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Discours liminaire de la Présidente von der Leyen au forum GLOBSEC 2024

Merci beaucoup, Monsieur le Président, pour vos aimables paroles.

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs les Premiers Ministres,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,

C’est un grand honneur pour moi d’être aujourd’hui ici, à Prague, à la conférence sur la sécurité qui est, à mon sens, la plus célèbre d’Europe centrale. Cette intervention marque ma première allocution publique depuis que j’ai été élue à la tête de la Commission européenne pour un second mandat. Et je pense qu’il n’y a pas de meilleur endroit pour prononcer mon premier discours après ces élections.

La nouvelle réalité est que l’Europe centrale n’est pas que le centre géographique de l’Europe. Elle est aussi au cœur des enjeux politiques et stratégiques pour l’avenir de l’Union européenne. L’année dernière, les plus grands investisseurs dans cette région n’étaient pas des entreprises allemandes ou françaises, mais des entreprises tchèques. La Pologne est l’une des économies les plus dynamiques d’Europe. La résilience dont ont fait preuve la plupart des pays d’Europe centrale face à la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine a été remarquable et continue de l’être. C’est pourquoi, lorsqu’il est question de compétitivité, je pense que la partie occidentale de l’Europe a beaucoup à apprendre de sa partie orientale.

Au cours des trois dernières années, l’Europe a découvert une autre facette de l’incroyable force de la région. Depuis l’entrée des chars russes en Ukraine, c’est ici que bat le cœur de la solidarité européenne. Et c’est le cas aujourd’hui encore, alors que l’agression et la brutalité russe font rage depuis deux ans et demi. À quelques jours près, la célébration des 35 ans de la révolution de velours à Prague va coïncider avec le millième jour de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Mais la guerre menée par Poutine est tout sauf du velours. Tant d’innocents ont été tués. Tant de villes ont été rayées de la carte. Tant de familles ont été déchirées. Un jour, nous saurons combien de jeunes femmes et de jeunes hommes nés en 1989 ont trouvé la mort en 2024. Mais il y a une autre chose que nous savons déjà: il ne faut pas tenir la paix pour acquise. Vous nous avez mis en garde contre les intentions de Poutine il y a déjà des années. Manifestement, nous aurions dû être davantage à l’écoute de l’Europe centrale et orientale.

Mesdames et Messieurs,

Aujourd’hui, certains responsables politiques au sein de notre Union, et même dans cette partie de l’Europe, brouillent notre message concernant l’Ukraine. Ils font peser la responsabilité de la guerre non pas sur les agresseurs, mais sur les agressés. Ils ne blâment pas la soif de pouvoir de Poutine, mais la soif de liberté de l’Ukraine. J’aimerais donc leur demander: reprocheriez-vous aux Hongrois l’invasion soviétique de 1956? Blâmeriez-vous les Tchèques pour la répression soviétique de 1968? La réponse à ces questions est claire et nette: le comportement du Kremlin était illégal et cruel à l’époque. Et le comportement du Kremlin est tout aussi illégal et cruel aujourd’hui. Nous autres, Européens, avons de nombreuses histoires différentes. Nous parlons beaucoup de langues différentes, mais dans aucune langue que ce soit, la paix n’est synonyme de capitulation. Dans aucune langue, la souveraineté n’est synonyme d’occupation. Ceux qui appellent à mettre fin au soutien apporté à l’Ukraine ne plaident donc pas en faveur de la paix. Ils plaident en faveur de l’apaisement et de la soumission de l’Ukraine.

Par conséquent, aujourd’hui, je voudrais m’adresser à tous ceux qui, après 1 000 jours de destruction et de mort, demandent en toute sincérité si l’heure ne serait pas aux pourparlers. Il appartient avant tout à nos amis ukrainiens de répondre à cette question. Nous voulons, et eux aussi, que la guerre se termine le plus vite possible. Mais alors que beaucoup, hors d’Europe, ne pensent qu’à la fin des combats, je soutiens, quant à moi, que la paix, ce n’est pas uniquement l’absence de guerre. La paix est un accord dont la conclusion rend la guerre impossible et inutile. Aussi faut-il que nous donnions à l’Ukraine les moyens de négocier une telle paix. C’est la raison pour laquelle nous avons placé l’intégration de l’Ukraine dans notre Union européenne au cœur de nos efforts de paix.

Si nous voulons une paix digne de ce nom, nous devons repenser entièrement le fondement même de l’architecture de sécurité européenne. L’invasion de la Russie a été une révélation pour l’Europe. Ce qui est en ruine, ce ne sont pas seulement des villes ukrainiennes, mais aussi bon nombre de nos postulats de base en matière de sécurité. Pendant des décennies, beaucoup ont prétendu que l’interdépendance économique était la garantie suprême de notre sécurité. Vous savez tous que l’Europe achetait du gaz russe. Et cela était censé nous offrir l’assurance que Moscou ne déclencherait jamais une guerre sur le vieux continent. C’était une illusion. Poutine a fait passer ses ambitions impérialistes avant la prospérité de son pays. Et notre propre dépendance vis-à-vis de la Russie est devenue un atout entre les mains de Poutine.

Ce qui était perçu comme un facteur de sécurité était en fait un facteur de vulnérabilité. Lorsque la Russie a commencé à envoyer ses troupes vers la frontière avec l’Ukraine, elle a aussi coupé l’approvisionnement en gaz pour faire pression sur l’Europe. Nous nous rappelons tous le choc et l’effroi que nous avons éprouvés quand a commencé l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, mais aussi notre crainte de subir des pannes d’électricité généralisées en Europe. Ces craintes ne se sont jamais vérifiées. Et pour quelle raison? Parce que l’Europe a immédiatement reçu le soutien de tous ses partenaires. Les États-Unis, par exemple, ont immédiatement augmenté les livraisons de LNG, et la Norvège les livraisons de gaz par gazoduc. Mais nous nous sommes aussi aidés nous-mêmes. Nous avons bâti de nouvelles infrastructures. Nous avons fait des achats groupés d’énergie afin d’avoir un fort pouvoir de marché. Nous avons fait baisser les prix et les avons maîtrisés – ils sont encore trop élevés, mais nous les avons fait considérablement baisser. Mais, surtout, nous avons tâché d’apporter une réponse structurelle à cette crise. Nous avons investi massivement dans les énergies renouvelables. Et nous investissons dans des carburants d’avenir, par exemple dans l’hydrogène propre. Et le résultat est là: au premier semestre 2024, 50 % de notre électricité a été produite à partir de sources d’énergie renouvelables. L’éolien et le solaire ont produit davantage d’électricité que tous les combustibles fossiles réunis. Non seulement Poutine a lamentablement échoué dans sa tentative de chantage contre notre Union, mais il a même donné un coup d’accélérateur à la production d’énergies renouvelables en Europe qui nous rend indépendants.

Et nous avons tiré les enseignements de cette expérience. En ce qui concerne notre énergie, il nous faut davantage d’énergie produite localement, davantage d’énergies renouvelables, davantage de nucléaire, davantage d’efficacité. Pour nos technologies, les semi-conducteurs et l’intelligence artificielle, il nous faut mettre au point nos propres solutions européennes. Selon moi, l’innovation et la compétitivité sont non seulement un élément essentiel de notre prospérité future, mais elles sont aussi essentielles et cruciales pour notre sécurité à long terme.

Nous en avons également tiré des enseignements dans un deuxième domaine. L’Europe a dépassé son ancienne réticence à engager les dépenses nécessaires pour sa propre défense. J’en viens ici à la question de notre coopération transatlantique. Je ne saurais trop insister sur l’importance du soutien que les États-Unis ont apporté à l’Ukraine depuis le début de cette guerre. Une fois de plus, l’Amérique s’est portée au secours de la liberté de tous les Européens. Cela m’inspire une profonde gratitude, mais aussi un profond sentiment de responsabilité. Protéger l’Europe est avant tout le devoir de l’Europe. Certes, l’OTAN doit conserver une place centrale dans notre défense collective, mais nous avons besoin d’un pilier européen beaucoup plus fort. Nous, Européens, devons avoir les moyens de nous défendre, de nous protéger et de dissuader d’éventuels adversaires.

Depuis le début de la guerre, nous avons déjà accompli des progrès sans précédent. Les États membres ont accru leurs dépenses de défense: de 200 milliards d’euros juste avant la guerre, elles sont passées à près de 300 milliards d’euros cette année. Et notre industrie de la défense s’est adaptée à cette nouvelle réalité. Nous avons rouvert des lignes de production. Nous avons passé de nouvelles commandes et nous avons allégé la bureaucratie afin d’accroître et d’accélérer la production. Mais ce n’est pas suffisant. En réalité, même si les Européens prennent au sérieux les menaces qui pèsent actuellement sur la sécurité, il faudra du temps et des investissements massifs pour restructurer nos industries de la défense. Notre objectif doit être de mettre en place une production d’envergure continentale pour la défense. L’Europe centrale est très bien placée pour être l’un des moteurs et l’un des grands bénéficiaires de cette nouvelle impulsion donnée au secteur européen de la défense. À cet égard, le défi, pour les petits pays et les petites entreprises, sera d’apprendre à voir grand, vraiment grand. Nous devons envisager une refonte systémique de la défense européenne. C’est pourquoi je nommerai un commissaire qui se consacre à part entière à la défense au sein de la prochaine Commission. C’est la responsabilité stratégique de l’Europe.

Pour conclure, Mesdames et Messieurs,

Au début de cette décennie, de nombreuses illusions ont été anéanties en Europe. L’illusion que la paix avait été instaurée une fois pour toutes. L’illusion que la prospérité importait davantage à Poutine que ses rêves délirants d’empire. L’illusion que l’Europe en faisait assez en matière de sécurité, que ce soit sur le plan économique ou militaire. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous permettre de nous bercer d’illusions. La seconde moitié de cette décennie sera à haut risque. La guerre en Ukraine et le conflit au Proche-Orient ont déclenché des bouleversements géopolitiques. Les tensions sont également vives en Extrême-Orient. Nous sommes confrontés au changement climatique, notamment à la désertification de régions entières. Nous, Européens, devons être sur nos gardes. Nous devons recentrer notre attention sur la dimension sécuritaire dans tout ce que nous faisons. Nous devons penser notre Union comme étant intrinsèquement un projet de sécurité. Et l’Europe centrale a un rôle crucial à jouer. C’est pourquoi je suis si heureuse d’être ici, aujourd’hui, pour ce forum GLOBSEC, car il faut que vous soyez au cœur de la sécurité européenne. Vous devez être au cœur de l’avenir de notre Union. Je compte sur vous.

Merci beaucoup, et vive l’Europe.

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