L’alchimiste cherche le Grand Oeuvre au fond de son creuset comme Gauguin partit en quête d’un Graal d’essence esthétique et sacré dans un Ailleurs lointain. Mais l’alchimiste opère aussi la transmutation des vils métaux en une pierre philosophale comme l’artiste qui explore de nouvelles voies plastiques en cherchant à abolir les frontières cloisonnées entre les techniques et disait : « Avec un peu de boue on peut faire du métal, des pierres précieuses, avec un peu de boue mais aussi du génie ! ».
Le parcours de l’exposition du grand Palais, événement culturel très attendu de cet automne, nous invite à découvrir la fabrique des images au travers de techniques variées : œuvres graphiques, céramiques, bois et peintures et met l’accent sur le syncrétisme d’une imagerie singulière. La période bretonne et l’Arcadie tahitienne sont mises à l’honneur avec un focus sur le manuscrit « Noa Noa » album conservé et enrichi par Gauguin jusqu’à sa mort en 1903 et conservé à Orsay
Le Pérou, Pont-Aven, le Pouldu, Panama, la Martinique, Tahiti, les Marquises enfin mais aussi Borobudur, Angkor, l’Egypte ancienne, la Génèse, la civilisation pascuane, la philosophie bouddhiste, les cultes maoris : le creuset des images comme dans un alambic, nourrit la représentation de l’altérité que Gauguin va poursuivre aussi bien dans le temps et dans l’espace : à la fois en remontant aux sources de l’enfance de l’humanité mais aussi dans une invitation au voyage qui doit beaucoup aux périples de Pierre Loti. Au croisement de ces deux recherches du Temps perdu : l’idée d’une resacralisation du Beau par le biais de la représentation édénique. C’est Octave Mirbeau qui a le mieux pressenti la magie du sacré dans l’œuvre de Gauguin : « Il y a dans cette œuvre un mélange inquiétant et savoureux de splendeur barbare, de liturgie catholique, de rêverie indoue, d’imagerie gothique et de symbolisme obscur et subtil ». Gauguin invente dans la Bretagne millénaire mais surtout en Polynésie un langage sacré et poétique qui n’est pas seulement une réaction antimoderne, un refus du naturalisme ou une espèce de manie de l’exotique mais bien cette part de paradis que nous portons en nous et dont seuls le mystique et le poète sont les truchements.
Gauguin atteint la dimension religieuse que tout homme a en partage et qui résonne dans les œuvres majeures présentes au Grand Palais :« la Orana Maria » du Métropolitan de New York ou « Arearea » du musée d’Orsay mais aussi les céramiques oviris où il explore la mythologie maorie. Mais l’ancrage judéo-chrétien reste fort et colore le primitivisme de l’Age d’Or revendiqué d’un parfum mystérieux (« Te nave nave fenua » de 1892). L’exposition au travers d’un ensemble de près de 200 œuvres nous invite à cette divinisation alchimique qui passe du profane au sacré : jamais exposition n’aura si justement porté son nom !