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  Interview de Deve MABOUNGOU, président du Lions Club Poissy Doyen : « La nouvelle situation géopolitique pousse les États africains à anticiper et repenser leur stratégie sécuritaire et sociale. »  

VDA /Bonjour monsieur Deve MABOUNGOU et merci de nous accorder cette interview. Le manque de politiques sociales efficaces est souvent pointé du doigt comme l’une des causes des inégalités persistantes en Afrique. Pourquoi ce problème est-il si récurrent sur le continent ?

Deve MABOUNGOU : Je vous remercie, à mon tour, de me donner l’occasion de m’exprimer sur des sujets sociétaux qui méritent le plus grand sérieux. Le manque de politiques sociales efficaces en Afrique résulte d’une combinaison de défis historiques, structurels et conjoncturels. Ces inégalités sociales, profondément ancrées, limitent le développement durable et l’épanouissement des populations africaines. Aujourd’hui, les 54 pays indépendants et souverains que compte l’Afrique partagent toujours des frontières tracées du temps de la colonisation européenne. Tout d’abord, la mauvaise gouvernance et la corruption détournent les ressources destinées aux populations. Ensuite, une dépendance excessive à l’aide internationale au détriment de politiques locales durables ralentit les initiatives de développement social.

Enfin, l’instabilité politique et les conflits armés perturbent la mise en place d’infrastructures essentielles pour des politiques sociales robustes. Commençons par dénoncer le fléau de l’esclavage des hommes et des femmes subis et pratiqués par les africains eux-mêmes et dont souffre encore le continent. L’esclavage crée et sanctuarise les conditions d’une inégalité dans un continent, qui en a été l’une des principales victimes dans l’histoire de l’humanité. A cela, on peut ajouter les questions claniques et de castes qui demeurent aujourd’hui les héritières d’une construction sociologique héritée des anciens empires.

Ce point permet de rappeler qu’il existait des organisations africaines avant la colonisation, élément bien trop souvent oublié. Dans un second temps, de nombreux éléments de contexte – ethnique, clanique, genré, générationnel (avec une population majoritairement jeune), religieux viennent interagir dans les relations humaines et créent des différences importantes de statut et d’appartenance. Celles-ci ont des conséquences sur l’accroissement des inégalités sociales et sur l’avènement de véritables politiques publiques et sociales en faveur des africaines et des africains. La pauvreté généralisée couplée à l’inégalité en fait une problématique systémique et structurante notamment celle des revenus, insuffisamment pris en compte par les autorités africaines. Pour réduire les inégalités, il est impératif d’instaurer des politiques publiques garantissant un accès équitable à la santé et à l’éducation. Il y a également un point récurent sur lequel il faut appuyer, le continent a le besoin vital d’une Afrique éduquée et instruite. Elle doit dépasser les moments douloureux de l’Histoire africaine en lien avec la traite négrière, la colonisation ou le néo-colonialisme. Bien que l’esclavage et la colonisation aient profondément marqué l’Afrique, le continent doit aujourd’hui relever ses propres défis, notamment en consolidant ses institutions démocratiques et en valorisant ses ressources humaines et naturelles.

Les Afriques doivent également faire face aux nouveaux défis géo-économiques et politiques tels que le capitalisme mondial ou le néolibéralisme. Des exemples tels que le Rwanda, qui investit massivement dans la santé et l’éducation tout en réduisant la corruption, montrent qu’un modèle africain de développement peut émerger. L’Afrique dispose d’un potentiel extraordinaire, mais il nécessite une mobilisation collective des gouvernements, des citoyens et de la diaspora pour bâtir des sociétés justes, inclusives et durables. Investir dans l’éducation et la bonne gouvernance, tout en valorisant les spécificités africaines, sera la clé d’un avenir meilleur.

VDA/ Quels sont les secteurs sociaux les plus touchés par ce manque d’investissements ?

Deve MABOUNGOU : Les secteurs sociaux les plus touchés par le manque d’investissements sont l’éducation, la santé, l’accès à l’eau potable, l’électricité et l’emploi des jeunes. Ces carences aggravent les inégalités et freinent le développement humain et économique sur le continent. Au sujet de l’éducation, malgré les progrès récents, près de 20 % des enfants en Afrique subsaharienne ne sont pas scolarisés, faute d’infrastructures et de moyens. Cette situation creuse le fossé de l’alphabétisation, avec des taux parfois inférieurs à 50 % dans certaines régions rurales. L’accès aux soins reste limité, avec moins de 1 médecin pour 10 000 habitants dans certains pays.

La pénurie de centres de santé, d’équipements et de personnel qualifié expose les populations à des crises sanitaires récurrentes. Aussi, sur l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, selon l’UNICEF, près de 418 millions d’Africains n’ont pas accès à une source d’eau potable. Cette situation favorise la propagation de maladies et entrave la qualité de vie. Et si l’on revient sur l’emploi des jeunes, vvec un taux de chômage des jeunes dépassant 30 % dans plusieurs pays, la précarité sociale s’accentue. Pourtant, le continent regorge d’une jeunesse dynamique, capable de relever les défis si elle est soutenue par des politiques adaptées. Investir dans ces secteurs clés est une urgence. Ils constituent le socle d’un développement durable et inclusif pour l’Afrique. En capitalisant sur les initiatives locales et en mobilisant des ressources adéquates, le continent peut transformer ces défis en opportunités.

VDA/ Quelles seraient, selon vous, les solutions pour remédier à ce manque de politiques sociales ?

Deve MABOUNGOU : La question des solutions pour remédier au manque de politiques sociales en Afrique est complexe et multidimensionnelle. Bien que des progrès notables aient été réalisés dans certains pays, d’autres continuent de faire face à des défis persistants liés à la mauvaise gouvernance, à la dépendance aux bailleurs de fonds et au manque de stabilité politique. Les solutions, pour être efficaces, doivent être à la fois structurelles et pragmatiques. La gouvernance est au cœur du problème. Il est impératif d’instaurer une gestion transparente des ressources publiques, notamment par la mise en place d’organismes indépendants pour surveiller les finances publiques. Par exemple, les initiatives de lutte contre la corruption, comme celles déployées au Rwanda, montrent qu’un leadership engagé peut transformer un pays en peu de temps. L’éducation doit devenir une priorité absolue.

Cela passe par la construction d’écoles et la formation d’enseignants qualifiés, l’intégration des technologies numériques pour surmonter le manque de ressources pédagogiques, des programmes d’alphabétisation ciblés, notamment pour les zones et les filles. Un exemple inspirant est le programme « Free Education Policy » mis en place en Sierra Leone, qui garantit la gratuité de l’école pour des millions d’enfants. Les PPP peuvent jouer un rôle clé dans le financement de projets sociaux. Cependant, cela nécessite un cadre juridique clair et une stabilité politique pour attirer les investisseurs. Par exemple, le projet de construction de logements sociaux au Maroc, en partenariat avec le secteur privé, a permis de loger des milliers de familles. Ces solutions nécessitent un leadership visionnaire et une mobilisation collective. L’Afrique a toutes les ressources humaines et naturelles pour réussir. En investissant dans l’éducation, la santé et la gouvernance, le continent peut transformer ses défis en opportunités et offrir un avenir meilleur à ses populations

VDA / Une question qui soulève de plus en plus de débats en Afrique : le départ des bases militaires étrangères. Certains pays, comme la France, ont annoncé la réduction de leurs implantations militaires sur le continent. Quelle est votre analyse de ce phénomène, et en quoi cela pourrait-il affecter la politique sociale en Afrique ?

Deve MABOUNGOU : L’ Afrique plurielle a murit, sa mutation est arrivée à terme où elle doit assurer elle-même sa sécurité et assumer son africanité pleine et entière. Le départ des bases militaires étrangères, comme celles de la France, marque un tournant dans l’histoire contemporaine de l’Afrique. Le retrait des bases militaires étrangères est perçu comme un pas vers la réappropriation de l’indépendance politique et stratégique des pays africains. Certains pays, comme le Ghana, ont développé des modèles autonomes de gestion sécuritaire qui pourraient inspirer leurs voisins.

Cela répond à une demande populaire, souvent exacerbée par des frustrations historiques liées au colonialisme et à l’ingérence étrangère. Les bases étrangères ont souvent été des bastions dans la lutte contre le terrorisme, les groupes armés et la piraterie, notamment en Afrique de l’Ouest et centrale. Leur départ laisse un vide que les armées locales, parfois sous-équipées et mal formées, peinent à combler. La présence française fortement diminuée exhorte la diplomatie française à revoir son modèle notamment sécuritaire si elle ne souhaite pas être définitivement exclue. Sur le plan politique, cela pourrait renforcer la souveraineté des pays concernés car la montée en puissance de groupes tels que Boko Haram ou les JNIM risque d’aggraver l’instabilité dans des zones déjà fragiles. Il convient donc d’investir massivement dans la modernisation des armées nationales (formation, équipement, technologies), de favoriser la coopération régionale via des organisations comme la CEDEAO ou l’Union africaine pour mutualiser les ressources et renforcer une réponse collective.

L’insécurité a des répercussions directes sur le développement social, en détournant les budgets publics vers la défense et en empêchant la mise en œuvre de politiques sociales efficaces. Sans sécurité durable, il est difficile de garantir l’accès à l’éducation, à la santé ou à d’autres services essentiels.

Sur le plan politique, les bases étrangères sont parfois vues comme des vestiges du colonialisme ou comme une ingérence dans les affaires intérieures. Leur départ permettrait aux pays concernés d’affirmer leur indépendance politique et stratégique.

Sur le plan de la propagande populaire, échaudée par une situation géopolitique complexe, ce retrait répond à une demande croissante des populations, qui considèrent souvent la présence militaire étrangère comme une atteinte à leur dignité nationale.

Si le départ des bases étrangères est inévitable, la nouvelle situation géopolitique oblige les États africains à anticiper et à repenser leur stratégie sécuritaire et sociale pour en atténuer les effets : à savoir renforcer les armées locales en investissant dans la formation, l’équipement et la modernisation des forces armées nationales pour assurer la sécurité de manière autonome.

Le départ des anciennes puissances coloniales ouvre la voie à de nouveaux partenariats, notamment avec la Chine, la Russie ou des alliances régionales. Bien que cette diversification soit une opportunité, elle comporte des risques si elle n’est pas accompagnée de politiques claires pour préserver l’indépendance des États africains.

Le départ des bases militaires étrangères en Afrique est une étape importante dans la reconquête de la souveraineté nationale, mais il comporte des risques majeurs. Par ailleurs, il représente une occasion pour les États africains de prouver leur capacité à gérer leur sécurité et à renforcer leur souveraineté. Pour transformer cette étape en opportunité, il est impératif de renforcer les capacités locales en matière de sécurité, d’encourager la coopération régionale et de réallouer les ressources vers des politiques sociales ambitieuses, axées sur l’éducation, la santé et l’emploi.

L’Afrique a la possibilité de tirer parti de ce moment historique pour bâtir une société plus stable, inclusive et résiliente. Mais cela nécessitera un leadership visionnaire et une action coordonnée à l’échelle nationale et régionale.

VDA /Un sujet particulièrement débattu est celui de la reconnaissance des couples homosexuels. Faut-il permettre aux couples homosexuels d’être légalement reconnus, en termes de mariage ou de droits parentaux, en Afrique centrale ?

Deve MABOUNGOU : La reconnaissance des couples homosexuels est un sujet clivant, à la croisée des considérations sociétales, culturelles, et politiques. Pour bien comprendre les enjeux, il est essentiel de replacer ce débat dans son contexte africain. C’est un sujet particulièrement débattu parce qu’il oppose deux conceptions, deux sociétés, deux histoires fondamentalement différentes au-delà des cultures traditionnalistes. C’est devenu par la force des choses, un vecteur de démocratie, opposant de fait, les dits « conservateurs africains » et les « tolérants européens » et nonobstant le fait qu’à titre d’illustration, l’homosexualité était pénalisée dans beaucoup d’Etats d’Amérique jusqu’en 2003 et que par exemple, en France, pays chantre de la démocratie, le mariage homosexuel vit le jour en 2012. En 2013, Barack Obama exhortait son homologue sénégalais Macky Sall à dépénaliser l’homosexualité, provoquant un vif débat. Cette situation illustre la tension entre des influences externes et des réalités internes. Aujourd’hui, 38 des 54 pays africains criminalisent encore les relations homosexuelles, bien que certaines nations, comme le Botswana ou l’Afrique du Sud, aient amorcé des évolutions significatives. L’homosexualité en Afrique est souvent perçue comme une « imposition occidentale », bien que les sociétés africaines aient historiquement accueilli diverses formes d’expressions sexuelles.

Cependant, la colonisation a introduit des lois répressives qui ont façonné les perceptions modernes. Les traditions et les croyances religieuses jouent un rôle majeur dans le rejet des relations homosexuelles. Les leaders religieux et politiques, ainsi que les médias, participent à façonner une opinion publique conservatrice. Cette question est devenue un marqueur politique, opposant les « progressistes » et les « conservateurs », souvent instrumentalisée dans les débats pour renforcer certaines positions de pouvoir. Il est essentiel de souligner que les démocraties africaines sont encore en développement, ce qui limite leur capacité à aborder des sujets aussi complexes que la reconnaissance des droits des homosexuels. Les gouvernements africains font face à des défis pressants tels que la pauvreté, l’éducation, la santé et l’instabilité politique. Ces enjeux occupent une place centrale avant de pouvoir engager une réflexion sociétale approfondie sur des sujets comme le mariage ou l’adoption homosexuelle. Toute évolution législative ou sociétale dans ce domaine doit émaner des sociétés africaines elles-mêmes, sans pression externe. Bien que des réformes législatives soient importantes, il est essentiel d’évaluer leur impact réel sur la vie quotidienne des citoyens. La reconnaissance des droits des homosexuels ne doit pas être perçue comme une priorité imposée, mais comme une évolution qui s’intègre dans un cadre global de justice sociale et de respect des droits humains. La reconnaissance des couples homosexuels en Afrique centrale, et plus largement sur le continent, reste un sujet complexe. Les sociétés africaines doivent elles-mêmes décider du moment et des modalités d’évolution sur ces questions. Le défi réside dans la capacité des États africains à aborder ce débat avec maturité, en respectant les spécificités culturelles tout en défendant les principes universels des droits humains.

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