
Entretien exclusif avec le Docteur Guy-André Pelouze sur l’impact de la pandémie de COVID-19 sur la santé mentale des Français.
Docteur Guy-André Pelouze, vous êtes un chirurgien reconnu, passionné par les avancées médicales survenues depuis un demi-siècle. Vous portez également une attention particulière aux conditions d’exercice et à l’évolution du système de santé en France.
Évaluation de la prévalence des troubles psychiques en France :
VDA / Quelle est votre analyse quant à la prévalence des affections psychiques en France, sachant que chaque année, un Français sur cinq est concerné par un trouble mental ?
Il s’agit d’un point capital. Il faut pouvoir identifier et mesurer les maladies mentales en ayant les données ouvertes sur les statistiques du système de soins. En s’intéressant à ce sujet, on découvre une grande incertitude. Quelles sont les sources d’incertitude ?
- Tout d’abord, la confusion entre incidence et prévalence. Je rappelle que l’incidence est le nombre de cas nouveaux d’une maladie déclarée dans une population pendant une période donnée, par exemple une année. La prévalence est le nombre de cas d’une maladie dans une population, qu’il s’agisse des nouveaux cas ou des cas anciens. L’incidence et la prévalence sont indispensables comme outils épidémiologiques pour savoir ce qui se passe dans une population. Et manifestement, il y a des mouvements lents, parfois linéaires, parfois chaotiques, et des mouvements accélérés, d’allure épidémique, comme par exemple après la Covid-19.
- De quelles maladies parlons-nous ? Il y a tout d’abord les maladies psychiatriques : dépression, anxiété et psychoses, mais on s’aperçoit que dans plusieurs articles, y compris académiques, on ajoute aussi les addictions, notamment l’alcoolisme, les drogues, les causes post-traumatiques…
- Autre source d’incertitude : le mélange des périodes d’évaluation de la prévalence. Certains parlent de la prévalence sur une année, d’autres sur toute la vie, d’autres sur 10 ans. Bref, c’est assez compliqué d’avoir une évaluation partagée par les différents auteurs académiques.
Il y a une grande incertitude qui perdurera tant que les statistiques de l’Assurance Maladie ne seront pas accessibles en données brutes anonymisées. C’est la raison principale pour laquelle on peut lire dans la littérature une prévalence en France d’environ 7 % pour les dépressions, de 5 % pour les troubles anxieux et de 3 % pour les psychoses. Pourtant, vous avancez dans votre question le pourcentage de 20 %, et la Fondation de France a récemment publié un rapport qui évalue cette prévalence à 25 %, soit un Français sur quatre. Curieusement, cet impératif de métrologie, qui permettrait une meilleure conception des politiques publiques, ne préoccupe pas suffisamment les autorités chargées de la santé publique.
VDA / De quelle manière la pandémie de COVID-19 a-t-elle influencé la santé mentale des Français, et quelles leçons en avons-nous tirées pour perfectionner notre système de prise en charge psychologique ?
La pandémie de Covid-19 a augmenté la prévalence des maladies mentales, au moins par trois mécanismes :
- L’impact immédiat chez les patients faisant une forme grave de l’infection virale : conséquences des signes généraux, fièvre, asthénie majeure, perte de poids et de masse musculaire, hospitalisation et isolement. Un exemple : l’après-infection Covid-19 nécessite chez de très nombreux patients (y compris chez les non hospitalisés) une rééducation cardiorespiratoire et musculaire. Ce qui s’est passé en réalité, c’est que ce traitement n’a pas été prescrit alors que nous avons les structures pour ce faire. Un des avantages de cette rééducation, pratiquée en externe ou en hospitalisation de demi-journée, est justement la prévention et/ou le traitement précoce des maladies mentales apparues pendant ou au décours de l’infection. Se déplacer au centre de rééducation, rencontrer des soignants, d’autres patients est un atout formidable pour guérir plus vite. En vie réelle, les patients atteints d’une forme grave qui ont survécu ont été traités comme des survivants chanceux qui allaient guérir tout seuls des conséquences une fois l’infection terminée. C’était faux.
- L’atteinte cérébrale prolongée de ce que l’on appelle le Brain Covid. Certaines personnes qui n’avaient pas de diagnostic psychiatrique avant de contracter la Covid-19 ont présenté des symptômes neuropsychiatriques après leur infection virale. Nombre d’entre elles ont fini par souffrir de symptômes de Covid long tels que des douleurs diffuses, une profonde asthénie, une fatigabilité cérébrale majeure (conservation du potentiel cognitif de l’ordre de 15-30 minutes par jour), une confusion mentale, un manque d’attention soutenue, des troubles de la mémoire, une dépression, de l’anxiété, de la fatigue musculaire et de l’irritabilité. Ceci a été très difficile pour ces patients, car la première réaction des soignants a été l’incrédulité ou bien l’indifférence au milieu du drame pandémique qui se poursuivait. Il a fallu des mois pour que ces cohortes de Covid long et, au sein de ces dernières, le Covid cérébral soient étudiés, dénombrés et reconnus.
- Les patients psychiatriques ou ayant des antécédents psychiatriques peuvent récidiver dans le contexte de la pandémie, principalement en attrapant le virus. Ce sont des troubles mentaux qui ont été probablement mieux pris en charge, car le médecin traitant a reconnu le risque, ayant connaissance des antécédents.
VDA/ Selon vous, quels sont les principaux obstacles entravant la déstigmatisation des maladies mentales, et comment pourrions-nous favoriser une meilleure compréhension et acceptation de ces affections au sein de la société ?
Je ne sais pas s’il y a une stigmatisation des maladies mentales. Comparons au passé et non à un maximum idéalisé : le patient psychiatrique n’est plus considéré comme un dingue sans possibilité de guérir ! La question qui se pose aujourd’hui, c’est le recours. Ce recours est difficile en raison du peu de temps clinique des soignants en général, qu’il s’agisse des psychologues, des psychiatres ou des infirmières spécialisées en psychiatrie. Cette situation se caractérise par différents aspects : organisationnels, économiques et conjoncturels…
VDA/ Quelles stratégies préventives devraient être mises en œuvre pour diminuer l’incidence des troubles mentaux et favoriser une intervention précoce ?
J’ai déjà expliqué au début de cet entretien que la métrologie précise de l’incidence et de la prévalence des maladies mentales est un préalable pour savoir si le système de soins est efficace dans la réduction de ces maladies.
S’agissant de la prévention, c’est un chantier immense qui est complètement en jachère, puisque l’action de santé publique en France se résume à des flyers édités par l’agence Santé publique France. En réalité, la prévention des maladies mentales commence chez la mère et pendant la grossesse. Le cerveau du fœtus est un organe fragile qui souffre de conditions adverses comme la prise d’alcool, la prise de médicaments, le tabagisme, les drogues, la dénutrition, en particulier le fait de se nourrir majoritairement d’aliments ultra-transformés.
La protection maternelle, infantile et familiale a plutôt régressé. Dans le même temps, le nombre de grossesses à risque a augmenté. Ces faits ont des conséquences cognitives et, plus largement, mentales sur les enfants.
La pratique de l’exercice physique, notamment chez les enfants et les adolescents, s’est profondément modifiée depuis deux à trois décennies. Cette pratique est devenue périphérique, les programmes ont été modifiés dans le sens d’un accès à des disciplines sportives multiples et variées. Ce qui a, par contre, eu pour conséquence une diminution du volume de l’activité physique en elle-même, qu’il s’agisse de la résistance ou de l’endurance. Or, l’activité sportive a des vertus préventives reconnues sur les maladies mentales. Cette situation s’est aggravée depuis la Covid-19, qu’il s’agisse d’ailleurs des mineurs comme des adultes. La conséquence de l’effondrement de l’activité physique, qu’il s’agisse du recours à des modes de transport consommant de l’énergie exogène ou de l’abandon des activités sportives pendant les loisirs, a une conséquence pour certains : une prise de poids, voire l’obésité. Or, le surpoids et l’obésité sont des facteurs favorisant et associés, dans un nombre d’études considérable, à la dépression et à l’anxiété.
La prévention des maladies mentales est un sujet de grande importance au moment où l’adaptation aux nouvelles conditions de vie est un facteur clé d’intégration. Cette adaptation est limitée en cas d’atteinte à la santé mentale. Développer des politiques de santé publique nécessite beaucoup de temps et des moyens, alors que nos dépenses de soins sont élevées. Le nécessaire fléchage du financement (venant de l’État et non des cotisations maladie) peut être un préalable qui mettra fin à l’ambiguïté d’un assureur maladie censé rembourser des soins et de la prévention. Faire des régions les opérateurs de santé publique est un autre moyen en amont pour rendre la dépense efficiente, et là, c’est l’expérience de nos voisins européens qui le montre.