous pas entrain de diaboliser les « coutumes » africaines ?
Non, car je fais une distinction très nette entre deux choses : il y a au Gabon de multiples rites tout à fait fascinants et estimables : par exemple le véritable bwiti, qui vise la connaissance de soi, une sorte d’élévation spirituelle, la compréhension d’un chemin de vie. Il ne faut pas confondre ces belles spiritualités et les crimes rituels.
Mais le problème vient de la proximité des rituels nobles et des rituels criminels : certaines pratiques traditionnelles qui ont été largement dévoyées, perverties. Certains sorciers ont détourné ces pratiques mystiques ou de guérison pour instituer de nouveaux rituels parfaitement diaboliques.
Je n’hésite donc pas à affirmer quelque chose qui va chagriner certains Africains : ces pratiques criminelles se sont développées sur un substrat traditionnel. Ainsi, il y a un siècle, les crimes rituels existaient déjà. À L’origine, c’était les cadavres qui servaient de magasin de pièces détachées, pour confectionner des décoctions magiques, des gris-gris (j’en ai moi-même vu lors d’une initiation Bwiti à laquelle j’ai pu assister)
Certains Gabonais ne veulent pas le reconnaître, ils en sont blessés et on les comprend.
Ils prétendent que ces pratiques viennent de l’étranger, du Bénin… En réalité, ces pratiques existent dans quasiment toute l’Afrique, du Sénégal au Mali (où sévissent certains marabouts) jusqu’au sud et à l’est du continent.
Pourquoi autant de crimes rituels ?
Avec ce livre, j’ai essayé d’inventer une forme nouvelle, entre le roman à proprement parler et le reportage ou l’enquête journalistique : j’ai mélangé la fiction et la réalité, des personnages réels, historiques et d’autres qui sont des transpositions…
Mais je me suis contenté de faire œuvre de romancier. Je laisse d’autres observateurs expliquer le phénomène.
Pour vous répondre, il faudrait faire de la sociologie, de l’économie politique, etc. À ce qu’il semble, le développement du phénomène est lié à l’anomie de certaines sociétés africaines et aux moyens financiers dont dispose une élite qui peut se payer les services des sorciers.
Quoi qu’il en soit, je révèle l’identité d’un très haut personnage. Il s’agit d’une personnalité politique gabonaise des années 80. Je ne donne pas son nom, mais je donne les clés pour retrouver ce nom. Ceux qui liront le livre et qui connaissent la politique gabonaise comprendront. Ceci pour vous dire que ce sont surtout les hommes de pouvoir qui pratiquent ces crimes.J’en ai discuté avec Pierre Péan, il avait, si je puis dire, « validé » mon hypothèse. Le crime rituel n’est-il pas circonstanciel aux peuples africains ? Et Abrahm dans la bible a-t-il eu un recours au crime rituel ?Il appartiendra aux anthropologues de répondre à cette question, s’ils l’osent. Car, ce qui est frappant c’est que certains sont carrément négationnistes : je les accuse de savoir, mais de se taire. Ils ont peur de ne plus pouvoir retourner sur le terrain, de devenir persona non grata. Pas bon pour leur petite carrière… certains me l’ont avoué.
La pratique de la sorcellerie et des rituels criminels, je pense, a existé sous toutes les latitudes, ce fut certainement un phénomène universel. Entre la religion des Aztèques ou celle des anciens Phéniciens (à Carthage on jetait au feu l’enfant premier né), les exemples abondent.
C’est le sens, je crois, de l’interdit posé par le Dieu de la bible. Dieu arrête le bras d’Abraham qui s’apprêtait à immoler son fils Isaac. Celui-ci est remplacé par un agneau. Le sacrifice agréable à Dieu est celui qui n’est pas celui d’un homme.
On a donc bien un phénomène universel, au plan historique. Mais mon roman traite du présent, ce n’est pas un livre savant. C’est un ouvrage qui parle de la réalité tragique, dont sont victimes aujourd’hui certains peuples africains.
Les Africains eux-mêmes dénoncent ces crimes : Il y a des gens courageux au Gabon qui depuis des années alertent les autorités, par exemple Jean-Elvis Ebang Ondo qui a fondé une association il y a 15 déjà. Je sais toutes les démarches qu’il entreprend pour réveiller les consciences.
Nombreux sont ceux qui ont tiré la sonnette d’alarme : en 2005, sous le règne de feu Omar Bongo, l’UNESCO a organisé un colloque à Libreville : des anthropologues, des religieux, des chercheurs venus de toute l’Afrique ont dit et répété tout ce que je viens de vous dire. Je n’invente rien.
Pour les Français, je rappelle qu’il y a eu un reportage il y a près de 10 ans sur Canal plus, il y a eu à l’été 2018 un rapport de l’OFPRA, très clair sur le sujet et sur les coupables.
Le problème est ailleurs : c’est le déni, le refus de voir le réel, car ce réel nous blesse. Ce déni, c’est un des sujets de mon roman.
En ce qui concerne les Africains,
c’est une réalité humiliante, difficile à accepter.
Ils craignent d’être accusés d’être des sauvages. C’est d’ailleurs par provocation que j’ai utilisé ce mot ambivalent dans mon titre.
En ce qui concerne les Européens,
J’observe une sorte de fatigue un peu cynique. J’ai remarqué cela chez ceux qui y ont séjourné un peu trop longtemps : ils sont rincés, ils en savent tant, mais ils savent qu’ici ce n’est pas la peine de se fatiguer, personne ne veut entendre ces histoires sordides. J’ose dire qu’on pourrait faire un parallèle avec la question de la Shoah durant les années 50. Personne ne voulait en entendre parler.
Vous savez c’est un peu comme dans le film de Marguerite Duras : j’ai envie de dire à ces Européens : « vous n’avez rien vu à Hiroshima ». Vous n’avez rien compris, vous avez vu sans voir…
Un dernier point : ce n’est pas aux Européens, du fait du passé colonial, d’aborder ce sujet qui risque de vous attirer une accusation de racisme. Les Africains ne veulent plus de nos leçons. C’est à eux de faire changer les choses.
David Warnery a passé une partie de son enfance en Afrique centrale, aux Gabon, Congo et Cameroun. Après des études à L’Institut d’Etudes Politiques de Paris puis à la faculté de droit de l’université de Canterbury, il est retourné au Gabon et y a travaillé pour le compte d’une grande entreprise pétrolière. Ces années d’Afrique furent l’occasion de nombreux voyages en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Kenya, en Ouganda, au Zaïre…
Le lien vers le site d’auteur: http://david-warnery.com/
Caracci
Bonjour,
Dans mon parcours initiatique j’ai rencontré de nombreuses situations insensées. Je témoigne ici que ce qui est écrit dans ce livre est vrai.
Bien sincèrement.
Prêtre Nazaréen Jean-François Caracci, Porteur de la Succession apostolique des Apôtres Pierre et Jacques.
DAvid WarNERY
Merci pour cette confirmation. Il y a tant de gens qui sont dans le déni et se font les complices silencieuses de ces pratiques.
Votre témoignage est important.
Anonyme
5
Anonyme
4.5
mouckagni mouckagni
dans la même ligne, le roman « Le cri du crime » a été publié à Publibook à Paris. il est consultable sur le net.
DAvid WarNERY
Merci, c’est intéressant. Attention cependant, mon roman Les Rois sauvages a la particularité unique d’offrir au lecteur une plongée à l’intérieur même des motivations ainsi que des faits et gestes de ceux qui pratiquent les crimes rituels. Il en propose donc une compréhension complète. A ma connaissance, avant la publication des Rois sauvages, aucun romancier ni anthropologue n’est jamais parvenu à cela.