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Hugo Fournier : « la gratuité des autoroutes est une fausse bonne idée »

Toute production d’un bien ou d’un service a un coût. Malgré les apparences, il en est ainsi des services publics et notamment de la construction, de l’entretien et de l’exploitation des grandes infrastructures. Dans ce domaine, le système de la concession se révèle intéressant, car il permet de garantir la qualité des équipements en laissant au concessionnaire le poids des investissements et des risques financiers.

Hugo Fournier


« There is no free lunch » (« Il n’y a pas de repas gratuit »). La célèbre phrase de l’économiste libéral américain Milton Friedman résume bien l’incontournable réalité : la gratuité n’existe pas. Pourtant l’idée contraire reste très répandue, en particulier en France, où les citoyens ont accès à un grand nombre de services publics, comme l’éducation ou la santé, sans avoir à les payer « directement » lorsqu’ils en bénéficient. Mais ce n’est bien sûr qu’une illusion.
« La production d’un bien ou d’un service génère un coût qui doit être supporté par quelqu’un, à un moment ou à un autre », rappelle Emmanuel Combe, professeur de sciences économiques à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. « Dans le cas de services publics, ce quelqu’un est tout simplement le citoyen, qui s’acquitte de l’impôt ». Mais la gratuité apparente « conduit à passer sous silence le véritable coût de la prestation ». Le lycée public « gratuit », par exemple, coûte chaque année un peu plus de 10 000 euros par élève, selon la Cour des Comptes.
Le mythe de la gratuité est également entretenu par l’existence de chaînes de télévision sans publicité ou par celle de journaux « gratuits », mais aussi par le web et ses fameux « free services », ainsi que par les multiples applications que nous téléchargeons sans débourser un centime sur nos smartphones. Mais « dans le cas d’une offre marchande, la gratuité consiste pour l’essentiel à faire payer autrement », rappelle Emmanuel Combe. Un journal « gratuit » ou une chaîne de télévision « non payante » pour les lecteurs ou les téléspectateurs sera en effet largement diffusé, ce qui permettra ensuite de vendre aux annonceurs des espaces publicitaires. Quant à la gratuité sur le Net ou sur les mobiles, elle repose également sur la publicité, mais aussi sur la commercialisation des données des utilisateurs, à laquelle s’adonnent avec une frénésie et une sophistication croissantes les géants du digital.
« Le problème de la gratuité est qu’elle distend le lien entre paiement et consommation : le payeur n’est pas toujours celui qui consomme », explique le professeur d’économie. Résultat : « le consommateur n’a plus idée de ce que coûte réellement la production, rendant ainsi difficile toute appréciation ».
Grandes infrastructures : la concession comme référence ?
La question se pose en des termes analogues pour les industries de réseau : énergie, eau, transports, télécommunications… La construction, la modernisation, l’entretien et l’exploitation des infrastructures a un coût, implique des investissements et génère des risques, qui doivent être financés, par l’impôt ou par des partenariats public-privé. N’en déplaise à ceux qui entretiennent l’illusion de la gratuité de l’énergie, de l’eau ou des autoroutes.
Pour financer les investissements lourds qui s’imposent dans ces domaines, sans augmenter les impôts et sans creuser encore plus la dette publique, l’État et les collectivités disposent en particulier d’une solution performante avec le modèle de la concession. Ce type de contrat permet en effet à la puissance publique de transférer pour une durée déterminée à un opérateur privé spécialisé l’ensemble des investissements à réaliser et des risques financiers associés pour la construction, l’entretien et l’exploitation des infrastructures ; la société concessionnaire se rémunérant directement auprès de l’usager via une redevance.
Ce modèle permet donc à l’État de maintenir et d’améliorer la qualité des infrastructures sans avoir à prendre en charge lui-même les investissements nécessaires et sans solliciter les deniers publics. L’encadrement juridique des contrats garantit également aux pouvoirs publics de garder la main sur les orientations prises par le concessionnaire dans l’intérêt du service public délégué. Et à la fin du contrat, l’État récupère l’infrastructure, gratuitement et en bon état.
En faisant assurer le financement, la conception, la construction, la modernisation, l’entretien et l’exploitation des infrastructures par de grandes entreprises spécialisées dont c’est le métier, l’État profite également de leur expertise et bénéficie de gains d’efficacité, dans des secteurs où le niveau de technicité est toujours plus élevé. Ce type de partenariat public-privé favorise « la rencontre des compétences privées et des besoins publics sur le temps long des contrats », souligne ainsi l’Autorité de régulation des transports (ART) à propos des autoroutes. Il permet « de susciter et de valoriser les innovations du secteur privé pour la gestion de projets complexes sur une longue durée ».
Selon l’ART, la « mission globale » confiée dans le cadre d’un contrat de concession favorise également « une approche intégrée des projets sur une longue durée ». « Le titulaire du contrat est en effet incité à optimiser l’organisation des tâches et à arbitrer en amont entre les dépenses d’investissement et les dépenses d’exploitation, dans une logique d’optimisation du coût global du projet appréhendé sur toute la durée du contrat ». De plus, il incite le concessionnaire à « raccourcir les délais de réalisation des travaux, pour limiter les frais d’immobilisation de ses personnels et de ses matériels, et pour anticiper la perception de recettes de péage ». La logique d’« usager-payeur », qui lie le financement des infrastructures à leur utilisation, conduit également à sélectionner les projets dont l’utilité pour les usagers permet d’assurer la rentabilité pour le financeur, et donc à garantir la rationalité économique des investissements.
C’est d’ailleurs ce système qui a permis de développer en France des infrastructures essentielles pour l’aménagement du territoire sans alourdir les finances publiques. Les grands opérateurs privés ont en particulier fait la preuve de leurs compétences et de leurs capacités financières pour concevoir, entretenir et exploiter les autoroutes. « L’état des autoroutes concédées est globalement meilleur que celui du réseau routier non concédé et la tendance est à l’amélioration », note ainsi un avis de l’Assemblée nationale. Pour le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, il ne fait en effet aucun doute que les infrastructures actuelles sont en meilleur état qu’au moment où elles ont été concédées en 2006, grâce notamment aux 22 milliards d’euros investis par les sociétés concessionnaires. Selon lui, la qualité de service a été au rendez-vous et « le modèle de délégation de service public à des entreprises privées a apporté la preuve de son efficacité ».
La juste rémunération des concessionnaires
En contrepartie des lourds investissements qu’il réalise, des coûts d’exploitation et d’entretien qu’il assume, et des risques financiers qu’il prend, le concessionnaire se rémunère directement auprès de l’usager via une redevance – même si 41 % des revenus d’exploitation sont in fine conservés par l’État sous formes de taxes et d’impôts divers. Pour qu’il y ait concession, il faut en effet, selon les textes de loi en vigueur, que la part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché : « dans des conditions normales, il n’est pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts qu’il a supportés, liés à l’exploitation de l’ouvrage ou du service ».
Pour les acteurs privés, ce modèle économique implique de subir des pertes importantes au début pour progressivement dégager des profits. Les recettes n’étant pas immédiates et leur montant étant limité, le concessionnaire apprécie la faisabilité de son projet sur toute la durée de l’exploitation. Plus celle-ci est longue, plus l’amortissement est réalisable et les capitaux disponibles. Pour juger la rentabilité d’une concession, il faut donc examiner les résultats sur toute la durée de vie du contrat.
« Les concessions d’autoroutes se caractérisent par des investissements très importants », représentant « 2,9 fois les charges d’exploitation », explique ainsi l’ART« Ensuite, l’activité de concessionnaire nécessite une forte immobilisation de capital, représentant plus de trois fois les recettes annuelles moyennes de la concession. Par ailleurs, les revenus permettant aux concessionnaires de recouvrer leurs coûts d’investissement s’échelonnent sur une longue période. Enfin, les concessions autoroutières présentent un niveau d’endettement important », qui fait que « les créanciers pèsent 9,7 fois plus que les actionnaires ».
Selon l’Autorité, « la rentabilité des concessions d’autoroutes doit être mise en regard de leur modèle économique ». Pour analyser la rentabilité des concessions, l’Autorité retient le taux de rentabilité interne (TRI), qui vise à évaluer, dans la durée, la rémunération du capital supportée par les usagers de l’autoroute via les tarifs de péage. La rentabilité des concessions doit en effet s’apprécier à l’aune des capitaux apportés par l’ensemble des pourvoyeurs de fonds (actionnaires et créanciers) et tenir compte de l’ensemble des coûts et des recettes. Ce qui suppose de « prendre en considération le poids des investissements et la variabilité des revenus pendant la durée des contrats ». L’Autorité estime les TRI des concessions en 2019 à 6,4 % pour les concessions « récentes » et à 7,8 % pour les « historiques ». Un niveau considéré comme « juste », au regard des investissements et des risques assumés par la société concessionnaire.
Hugo Fournier

Comments

  • Anonyme
    mai 30, 2021

    5

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