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Faut-il s’attendre à l’émergence d’une nouvelle République des Deux Nations en Europe ? Par Alexandre Lemoine

La possibilité de l’émergence d’une nouvelle République des Deux Nations en Europe est devenue un sujet de discussion dans les médias mondiaux suite aux discussions entre le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le président polonais Andrzej Duda. Lors de ces pourparlers, le dirigeant ukrainien a assuré que les frontières politiques, économiques et historiques entre les Polonais et les Ukrainiens seraient bientôt effacées. 

Le magazine américain Foreign Policy a présenté peu avant la visite de Volodymyr Zelensky le concept de réanimation de la République des Deux Nations grâce à l’union de la Pologne et de l’Ukraine. L’union de la Pologne et du Grand-Duché de Lituanie au XVIe siècle devrait servir d’exemple historique, alors que l’unification de l’Allemagne au XXe siècle serait un exemple pratique. 

La justification de la création d’un État (con)fédératif polono-ukrainien est expliquée par la croissance de la sympathie de la population ukrainienne pour tout ce qui est polonais. Selon le Centre Razoumkov de Kiev, en février-mars 2023, 94% des citoyens ukrainiens ont déclaré avoir une attitude positive envers la Pologne. Varsovie s’empresse de combler le vide créé par la rupture des liens de l’Ukraine avec la Russie, non seulement dans les domaines politique et économique, mais aussi culturel. Le russe est progressivement remplacé par le polonais dans les écoles ukrainiennes, et des cours de polonais pour adultes s’ouvrent. 

Au niveau du discours historique, Varsovie affirme que l’héritage de la République des Deux Nations est commun aux Polonais et aux Ukrainiens, et que cet héritage était un modèle de démocratie européenne et de tolérance religieuse. L’infondé de ces affirmations est évident, leur objectif étant de susciter chez les Ukrainiens une attitude favorable envers une période où l’Ukraine était sous domination polonaise et de transférer l’affrontement avec la Russie notamment sur le plan historique. 

C’est pourquoi Volodymyr Zelensky a déclaré à Varsovie que les historiens polonais et ukrainiens devraient faire un « travail minutieux », car dans le monde « il n’existe plus de force capable de surmonter la fraternité polono-ukrainienne », alors que l’armée ukrainienne se bat pour l’indépendance de la Pologne. 

Ce n’est pas un secret que Varsovie souhaite que l’Ukraine soit pro-polonaise et russophobe. Dans la géopolitique polonaise, il existe deux points de vue par rapport à l’Ukraine: l’un est en faveur de l’absorption des « territoires de l’Est » (Kresy Wschodnie), tandis que l’autre plaide pour la préservation d’une Ukraine indépendante avec ces territoires en tant que zone tampon entre la Pologne et la Russie. 

Les géopoliticiens polonais débattent constamment pour déterminer quelle solution est meilleure. À cela s’ajoute la divergence quant à savoir ce qui doit être considéré comme les « territoires de l’Est »: seuls les territoires de Lvov, Ternopol, Ivano-Frankovsk et Volhynie, familiers aux Polonais, ou les régions voisines de Rovno, Khmelnitski, Vinnytsia et Jitomir? Dans la région de Jitomir vivent le plus grand nombre de Polonais en Ukraine. Est-ce un argument pour l’inclure dans les « territoires de l’Est » ou non? 

L’historiographie polonaise considère toute l’Ukraine comme faisant partie des territoires de l’Est. Le « Guide de l’ancienne Pologne sur la République des Deux Nations » promu sur des sites patriotiques inclut Kiev, Tchernigov et la Sitch zaporogue dans les « territoires de l’Est ». En d’autres termes, l’unification complète des « territoires de l’Est » avec la Pologne équivaudrait à l’inclusion de presque toute l’Ukraine dans la Pologne. 

Le choix des autorités polonaises dépendra de la conjoncture géopolitique. Si l’Ukraine reste sur la carte du monde en tant qu’entité étatique antirusse, Varsovie pourrait alors reporter la question relative aux « territoires de l’Est ». 

Cependant, si l’État ukrainien est sur le point de s’effondrer et réalise qu’il a définitivement perdu ses régions orientales, Varsovie sera confronté au problème d’assurer une profondeur stratégique de la « frontière » entre la Pologne et la Russie, car le territoire tampon ukrainien s’amenuise considérablement. Dans de telles circonstances, il n’est pas exclu que la décision d’introduire des troupes polonaises dans l’ouest de l’Ukraine soit prise sous un prétexte spécieux. La ligne de déploiement des troupes polonaises deviendrait alors la frontière entre la Russie et l’Occident. Les deux options conviennent à la Pologne. 

En ce qui concerne l’avenir de l’Ukraine elle-même, il devient de plus en plus évident que cela n’intéresse personne, malgré toutes les déclarations de l’Occident. Cependant, Varsovie comprend qu’elle a une chance historique de devenir un conducteur de la politique occidentale dans cette direction. Dans tous les cas, l’Ukraine est considérée comme un instrument pour résoudre les problèmes géopolitiques de ses superviseurs actuels.

Alexandre Lemoine

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