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INTERVIEW de Valérie Honnart: « La mythologie est un bon support de réflexion pour les évènements ou problèmes de nos sociétés aujourd’hui. »

Valérie Honnart dans son atelier

Valérie Honnart dans son atelier

Valérie Honnart s’exprime par différents médias qu’elle maîtrise parfaitement : encre sur soie, huile sur bois, et technique mixte sur plexiglas. Ses influences sont à chercher en Chine et en Italie.

Habitée par cette question lancinante de la fracturation permanente de l’être que nous sommes dans ses actions, ses émotions, ses rapports avec les autres. 

 

En Chine, où elle a vécu plusieurs années, de ses nombreux allers-retours, elle prolonge sa réflexion sur les liens que nous tissons les uns les autres, les vides et les énergies qui les emplissent.

Un va et vient permanent, entre l’Asie et l’Occident.

 

L’homme n’est plus, comme dans la peinture traditionnelle, en harmonie avec son environnement mais s’y confronte. « Cette nostalgie d’unité, cet appétit d’unité, illustre le mouvement essentiel du drame humain ». Sisyphe en est son symbole, le symbole du perpétuel recommencement du travail, mais aussi de l’absurdité d’une tâche où l’homme n’est plus en harmonie avec la terre.

De retour de Pékin, elle vit et travaille Rome.

 

Valérie Honnart, vous vous exprimez plastiquement par de l’encre sur soie, de l’huile sur bois, des techniques mixtes sur plexiglas… comment vous définiriez vous ?

Faut-il une définition pour rendre compte d’une émotion ? Certains support certaines techniques correspondent mieux à certains moments, à ce que je souhaite exprimer. L’encre sur soie est un processus très immédiat sans repentir mais parfois j’ai besoin de la lenteur de la peinture à l’huile.

Je trouverai triste d’être enfermée dans une seule technique sous prétexte de rentrer dans le cadre de définition. Cela fait partie de la liberté de l’artiste.

De quelle façon travaillez-vous ?

Je vais dans mon atelier tous les jours  j’y dessine et j’y peins parfois plusieurs tableaux en même temps. Parfois je n’y fais rien mais je suis là dans la « boîte » de mon intériorité. Je réalise toujours des dessins préparatoires en taille réelle. Pour les peintures réalisées à l’encre je fais toujours plusieurs essais avant sur papier de riz car il n’y a pas de repentir possible sur la soie.

Il y a plusieurs phases dans mon travail du dessin préparatoire à la finition comme s’il s’agissait de strates successives dans le temps.

Vos influences sont multiples et particulièrement inspirées par la Chine et l’Italie. Est-ce uniquement lié aux nombreux séjours que vous y avez fait ?

J’ai vécu dans ces différents pays donc ils font partie de moi.

La Chine est entrée dans mon histoire en 1988. Depuis elle nourrit mon inspiration, mon imaginaire. Je  trouve dans la poésie et la peinture chinoise un écho à mes émotions comme si je me souvenais.

En vivant dans ces pays je me suis imprégnée de la culture, en parlant la langue j’ai trouvé de nouveaux modes d’expression, en apprenant les techniques les plus anciennes de peinture de ces pays j’ai eu le sentiment de pouvoir plonger des racines alors que moi même je passe mon temps à les perdre.

L’homme est omniprésent dans votre travail. Pourriez-vous nous expliquer ce qui vous intéresse particulièrement dans sa représentation ?

C’est le lien entre les personnes qui m’intéresse, ce qui est indicible, ce vide fait de mouvement.

En commençant à peindre selon la technique chinoise qui se concentre surtout sur les paysages j’ai d’abord imaginé que les corps pris comme fragments pouvaient être des paysages, puis je me suis rendue compte que ce qui m’intéressait dans mes recherches était le lien à l’autre, c’est donc cela qui est au cœur de mes recherches.

Vous avez consacré une part importance de votre travail autour du mythe de Sisyphe. Quelle est votre vision dans ce monde aujourd’hui ?

La mythologie est un bon support de réflexion pour les évènements ou problèmes de nos sociétés aujourd’hui. Ils offrent des symboles forts sans être ancrés dans une immédiateté qui nous empêche de prendre du recul.

Cela fait de nombreuses années que je voulais travailler sur le mythe de Sisyphe, mais je n’avais pas trouvé le moyen de le lier à ce que nous vivons, à part l’idée simple du travail répété à l’infini. En arrivant en Chine j’ai compris que j’allais pouvoir utiliser ce mythe.

Partout le « travail » est présent  – par ailleurs le travail est une thématique peu représentée en peinture – on voit tous les jours des hommes répéter la même tâche, parfois ce qu’ils font paraît vain ou absurde. Dans le village d’artistes où j’avais mon atelier c’était flagrant, j’observais ce va et vient permanent par tous les temps et ces hommes me faisaient penser à Sisyphe.

Par ailleurs à Pékin j’ai particulièrement été frappée par les problèmes liés à la pollution. C’est une angoisse quotidienne : douter de l’air que l’on respire, devoir porter un masque, douter de ce que l’on mange et penser que des arbres fruitiers poussent au dessus d’anciennes décharges, se souvenir de paysages magnifiques dans la Chine centrale et savoir qu’aujourd’hui ces villages ont été engloutis parce que l’on a construit un barrage. Dans la peinture chinoise on voit souvent un homme tout petit assis en méditation, il est en harmonie dans la nature. Avec la croissance à outrance, l’homme aujourd’hui en Chine se sent tout puissant, les rapports sont inversés. Dans le mythe de Sisyphe jusqu’au moment de la punition Sisyphe vit en harmonie avec la nature. Du jour où il est puni la pierre devient son ennemie, il doit la pousser jusqu’en haut d’une montagne et arrivée en haut, la pierre roule en bas.

C’est donc dans ce double aspect que j’ai souhaité travailler. Le travail et la perte d’harmonie avec la nature.

« Va-et-vient », le titre de l’exposition que vous présentez en mars 2015 à Paris, renvoie-t-il uniquement à vos allers-retours entre la Chine et l’Occident ?

 

Bien sur que non, il renvoie justement au mythe de Sisyphe.

En tant qu’artiste, et/ou  en tant que femme, si vous en aviez les pouvoirs, que souhaiteriez-vous changer dans l’humanité ?

–          Un autre regard sur le monde, ou donner à la recherche de la beauté une vraie place

–          Un moment pour la tendresse

–          Plus de justice dans le monde :

une vraie justice  dans la violence faite aux femmes. une intolérance totale dans celle infligée aux enfants et notamment dans le tourisme sexuel.

–          Une place plus importante à la sensibilité

–          Une valorisation de tous les travaux manuels.

 

 

Interview réalisée par véronique  Grange-Spahis

Valérie Honnart : Va-et-vient

Exposition du 21au 27 mars 2015, Tous les jours de 12 h à 20 h, jeudi 26 mars jusqu’à 21 h 30

GÉOLOCALISATION DE L’EXPOSITION

Espace Ephémère Louvre, 16 rue du Louvre, 75001 Paris

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