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France : le revenu universelle est un devoir pour notre planète

 

Dans sa présentation de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, le Président de la République a annoncé le 13 septembre 2018 la création d’un « revenu universel d’activité qui fusionne le plus grand nombre de prestations », mais il existe plusieurs formes de revenu universel dont les principes et les objectifs sont très différents.

Dans une version « libérale », le revenu universel est une somme forfaitaire versée sans condition à tous les Français (ou résidents), de tous âges, qui leur assure une ressource minimale pour vivre. Ils peuvent la compléter en exerçant une activité professionnelle et gèrent librement leurs dépenses, notamment en s’assurant eux-mêmes contre tous les risques, y compris les « risques sociaux » (maladie, chômage…). Un revenu universel mensuel de 740 € par personne pourrait ainsi être financé par la suppression de toutes les prestations sociales (près de 600 Md€). Un tel projet est inacceptable car certains risques doivent faire l’objet d’une assurance publique obligatoire.

Dans une version « sociale », le revenu universel serait également une somme forfaitaire versée sans conditions à tous les Français (ou résidents), mais toutes les prestations actuelles seraient maintenues à l’exception des minima sociaux. Il aurait un coût faramineux de plusieurs centaines de milliards d’euros, ce qui est totalement irréaliste.

Dans une version « pragmatique » et préférable, il ne s’agit pas d’un revenu « universel » mais d’une prestation sociale sous conditions, notamment de revenu, qui regroupe les minima sociaux actuels et la prime d’activité. L’objectif se limite à une simplification et à une mise en cohérence de ces dispositifs pour en faciliter le recours et en réduire les coûts de gestion. La hausse de la prime d’activité donne en outre une plus forte incitation au travail.

L’intégration des allocations de logement dans ce « revenu universel d’activité » permettrait d’éviter les effets inflationnistes de ces prestations sur les loyers. Elle ferait évoluer dans un sens plus « libéral » une protection sociale française caractérisée par la prolifération de prestations et de tarifs sociaux visant à réduire le coût, pour les plus pauvres, de biens et services particuliers considérés comme essentiels. Le revenu universel d’activité pourrait d’ailleurs utilement remplacer certains tarifs sociaux.

Les critères d’attribution du revenu universel d’activité seront certainement alignés sur ceux des prestations les plus favorables pour que la réforme ne lèse personne. Les dépenses publiques seront donc nécessairement accrues.

A)La version la plus libérale du revenu universel est socialement inacceptable

Dans une version « libérale », le revenu universel remplacerait toutes les prestations sociales. Son principe est en effet de verser à tous les Français (ou résidents) de tous âges le revenu minimum nécessaire pour vivre, sans aucune condition, puis de les laisser compléter ce revenu minimum par une activité professionnelle et gérer librement leurs dépenses, notamment en s’assurant eux-mêmes contre les risques associés, par exemple, à la vieillesse, à la maladie ou à la perte de son emploi.

Le montant des prestations sociales versées aujourd’hui par les administrations publiques s’élève à presque 600 Md€. Elles pourraient être remplacées, à coût budgétaire constant, par une allocation universelle de 740 € par personne et par mois, soit un peu plus que le RSA socle (551 € par mois pour un célibataire sans enfant).

Dans une version encore plus « libérale », le revenu universel pourrait également remplacer les services publics dont la consommation est individuelle (l’éducation par exemple).

Cependant, ce revenu universel serait inférieur à la plupart des pensions de retraite actuelles et il est trop tard pour la plupart des retraités pour le compléter en épargnant des revenus d’activité. Remplacer le système actuel de retraite par un revenu universel aurait le même effet que le remplacement immédiat intégral d’un régime de retraite par répartition, qui organise la solidarité entre générations successives, par un régime en capitalisation, dans lequel chacun épargne une partie de ses revenus d’activité pour disposer de revenus du capital après un certain âge : il sacrifierait la génération actuellement à la retraite, ce qui est inimaginable.

La problématique est analogue pour l’assurance chômage : il est difficilement envisageable de remettre totalement en cause les allocations des chômeurs actuels, qui ont versé des cotisations pour y avoir droit, en les remplaçant par un revenu universel de 740 € par mois pour tous.

En outre, beaucoup de personnes ne pourraient pas s’assurer contre les risques liés à une santé dégradée. En effet, des assureurs privés en situation de concurrence exigent des primes d’autant plus élevées que le risque est important. Ces primes peuvent être incompatibles avec des revenus limités à l’allocation universelle, même complétée par des revenus d’activité. L’Etat doit donc intervenir pour mutualiser les risques, soit par une assurance publique obligatoire, soit en y contraignant les compagnies d’assurance par la réglementation (plafonnement des primes, interdiction du refus d’assurance…). Or une telle réglementation, nécessairement complexe et coûteuse, réduit l’intensité et les bénéfices de la concurrence.

Les enfants ne seraient pas en état de gérer eux-mêmes un revenu universel et il n’est pas toujours certain que leurs parents le feraient dans leur intérêt. Il serait donc nécessaire de remplacer une partie de l’allocation universelle par des services publics permettant de satisfaire leurs besoins essentiels, notamment d’éducation.

Enfin, si les prestations sociales peuvent être en théorie remplacées par un revenu universel de 740 € par personne et par mois pour le même coût budgétaire, une telle réforme entraînerait des transferts massifs entre ménages gagnants et perdants et obligerait en pratique à indemniser beaucoup de perdants, ce qui se traduirait in fine par une augmentation considérable des dépenses publiques.

Un revenu universel ne peut donc pas remplacer toutes les prestations sociales et encore moins celles-ci et les services publics individualisables.

B)La version la plus sociale du revenu universel aurait un coût faramineux

Dans une version « sociale », le revenu universel est également une somme forfaitaire versée à tous les Français (ou résidents) de tous âges sans condition. A la différence de sa version libérale ce revenu universel remplacerait les minima sociaux mais pas les autres prestations sociales, qui seraient donc maintenues en l’état.

Il existe en effet neuf minima sociaux. Les ressources prises en compte, les conditions de cumul avec une rémunération d’activité et les modalités de majoration des allocations en fonction de la configuration familiale diffèrent d’un dispositif à l’autre sans que les justifications en soient toujours claires. En outre, ces minima sont financés et gérés par des organismes différents. Si les prestations sont le plus souvent payées par les caisses d’allocation familiales, les dossiers peuvent devoir être déposés auprès d’autres services qui les instruisent et prennent la décision, le financeur étant encore une autre administration[1].

En conséquence, les bénéficiaires potentiels ne demandent pas toujours les allocations auxquelles ils ont droit. Le taux de non-recours au RSA socle est de 36 % ; 17 % des non-recourant ne connaissent pas le RSA et environ sept sur dix évaluent mal leur éligibilité. Le contrôle de l’éligibilité des demandeurs par les organismes gestionnaires de ces dispositifs est également rendu plus difficile du fait de cette complexité.

La création d’un revenu universel sans condition faciliterait le recours à cette prestation puisque, par principe, aucune formalité ne serait requise hormis la présentation d’une pièce d’identité.

Ce revenu universel devrait être au moins égal au RSA socle attribué aux célibataires (551 € par mois). Versé à 67 millions de personne, son coût serait alors de 443 Md€ et ne pourrait être compensé par la suppression des minima sociaux qu’à hauteur de 26 Md€. Il faudrait augmenter les prélèvements obligatoires de 41 % pour le financer, ce qui est totalement irréaliste.

C)Un regroupement des minima sociaux et de la prime d’activité serait une solution pragmatique bien préférable

Un regroupement des minima sociaux sous la forme d’une prestation unique d’un même montant pour tous les Français (ou résidents), au-delà d’un certain âge, en fonction de leurs ressources serait une solution pragmatique et bien préférable aux précédentes. Etant attribuée sous condition de ressources, cette prestation unique n’aurait en réalité rien d’universel.

Des rapports ont déjà examiné la faisabilité de ce projet, notamment en 2016 celui de C. Sirugue au Premier ministre. Des propositions semblables ont également été formulées et mises en œuvre au Royaume-Uni.

La fusion de certains minima dans cette allocation unique pourrait être difficile. Il est en effet peu envisageable d’attribuer aux adultes handicapés le même montant qu’aux personnes sans handicap. Le revenu « universel » devrait donc être majoré en fonction du handicap, ce qui conduirait en pratique à créer une « majoration du revenu universel pour cause de handicap » qui aurait en fait probablement les caractéristiques de l’actuelle allocation aux adultes handicapés (AAH).

La fusion des trois autres principaux minima sociaux (RSA, allocation de solidarité pour les personnes âgées et allocation de solidarité spécifique pour les demandeurs d’emploi) devrait présenter moins de difficultés à cet égard. Elle suppose néanmoins un rapprochement des systèmes d’information des administrations qui les gèrent aujourd’hui, ce qui n’est jamais facile.

Le financement de ce « revenu universel » devrait relever de la responsabilité de l’Etat et les départements n’auraient donc plus à financer le RSA, ce qui pourrait être une compensation du transfert de leur part de taxe foncière aux communes dans le cadre de la refonte de la fiscalité locale imposée par la suppression complète de la taxe d’habitation. La gestion du revenu universel pourrait être déléguée par l’Etat aux caisses d’allocation familiale ou à un autre réseau dans le cadre du « service public de l’insertion » qui a également été annoncé dans le plan contre la pauvreté mais dont les contours sont encore incertains.

L’attribution du « revenu universel » devrait être en effet accompagnée d’incitations à l’exercice d’une activité professionnelle, et plus généralement à l’insertion sociale, pour ceux qui en ont encore l’âge. La coordination des divers acteurs de l’insertion dans le cadre d’un « service public de l’insertion » est sans doute une idée intéressante à approfondir mais les incitations monétaires sont également importantes. L’intégration de la prime d’activité dans la prestation unique est donc nécessaire et son augmentation, telle que prévue par le Gouvernement (80 € par mois à l’horizon de 2022 pour son montant maximal), est bienvenue.

D)L’intégration des allocations de logement dans le revenu universel d’activité serait souhaitable

Le Président de la république a déclaré que « en fusionnant le plus grand nombre de prestations sociales, du RSA aux APL, nous pourrons enfin garantir un socle minimal de dignité à tous ceux qui doivent en bénéficier ».

Le revenu universel d’activité pourrait en effet intégrer les aides personnelles au logement : l’allocation personnalisée au logement (APL), l’allocation de logement à caractère social (ALS) et l’allocation de logement familiale (ALF). Les raisons pour lesquelles il en existe trois sont d’ailleurs surtout historiques et elles pourraient en tout état de cause être regroupées.

Les aides personnelles au logement ont pour avantage, par rapport aux « aides à la pierre » (constructions d’immeubles HLM…) de cibler les ménages qui en ont le plus besoin, de leur laisser un certain choix de logement et de ne pas freiner la mobilité. Comme le rappelle une étude du centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP) de 2015, elles ont toutefois pour inconvénient de pousser les loyers à la hausse, les propriétaires récupérant ainsi indirectement une grande partie des aides. Les principales contraintes en matière de logement étant du côté de l’offre, cet effet inflationniste sur les loyers est important et l’efficience de ces allocations est finalement faible.

En outre, leur articulation avec les minima sociaux est complexe et elles contribuent à la formation de « trappes à chômage » : les revenus tirées d’une activité étant à peine plus élevés que les minima sociaux majorés des aides au logement, certaines personnes peuvent ne pas être incitées à accepter des offres d’emplois.

Les aides personnelles au logement pourraient donc être supprimées et les économies ainsi dégagées devraient être utilisées pour majorer le revenu universel d’activité et permettre de le cumuler dans une proportion suffisante avec les revenus d’activité pour limiter les effets de trappe à chômage.

Le revenu universel d’activité serait indépendant du logement occupé et du loyer payé, ce qui éviterait les effets inflationnistes sur les loyers des aides au logement. Les ménages seraient libres de l’utiliser pour louer un logement plus grand ou, par exemple, pour acheter des biens d’équipement du foyer. Les difficultés de logement dans certaines zones doivent en effet et peuvent être traitées par d’autres instruments de politique économique (cf. note sur la politique du logement).

L’extension du revenu universel d’activité aux allocations de logement aurait une signification politique forte puisqu’il s’agirait de remplacer des aides à la consommation de biens et services particuliers, dans une approche tutélaire, par une prestation non affectée, dans une approche plus libérale laissant aux ménages la responsabilité de leurs choix de consommation.

La fusion du RSA et de la prime pour l’emploi (qui a été remplacée par la prime d’activité) avec les allocations de logement a été analysée par le CEPREMAP en s’appuyant sur des simulations réalisées par l’institut des politiques publiques. Il apparait que cette réforme contribuerait à réduire les inégalités de revenus. Réalisée à dépenses publiques globalement inchangées, elle ferait nécessairement des perdants, pour des montants non négligeables. Ces travaux devront être actualisés pour tenir compte des prestations et des revenus actuels.

E)Le revenu universel d’activité pourrait également remplacer certains tarifs sociaux

Les ménages doivent souvent contribuer au financement de services publics dont les tarifs dépendent de leurs revenus. C’est notamment le cas des services locaux : crèches municipales, équipements sportifs et culturels, cantines scolaires, transports urbains… Leurs tarifs sont généralement décroissants avec le « quotient familial » (revenu du ménage divisé par sa taille). C’est également le cas de services publics nationaux, tels que l’électricité et le gaz, pour lesquels ont été institués des « tarifs sociaux » en faveur des ménages à faibles revenus, désormais remplacés par des « chèques énergie ».

Ces tarifs sociaux contribuent à la redistribution des revenus mais cette contribution n’a jamais été mesurée parce que ces dispositifs sont trop nombreux et divers. Le coût des tarifs sociaux mis en œuvre par les collectivités locales n’est souvent pas connu.

En remettant un peu plus en cause l’approche tutélaire des pouvoirs publics sur les choix de consommation des ménages, le revenu universel d’activité pourrait donc être majorée grâce aux ressources tirées de la suppression de certaines de ces réductions tarifaires.

Il est toutefois impossible d’empêcher les collectivités locales de mettre en place des tarifs sociaux, surtout les communes en raison de leur clause générale de compétence. En outre, les tarifs sociaux appliqués à des biens et services destinés aux enfants (cantine, colonies de vacances…) sont nécessaires car on ne peut pas toujours compter sur leurs parents pour utiliser à leur profit les allocations sociales qu’ils reçoivent.

Le revenu universel d’activité pourrait donc surtout remplacer les tarifs sociaux (ou les chèques) appliqués à des services publics nationaux tels que l’électricité.

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[1] Par exemple, l’allocation aux adultes handicapés (AAH) doit être demandée à la maison départementale des personnes handicapées, mise en place et animée par le conseil général, alors que la décision relève d’une commission indépendante des droits et de l’autonomie des personnes handicapées et que le financement est assuré par l’Etat.

 

Source : FIPECO

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