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Faut-il déplacer la Joconde ?

La suggestion, récemment lancée, d’envoyer « la Joconde » au Musée du Louvre-Lens, pour une exposition temporaire, pose une question passionnante.
Pour certains, les grands chefs d’œuvre de l’art, dont cette œuvre iconique, doivent se déplacer là où se trouve un public qui n’aura jamais ni l’envie ni les moyens de venir les admirer là où ils se trouvent en permanence. Et qui, s’ils y venaient, seraient pris dans la foule des touristes empêchant quiconque d’approcher sérieusement de ces trésors.
Pour d’autres, déplacer une telle pièce est impossible, en raison de sa fragilité, du cout de ses assurances et de la sécurité qu’elle exige. De plus, disent-ils, les spectateurs n’iront pas plus la voir à proximité de chez eux qu’à Paris, qui n’est pas si loin.
De fait, personne ne conteste la nécessité des prêts d’œuvres d’un musée à l’autre. Et c’est même le cœur de l’activité de bien des conservateurs et des directeurs de musée que de planifier, plusieurs années à l’avance, des expositions provisoires, en demandant aux autres musées du monde entier, de leur prêter des œuvres, en faisant valoir, dans leurs requetés, les prêts qu’ils ont déjà consentis, ou qu’ils sont décidés à accepter en échange. Ainsi, dans ce gigantesque troc artistique, des milliers, des dizaines de milliers d’œuvres, voyagent-elles tous les ans à travers le monde d’un musée à l’autre. Et cela permet d’organiser des expositions thématiques, des rétrospectives, absolument indispensables à la connaissance de l’art, à la critique, et à la vie des musées.
Mais malheureusement ces expositions ne sont visibles que par un très petit nombre de gens, même si leur public se compte parfois en millions.
On pourrait imaginer aujourd’hui de se préparer à bien plus, en utilisant les moyens que donnent les technologies d’aujourd’hui : au lieu de déplacer des œuvres si délicates, pourquoi ne pas numériser le million d’œuvres les plus importantes , disséminées dans des milliers de musées du monde ( et certaines œuvres majeures sont dans des musées négligés, souvent mal entretenus ) et les exposer en réalité virtuelle, en trois dimensions, à la disposition de tous ceux qui disposeraient des lunettes nécessaires pour y avoir accès.
Cela fournirait aux conservateurs la possibilité, absolument passionnante, d’imaginer et d’organiser des expositions avec infiniment plus d’œuvres, et sans les tracas des transports d’aujourd’hui.
Les technologies pour cela existent. Elles sont, comme c’est toujours le cas, déjà utilisées dans les activités militaires. Rien n’interdirait de les mettre massivement à la disposition de l’art.
Les conséquences en seraient révolutionnaires. Peut-être y aurait-il un peu moins de monde dans les très grands musées ; mais ce ne seraient plus des dizaines de milliers de gens, ou, au plus, quelques millions qui verraient les œuvres ainsi rassemblées, cette fois virtuellement et pour l’éternité, mais des centaines de millions ou même des milliards. Avec une précision telle qu’on ne pourrait plus discerner l’original de la copie.
Un jour peut-être même, toutes les œuvres d’art réelles seront définitivement rangées dans des coffres forts, et accessibles seulement par leurs réplications virtuelles.
Après tout, c’est déjà le sort des œuvres littéraires, dont plus personne n’imagine plus lire la version manuscrite de l’auteur.
Meilleur ou pire des mondes ?

Auteur de 100 jours pour que la France réussisse;Jacques Attali est un économiste, écrivain et haut fonctionnaire français, né le 1er novembre 1943 à Alger.Conseiller d’État, professeur d’économie, conseiller spécial de François Mitterrand de 1981 à 1991, puis fondateur et premier président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) en 1991, il a présidé en 2008 la Commission pour la libération de la croissance française. Il dirige actuellement le groupe Positive Planet et le groupe Attali & Associés.

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