Décision de la Cour de justice de l’Union européenne Vers la reconnaissance de la neutralité en entreprise ?
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a prononcé le 14 mars 2017 deux arrêts concernant le port de signes religieux par des salariés d’entreprises privées.
Elle avait été saisie de questions préjudicielles par les Cours de cassation belge et française sur deux affaires de licenciements de salariés refusant d’ôter leur voile islamique. Les questions portaient sur l’interprétation de la directive du Conseil européen interdisant les discriminations en matière d’emploi et de travail. Cette directive a en principe été transposée en droit français par la loi du 27 mai 2008.
Le Grand Orient de France est particulièrement attentif à tout ce qui peut permettre de faire face aux offensives communautaristes, y compris dans l’espace civil, tout en préservant le cadre républicain des libertés fondamentales. A ce titre, il avait pris acte de la montée des revendications et manifestations religieuses dans les entreprises privées. Sans préjuger de leur fondement juridique, il a marqué son intérêt pour les initiatives comme celle de l’entreprise Paprec, visant à mettre en place des solutions, ou du moins à appeler l’attention des pouvoirs publics sur le problème.
Sans entrer dans le détail des deux arrêts récents, le Grand Orient de France constate que, malgré les trop nombreuses restrictions dont ils s’assortissent, ils admettent la possibilité, dans des cas précis et très limités, de restreindre le droit des salariés des entreprises privées à manifester leur religion dans le cadre du travail. La CJUE exige notamment qu’il y ait contact avec la clientèle, que la neutralité politique religieuse et philosophique de l’entreprise soit précisée dans son règlement intérieur, et de façon suffisamment générale pour ne pas constituer une discrimination à l’encontre d’une conviction particulière. Elle écarte en revanche explicitement la prise en compte d’une demande en ce sens des clients.
Le Grand Orient de France prend acte de cette avancée, tout en notant que le caractère très limitatif des conditions posées aboutit à doter la liberté de religion d’une prééminence peu compatible avec la liberté de conscience, et les droits et libertés d’autrui -en particulier des incroyants ou partisans de la neutralité religieuse. Il remarque à cette occasion que la transposition de la directive européenne antidiscrimination en droit français a été incomplète : l’art. L1321-3 du Code du travail ne protège que les « opinions politiques, activités syndicales ou mutualistes » et les « convictions religieuses » mais nullement les autres convictions -tels l’engagement maçonnique ou le militantisme laïque. Le Grand Orient de France est ainsi particulièrement fondé à exiger que le législateur procède sur ce point à l’harmonisation avec le droit conventionnel européen, qui s’impose à la loi française. En aucun cas la liberté de religion ne saurait l’emporter sur celle d’avoir et de manifester toute autre conviction.