Guerre monétaire : et si l’on parlait des véritables conséquences pour la population ?
Les Echos ont publié le 31 janvier un article intitulé « Et maintenant, voici venir la menace d’une guerre monétaire », par Mohamed A. El-Erian. Derrière un titre un peu ronflant et, à la lecture, un travail indiscutable mis dans sa rédaction, ce genre d’article, typique de la presse dite économique moderne, est pourtant sans grand intérêt. Je tiens tout de suite à préciser que je n’ai rien de particulier contre l’auteur ni Les Echos, la critique qui va suivre pourrait être la même pour de nombreux « papiers » – je suis juste tombé sur celui-là.
Dire par exemple, en parlant du Japon que « [en] à peine deux mois, le yen a perdu plus de 10 % par rapport au dollar et près de 20 % par rapport à l’euro » sans mettre le moins du monde en avant les conséquences d’une telle mesure sur les Japonais semble choquant et passe à côté du sujet. Car sinon, comment parler de « guerre économique » si on ne fait pas cas des victimes ? Les victimes de tels jeux monétaires, faut-il le rappeler, ne sont pas les « états » ni les « pays », mais bien les peuples et les contribuables. La moindre des choses serait de le rappeler.
Pour les japonais, que peut vouloir dire une baisse, supposée artificielle, du yen face à l’euro ? Il n’y a pas de réponse simple sans entrer dans le détail de l’économie japonaise – est-ce pour cette raison que l’auteur l’évite ? – mais il est en général reconnu que cela conduit à une facilitation des exportations vers l’Europe. C’est l’effet recherché. Mais de ce fait, à l’inverse, les importations venant d’Europe seront plus chères. Tant pis donc pour les japonais qui avaient l’intention ou l’habitude d’acheter européen. Ils devront se rabattre sur les produits japonais ou autres qu’ils n’avaient pas l’intention d’acheter à l’origine. Ce sont donc eux qui subissent les conséquences.
En clair, pendant que les « autorités » jouent aux échecs monétaires, les entreprise et les consommateurs doivent subir des variations de marché inopinées et les coûts et pertes qui en découlent. C’est totalement contraire aux lois élémentaires d’une véritable démocratie.
Cette façon de considérer les pays comme s’il s’agissait d’êtres animés et monolithiques est tout à fait caractéristique de la pensée macroéconomique, mais ne repose sur aucune réalité. On trouve ainsi des « la manière dont le monde parviendra à résoudre cette incohérence.. », ou « le Japon est le dernier pays à avoir cédé à la tentation » ou encore « la Suisse… a annoncé et établi un seuil… ».
Bien sûr, il s’agit souvent de figures de style, mais elles expriment autant qu’elles induisent cette idée typique du mauvais économiste voulant qu’il soit possible de considérer un pays comme un être unique doué de raison et jouant un rôle unifié sur la scène mondiale. Ce qui est une absurdité, puisque chaque pays est en réalité constitué de millions de décideurs individuels et qu’il n’y a aucune raison pour que ces millions d’individus autonomes prennent tous la même décision. Notre auteur assimile en fait le gouvernement de chaque pays avec le peuple de ce pays, ce qui revient une fois de plus à parler de guerre en oubliant les soldats et les victimes.
S’agissant de monnaie, l’auteur fait de plus preuve d’une arithmétique un peu rudimentaire. Il nous affirme ainsi : « […] alors que toutes les monnaies peuvent être (et sont) effectivement dépréciées par rapport à quelque chose […] elles ne peuvent pas toutes se déprécier en même temps. Pour que certaines monnaies se déprécient, d’autres doivent s’apprécier. » Grossière erreur. La baisse relative d’une monnaie ne fait pas la hausse absolue des autres monnaies.
Mais pour l’auteur, seuls comptent les taux de change, donc les valeurs relatives des monnaies. Il faudrait peut-être lui rappeler que la meilleure arme économique, s’il faut prendre une terminologie guerrière, reste l’innovation, qui n’a aucun lien avec la monnaie. Tous les « économistes » du monde peuvent bien tenter de tricher avec le marché en forçant les taux de change, si demain arrive un Google ou un Apple qui bouleverse l’ordre établi de sa dernière trouvaille, tous les plans tordus des « banquiers sans-trop » tomberont aussitôt à l’eau pour une douche froide bien méritée.
Faut-il donc le rappeler ? Ce ne sont pas les états qui font l’économie, mais les consommateurs et les entrepreneurs. Les politiques et leur jeux d’échecs – littéralement – ne créent que des obstacles. Il faut dire que l’article parle d’économie comme Keynes alors que les théories keynésiennes sont vides de sens – on oublie dans la presse que les années 70 l’ont bien montré, comme l’avaient analysé des auteurs oubliés tels que F.von Hayek ou L. von Mises de l’école autrichienne. Un paragraphe de l’article est à cet égard particulièrement éclairant et il convient de le citer pour bien comprendre : « L’objectif, ainsi que l’a répété le directeur de la Fed, Ben Bernanke, en décembre, est de « pousser » les investisseurs à prendre plus de risques. On espère surtout qu’un sursaut artificiel du prix des actifs entraînera un sentiment de richesse et d’optimisme, donc des « effets de richesse » et un « esprit animal » qui stimulent la consommation et l’investissement, relancent la création d’emplois et, dans le même temps, « valident » le prix artificiel des actifs. »
Comme l’illustrent les mots soulignés, les keynésiens croient qu’il suffit de jouer du taux d’intérêt pour relancer la machine économique. Et on voit bien combien les mots avouent malgré eux l’artificiel de la chose. Prenons l’investisseur. En temps normal, un investisseur juge un projet à son potentiel à générer de la richesse et à satisfaire le consommateur – un terme absent de cet extrait. Avec les keynésiens et notre ami, l’investisseur est « poussé » au-delà, il faut absolument qu’il investisse pour que la machine consomme du crédit et du chômeur quoiqu’il en coûte. Car peu importe l’avis des consommateurs, il faut et il suffit de pousser pour que ça tourne. Et quand la machine ainsi « artificiellement » trop chauffée explose en une crise, c’est l’investisseur qu’on a poussé qui paie les pots cassés – mais jamais le banquier ni le bureaucrate de la Fed.
On pourrait sans doute développer d’autres erreurs de ce texte. Peu importe, il n’en vaut pas la peine. Ce qui est dommage, c’est qu’une analyse aussi piètre des vrais sujets économiques trouve sa place dans un journal aussi prestigieux que Les Echos, contribuant ainsi à maintenir dans les esprits du plus grand nombre une vision du monde et de l’économie à des années lumière de la réalité.
S.G