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Histoire des violences policières quotidiennes : Théo, Mohamed, et les autres… discriminés au faciès

Les dernières affaires de violences policières, qui soulèvent l’émoi et l’indignation de nos concitoyens, ne sont, hélas !, pas exceptionnelles. Pour deux « bavures » révélées, Théo et Mohamed, combien d’autres passées sous silence ? Si toutes ces bavures, si tous les mauvais comportements policiers, ne s’accompagnent pas de coups et blessures et ne se terminent pas par un viol [la « police des polices » vient d’inventer, pour protéger l’agresseur de Théo ?, la notion de « viol accidentel » : il fallait oser !], ou par une mort – au moins suspecte [une centaine de jeunes auraient été tués par les forces de l’ordre depuis 2005, et une quarantaine blessée – parfois gravement ], toutes expriment de forts sentiments de discrimination à l’encontre des personnes interpellées, qui sont, majoritairement, issues des « minorités visibles ». Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler l’enquête très sérieuse menée par le CNRS, il y a quelques années, indiquant que les contrôles d’identité, souvent harcelant par leur caractère répétitif, s’exerçaient, de préférence, sur les jeunes maghrébins, africains subsahariens ou antillais (qui ont 6 à 7 fois plus de risque d’être arrêtés que les jeunes blancs).

Les violences policières prennent des formes diverses, sournoises quelquefois : provocations du regard, violences verbales (insultes et injures à caractère raciste ou sexuel), tutoiement, humiliations (par des fouilles à corps « poussées » par exemple), « passage à tabac » dans les véhicules policiers ou les locaux de détention des commissariats. Par de tels agissements, les policiers concernés (plus nombreux qu’on le croit) manifestent, à l’évidence, un profond mépris pour les jeunes des quartiers populaires.

Alors la question est posée : la police française est-elle raciste ? Oui, naturellement, sans que l’on sache dans quelle proportion (mais là aussi peut-être pour une part plus importante qu’on le croit). L’indice le plus parlant est sans doute l’attachement croissant des policiers au projet du Front national. Selon la dernière étude réalisée par le CEVIPOF, tandis qu’en 2012 seuls 30 % des policiers se déclaraient proches de ce mouvement politique, aujourd’hui 57 % disent vouloir voter pour Marine Le Pen à la prochaine présidentielle [rappelons que 50 % des policiers et des militaires ont voté FN aux dernières élections régionales de 2015]. Si l’on admet que Madame Le Pen n’est pas le symbole même de la tolérance et de l’ouverture d’esprit aux populations différentes, comment ne pas déduire de ce choix politique des policiers qu’il traduit, au moins pour partie, des sentiments xénophobes ? Le deuxième indice des mauvais agissements policiers est le nombre de sanctions disciplinaires prononcées à leur encontre : 2 100 en 2014, dont 63 révocations ou mises en retraite d’office.

Les Français portent un jugement plutôt sévère sur leur police [hormis l’épisode d’une complicité momentanément retrouvée après les attentats contre Charlie hebdo en janvier 2015 – simple feu de paille !]. Selon l’enquête sociale européenne réalisée en 2010-2011, 35 % de nos concitoyens pensent que la police traite sans aucun respect le public auquel elle a à faire (ce pourcentage est quatre fois moindre en Espagne, et deux fois et demie moins élevé en Grande-Bretagne).

Pour se défendre, les policiers français évoquent un manque d’effectifs sur le terrain, un manque de matériel, des missions, avec la lutte anti-terroriste, de plus en plus nombreuses. Ils évoquent les humiliations quotidiennes qu’ils subissent, le manque de considération à leur égard. Tout ceci est EXACT. En faut-il pour autant légitimer les « excuses policières » ? On reproche si souvent aux sociologues d’adhérer au principe de l’excuse qu’il nous faut rappeler que les chercheurs n’excusent rien ni personne, qu’ils se bornent à tenter de comprendre les faits et les hommes.

Il n’y a pas, faut-il le rappeler, égalité de statut entre un policier et un citoyen « ordinaire ». Le policier est investi d’une mission de service public ; il nous doit protection et assistance. Quelque soit la lourdeur de sa tâche, il se doit d’être exemplaire. Nous devons donc être dans une TOLERANCE ZERO à l’égard des forces de l’ordre. Aucun dysfonctionnement de leur part n’est acceptable.

Le problème est que beaucoup trop de policiers ont le sentiment d’être investis d’un POUVOIR sur nous, simples citoyens. D’où des rapports faussés a priori avec la population dans son ensemble. Comme le signale mon collègue Sébastian Roché, « les policiers abordent l’interaction comme une confrontation, ils attendent que les personnes se plient devant eux… Le contrôle d’identité, précise Roché, est alors un moyen de corriger toute indocilité plus que de résoudre une affaire ou traiter un problème. «  (Le Monde du 03/11/16)

Résoudre ces problèmes ne consiste pas à se borner à dire qu’il faut améliorer la formation des policiers (ce qui est sûr), ou qu’il faut rétablir la police de proximité (ce qui en soi serait mieux), il consiste à s’interroger sur le type de rapports sociaux que nous voulons pour demain dans notre société en crise, le type de politique pénale et de sécurité dont nous avons réellement besoin, mais ceci dépasse le cadre de ce papier.

Michel FIZE, sociologue CNRS

Auteur des « BANDES,  de « l’entre soi adolescent » à « l’autre-ennemi »,  éd. DDB, 2008

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