Interview de Pascle Luciani-Boyer: « Les 60% d’électeurs qui se sont abstenus ou voté blanc ou nul et les 12%
Pascale Luciani-Boyer, déléguée Régionale Île de France-Est et membre du comité directeur de Nous Citoyens, élue locale de Saint-Maur-des-Fossés (Val de Marne) depuis 1995, revient sur les résultats des élections départementales. Pragmatique et sans langue de bois, cette chef d’entreprise et présidente d’associations met en garde les politiques et les citoyens sur les résultats du 3ème tour consacré à l’élection des présidents des conseils départementaux.
- Quel bilan retenez-vous des élections départementales de 2015 ?
Premier point, nous avons eu beaucoup d’abstention, environ 50%. Je voulais surtout mettre l’accent sur les votes blancs et nuls, qui sont à 9%. Si on arrondit, 60% de la population française d’une manière ou d’une autre a boycotté ou exprimé un désaveu des positions faites dans l’offre politique. Les médias n’ont pas parlé de ce fait-là. En revanche, ils se sont acharnés sur une bipolarité droite-gauche en nous expliquant que la droite était vainqueur et qu’heureusement on avait fait fuir le grand méchant loup du FN. On n’a regardé que le sujet immergé de l’iceberg. En réalité, des élus ne vont représenter que la moitié des 40% de la population. Donc il y a pres de 80% de gens susceptibles d’aller dans la rue parce que les politiques territoriales que l’on va leur proposer ne seront pas satisfaisantes de leur point de vue. On risque d’avoir une grande difficulté liée à ce manque de légitimité et ce manque de représentation démocratique.
Deuxième point, nous avons d’ores et déjà 112 conseillers départementaux de plus. Sur une réforme qui se voulait être garant de la dépense publique, ça nous amène si l’on fait juste un calcul basique à une indemnité moyenne de base de 2500€ charge comprise multiplié par 112 conseillers départementaux supplémentaires, soit 3,36 millions d’euros au total sans compter les frais de fonctionnement qui vont avec.
Donc on a une représentation qui est moindre, un coût qui est plus d’au moins de 3,5 millions pour être large. Nous sommes loin d’un objectif poursuivi par Nous Citoyens qui est d’une part, d’être vigilant sur les dépenses publiques en général et d’autre part, d’avoir un retour à une véritable démocratie et une meilleure écoute des citoyens. Là nous n’y sommes pas.
- Quels sont les résultats de votre mouvement politique ?
Nous avons présenté 20 listes. Sur celles-ci, nous n’étions pas présents sur tous les départements car nous souhaitions avoir des candidats ayant la qualité et la capacité de porter le plus fortement possible notre message. Nous avons obtenu 8,4% des suffrages au niveau national. Ce qui est assez important en réalité car ces résultats nous positionnent non pas dans la cours des très grands, mais au moins dans celle des moyens. Le nombre de voix que nous avons faits est très près du parti Europe Écologie Les Verts (EELV) au second tour , car nous avons recueilli environ 23.799 voix et eux 29.000. Notre mouvement aujourd’hui est en rivalité volumétrique avec de nombreux mouvements qui comptent dans le paysage politique. Donc nous aussi et nous n’avons présenté que 20 listes ! Imaginez-vous si l’on en avait présenté partout !
Par ailleurs, nous avions été contrariés au début de la campagne, car nous n’avions pas été identifiés dans les binômes. En revanche, dans la nomenclature préfectorale, il y a des binômes Debout la France. Ils ont donc été identifiés Debout la France et nous Divers. Dans les binômes Débout la France, ils ont eu 9.700 voix. Eux sont identifiés alors qu’ils ne pèsent pratiquement rien (0,05%) et nous qui rivalisons en volume de voix avec EELV, nous sommes dans les Divers. Nous allons donc contester ce classement lors des prochaines élections auxquelles nous participerons pour que nous ayons naturellement un classement qui soit à la hauteur de ce que nous représentons.
Aujourd’hui, on est dans Divers. Les Divers sont Divers Gauche, Divers droite, Divers tout court et représentent 11,93% exactement. Ces 12% d’élus de la République, si on arrondi, ont refusé d’être estampillé par une étiquette de vieux partis politiques. Quand on retraduit les chiffres : l’UMP a récolté seul 8,64% des suffrages et se gargarise d’avoir tout gagné, tout raflé ; l’Union de la droite fait un peu plus avec 27%. Les Divers sont entre les deux et ce n’est pas rien. Les scores importants de ces partis politiques Divers sont assez nouveaux dans ce type d’élection.
Si l’on rapproche cette réflexion avec les 60% d’électeurs qui ne s’expriment pas ou qui votent nul ou blanc, ce sont là des indicateurs extrêmement forts de mouvements en cours et de modification à prévoir des grands échiquiers politiques et des grands équilibres politiques de notre pays dans les prochaines années à venir.
- Le nouveau mode de scrutin a profondément bouleversé le profil sociologique de nos élus départementaux. Mécaniquement, le fait de voter pour des binômes homme-femme a imposé une parité parfaite dans des assemblées où les femmes ne représentaient que 18 % des élus. Qu’en pensez-vous ?
Je voudrais féliciter le fait que l’on va avoir une meilleure répartition de la pluralité de la structure française puisque un Homme sur deux est une femme et que l’on aura un conseiller départemental sur deux qui sera une femme.
On a peut-être augmenté le nombre et le coût, mais au moins on a gagné cette représentativité. Soyons positif sur ce point-là. Nous avons obtenu par la loi un équilibre qui reflète la population française au moins dans sa parité homme-femme.
- Cette réforme a également entraîné un profond rajeunissement des élus, et réduit le nombre de retraités, en faisant monter en puissance le secteur privé. Quelle est votre réaction à ce sujet ?
L’âge des binômes qui vont rentrer dans l’hémicycle a effectivement baissé. Comme ils sont un peu plus jeunes, ils sont moins retraités. Et comme ils sont moins retraités, de facto, ils sont dans la vie active . Donc on augmente de facto ceux qui sont issus de la fonction publique et ceux issus du privé. Mais on n’inverse pas les tendances lourdes.
Ce qu’il faudra voir et là je n’ai pas la réponse aujourd’hui, c’est que 50% des présidents de Conseils généraux en France étaient également des parlementaires juste avant ces élections, sénateurs ou députés. Donc des cumulards. D’autres étaient et sont encore des maires. La question sera de savoir comment le 3ème tour va se dérouler sur deux sujets. Premier sujet : où seront les femmes puisque l’on a fait rentrer la parité dans l’exécutif ? Aucun texte de loi n’oblige les assemblées à respecter la parité. Or, c’est bien joli de rentrer dans l’hémicycle mais si c’est pour faire potiche, ça ne pourra pas marcher. Il faut que ces femmes, qui incarnent cette diversité, cette pluralité, puissent exercer leur fonction, donc qu’elles soient dans l’exécutif de préférence à parité égale.
Deuxième point de vigilance : est-ce que les exécutifs incarnés par les présidents et les vice-présidents seront des cumulards comme avant ? Parce que j’ai déjà lu un article sur l’un de nos amis de l’UMP. Il s’inquiétait de l’organisation des départements avec l’arrivée des jeunes élus. J’en ai donc conclu que l’on risquait de voir arriver dans l’exécutif ce que l’on va qualifier des vieux de la vieille donc de féodaux, ceux qui tiennent les mouvements, ceux qui dictent la loi aux jeunes arrivants en reprenant les éternels fauteuils qu’ils venaient de laisser libre pour les réintégrer plus rapidement encore. On risque fort de retrouver énormément de cumulards parmi ces exécutifs sachant que les autres seront là juste pour être dans une dimension de faire-valoir, de plus de jeunesse, de plus de femmes, de plus de diversité. Mais les rênes risquent d’être encore tenues toujours par les mêmes, qui ont fait de leur carrière uniquement de la politique. Il faut donc être très vigilant sur ce 3ème tour.
- Le FN a dévoilé sa charte d’engagement politique* pour le département hier et entend la faire signer aux futurs candidats à la présidence des conseils départementaux. Si ces derniers acceptent de ratifier le texte, le FN leur apportera leurs voix dans les 14 assemblées où le FN a des élus. Qu’en pensez-vous ?
*{NDLR : la charte contient pêle-mêle la promotion d’« une organisation territoriale fondée sur le département » ; le refus de « toute augmentation de la fiscalité pendant toute la durée de la mandature » ; « le maintien de services publics de proximité et de qualité » ; « développer les aides et les dispositifs départementaux en faveur des personnes âgées et handicapées » ; un engagement ferme contre la « fraude sociale (au RSA notamment) » ou encore l’organisation de référendums locaux. Le point le plus développé – et le plus polémique aussi – concerne « le communautarisme »}
D’abord, quelque soit le contenu de la charte, lorsque vous arrivez avec une feuille de route complète dans laquelle vous ne pouvez rayer une seule motion et que vous dîtes « c’est tout ou rien », c’est du chantage. Parce que lorsqu’on ne s’appelle pas le FN et que l’on est un mouvement qui porte des valeurs et que l’on veut les faire valoir et les mettre en action, on négocie et on dit : « dont acte, je n’ai pas gagné mais j’ai quand même un pourcentage de voix donc je vous demande de prendre en considération tel ou tel point qui me semblent essentiels dans mon programme ». Voilà ce qu’il se passe dans un système qui se veut démocrate. Ça c’est pour la méthode.
Ensuite sur le contenu et sur le fond, évidemment la notion de communautarisme, et ils le savent très bien, est inacceptable pour les structures majoritaires qui sont en place. Mais il y a un certain nombre de sujets sur lesquels les uns et les autres auraient pu être d’accord. En revanche, je ne crois pas qu’il y ait le non-cumul dans la charte. Nous sommes plutôt sur des valeurs soi-disant éthiques et de rigueur budgétaire. Je vous rappelle que Nous Citoyens a fait signer à tous ses candidats avant l’élection une charte de valeurs qui intégrait les notions d’éthique, la notion de responsabilité économique et le non-cumul des mandats exécutifs. On ne peut que se réjouir qu’il y ait une démarche visant à faire signer des engagements soit par les candidats aux élections, soit par les candidats lors du 3ème tour. C’est toujours positif.
Maintenant ce qui est important c’est que tout le monde puisse prendre des engagements écrits qui pourront être vérifiés, parce que l’on peut tous signer un joli document dans lesquels on dit « je vous promets » la main sur le cœur « je ne ferai pas » ou « je ferai ». Ce qui pose problème, c’est la vigilance qu’il faut avoir dans le respect de la charte signée, quelle qu’elle soit, qu’elle vienne du FN ou autre. J’aspire à ce que les exécutifs de gauche et de droite qui auront en charge un département demain puisse s’auto-plier à une charte déontologique qu’ils signeraient et pour laquelle ils mettraient en place des outils de vigilance du respect de cette charte. Parce que s’il y a charte et qu’il y a engagement, il faut qu’il y ait vérification des respects des engagements. Donc quand on dit « je n’augmenterai pas les impôts », il faut qu’il y ait des indicateurs et des faire savoir qui informent les électeurs que ces engagements ont été tenus ou non. Il faut mettre en place des grilles d’évaluation qui permettent de valider peut-être tous les ans le suivi de ces engagements et lorsque l’on y déroge, dans ce cas, il faut qu’il puisse y avoir recours puisque les gens ont voté sur ces engagements.
Nous sommes donc favorables en général à la notion de charte dans la forme. Dans le contenu, elle porte de notre point de vue sur l’éthique et les engagements essentiels de campagne, donc là en l’occurrence il s’agit du respect de l’argent de nos concitoyens qui est confié dans un département à une instance pour en faire la meilleure gestion. Maintenant, cela ne peut pas être une arme de chantage de 3ème tour dans lequel on dit « c’est tout ou rien », parce qu’un 3ème tour est une négociation. Si le FN voulait avancer et être véritablement constructif, ils auraient pris la dépense publique. Cela atteste bien qu’ils ne sont pas dans la construction mais dans l’opposition systématique de tout. Ils se mettent, de fait, à part et certainement ce que nombre de politiques appellent entre-autre l’aspect non-républicain.
- Qu’envisagez-vous pour les prochaines élections régionales en décembre prochain ? Quelle est la stratégie de Nous Citoyens ?
À l’inverse des départementales, nous présenterons des listes dans toutes les régions. De toute manière, nous avons réussi à le faire pour les Européennes, donc il n’y a aucun souci de faisabilité pour les régionales. En revanche, la donne est complètement différente car nous avons maintenant des scores qui s’approchent des deux chiffres. Et comme je vous le disais tout à l’heure, nous sommes en capacité de jouer à part égale avec Europe Écologie Les Verts. Ça change sérieusement la donne dans les négociations du 2nd tour, car il y a toujours un 2nd tour dans une élection régionale.
Nous irons partout avec des équipes qui ont des vrais antennes, des responsables régionaux et départementaux, des organisations territoriales qui se sont peaufinées, confirmées et structurées depuis maintenant un an et demi puisque nous avons maintenant un an et demi d’existence.
Vendredi, nous avons notre première réunion à ce sujet pour confirmer la manière dont nous allons avancer. Il y aura bien sûr des réflexions d’ouverture avec d’autres structures citoyennes qui sont sensiblement dans la même mouvance que la nôtre dans la démarche des régionales, et ce même pour le 1er tour, comme en Auvergne avec un mouvement qui s’appelle 100% Citoyen par exemple . Des structures associatives, partisanes, politiques, voire même des think tanks spécialisés dans les sujets du renouveau citoyen sont pléthores aujourd’hui. Notre souhait est de nous réunir ou nous fédérer avec des mouvements citoyens avec lesquels on va pouvoir partager nos valeurs communes et nos forces ; et conduire des listes assez ouvertes sur les mouvements citoyens lors de ces prochaines élections.
G.B.
Lucas
Je partage votre analyse et votre projet régional. Il est impératif que nous soyons partout pour avoir une visibilité nationale.
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BAUGUIL
Pour les régionales j’approuve fortement le choix d’alliances possibles avec des mouvements citoyens, structures associatives qui s’inspirent de la même mouvance que Nous Citoyens. Bruno LE MAIRE dans son twit semble tendre la main à Denis PAYRE, et celà suscite des commentaires parmi nous. Il me semble souhaitable que le comité Directeur de notre mouvement exprime clairement sa position sur le sujet des alliances futures de Nous Citoyens. Merci JL BAUGUIL délégué Départemental Carcassonne.
BAUGUIL
J’approuve entièrement le projet d’alliances futures avec des mouvements associations etc… dans la même mouvance que nous citoyens. Un récent twit de Bruno LE MAIRE à l’endroit de Denis PAYRE, a déclenché un certain nombre de commentaires parmi nous. Je suggère s que le Comité Directeur de notre mouvement s’exprime sur le sujet des alliances possibles futures. Merci, cordialement Jean-Louis BAUGUIL, délégué Nous Citoyens
départemental Carcassonne.
philippe
Madame Luciani est aujourd’hui vice présidente du mouvement Génération Citoyens qui veut un large rassemblement des citoyens pour reprendre la main démocratiquement aux politicards de tous « poils »