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Le black lives matter ou l’histoire d’une révolte historique par Jean-Claude Beaujour

Jean-Claude Beaujour, avocat international, Vice-président de France-Amériques.


Le mouvement Black Lives Matter ou la perpétuelle quête de l’égalité de droits
Les émeutes récentes et les nombreuses manifestations à travers le monde visant à condamner la mort violente le 25 mai dernier à Minneapolis de George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans, ont été l’occasion pour la planète tout entière de faire connaissance avec un mouvement qui jusqu’ici était resté limité à l’intérieur des frontières des Etats-Unis : le Black Lives Matter, en français « La vie des Noirs compte ». George Floyd a perdu la vie au cours d’une intervention de la police dans des circonstances illégales et révoltantes. Et ce sont précisément ces circonstances qui expliquent l’intervention du mouvement Black Lives Matter. En effet, sur des vidéos amateurs on peut voir Floyd plaqué au sol par l’agent de police Derek Chauvin, lui mettant le genou sur la gorge alors qu’il était menotté et n’opposait aucune résistance. A plusieurs reprises Floyd dira calmement qu’il ne peut pas respirer. Pourtant ses supplications n’auront aucune prise sur le policier et Floyd décèdera asphyxié. Dans un premier temps la version des faits des policiers sera très éloignée de la réalité puisque des vidéos saisies démontreront qu’il s’agissait d’un homicide et non d’un accident lié à une intervention avec résistance de la victime. Pire, on apprendra que Derek Chauvin avait déjà été impliqué dans trois interpellations mortelles et que son épouse Kellie Chauvin aurait apporté son soutien à la famille de Floyd et demandé le divorce. Ces indices concordants ont finalement convaincu la hiérarchie policière, les mouvements des droits civiques et de très nombreuses personnalités américaines qu’il s’agissait d’un meurtre à caractère raciste commis contre un Afro-Américain par un membre des forces de l’ordre dans l’exercice de ses fonctions. Par la suite Derek Chauvin a été inculpé de meurtre au 2e degré et il risque jusqu’à 40 ans d’emprisonnement.
Le Black Lives Matter : un mouvement récent
Le mouvement Black Lives Matter a pris naissance aux Etats-Unis en 2013 pour dénoncer la violence et le racisme envers les Noirs Américains, après l’acquittement de George Zimmermann qui avait tué par balle Trayvon Martin, un adolescent noir de 17 ans, pourtant non armé. Le mouvement a été initié par trois activistes, Alicia Garza, originaire d’Oakland (Californie) connue pour son combat notamment contre les violences policières et contre le racisme, Patrice Cullors, artiste et activiste, elle aussi originaire de Californie et enfin Opal Tometti, activiste des droits de l’homme, de parents nigérians et qui a grandi en Arizona. On peut considérer que ce mouvement d’un genre nouveau s’articule autour de deux axes.
Tout d’abord il dénonce cette propension des policiers dans le cadre de contrôles musclés, voire violents ou vexatoires, à cibler principalement la communauté noire. A en croire certains témoignages de policiers de New-York, des instructions seraient données dans ce sens aux agents. Dans certains cas la disproportion entre les moyens auxquels ont recours les forces de l’ordre et le risque encouru par l’officier de police lors de l’interpellation est flagrant. Car la règle aux Etats-Unis, comme presque partout ailleurs, est à peu près la même : la mission d’un agent de police est de neutraliser la personne qu’elle souhaite appréhender. Par conséquent, l’utilisation d’une arme n’est recommandée que lorsque, de manière avérée, la personne à arrêter menace la vie de l’officier de police; c’est en quelque sorte l’application d’un principe
bien connu de proportionnalité entre les moyens employés et le but recherché. Or c’est le contraire qui s’est produit puisque Trayvon Martin, abattu de plusieurs balles, n’était même pas porteur d’une arme à feu.
Par ailleurs le mouvement dénonce l’absence ou la faiblesse des sanctions infligées aux policiers coupables de ces atrocités. De surcroit le mouvement Black Lives Matter fait observer que le syndicat des policiers, même après une révocation, n’hésite pas à soutenir financièrement les personnes condamnées par la justice en payant la pension de retraite des policiers auteurs de ces homicides. A l’évidence ce n’est pas de nature à les dissuader de commettre ces violations répétées de la loi.
En d’autres termes, ce qui est dénoncé et combattu est l’absence d’une justice égale pour tous, puisque tuer un Noir n’est pas sanctionné de la même façon que tuer un Blanc.
Mais au-delà des violences policières qui sont en premier lieu dénoncées, le Black Lives Matter refuse que les Afro-Américains soient considérés comme des citoyens américains de seconde catégorie ; c’est en ce sens qu’il est un mouvement social qui interpelle la société américaine.  Car ce que réclame légitimement la communauté afro-américaine, c’est précisément d’être traitée à égalité avec ses concitoyens.
Les Noirs Américains représentent la communauté la plus pauvre du pays alors que la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique du 4 juillet 1776 pose que « tous les hommes naissent égaux et qu’ils jouissent de droits inaliénables tels que le droit à la vie, la liberté et la poursuite du bonheur (« all men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable rights, that among these are Life, Liberty and the Pursuit of happiness) ».
En d’autres termes ces hommes et ces femmes, au travers du mouvement Black Lives Matter, disent ne plus pouvoir supporter que le texte fondateur, ciment de la société américaine, ne leur soit pas appliqué. Certes des progrès ont été accomplis, au travers notamment du Civil Rights Act de 1964, loi votée par le Congrès des États-Unis à l’initiative du président Lyndon Johnson et mettant fin à toutes formes de ségrégations et de discriminations reposant sur la race, la couleur, la religion, le sexe, ou l’origine nationale, ou encore au travers des politiques de diversité. On a même vu l’Amérique élire en 2008 un Barack Obama, fils d’un émigré kenyan et d’une femme blanche originaire du Kansas. Pour autant ce pays qui a facilité l’émergence de personnalités noires de premier plan (Colin Powell, Oprah Winfrey, Jessye Norman) ne semble pas parvenir à se défaire de la racine ségrégationniste comme si celle si elle lui était consubstantiellement attachée
Black Lives Matter : un mouvement qui trouve sa source dans l’histoire de l’Amérique ségréguée
En réalité le Black Lives Matter prend directement sa source dans l’histoire profonde des Etats-Unis, à l’époque de la séparation des Blancs et des anciens esclaves.
Faut-il se souvenir que si le treizième amendement de la Constitution des États-Unis, qui a pris effet le 18 décembre 1865, pose que : « Ni esclavage, ni aucune forme de servitude involontaire ne pourront exister aux États-Unis, ni en aucun lieu soumis à leur juridiction », et qu’il a de fait aboli l’esclavage, cette abolition s’est faite sans véritable politique de réconciliation, laissant subsister la détestation des uns à l’égard des autres.
Postérieurement à l’abolition de l’esclavage, c’est une société violente qui s’est installée. De 1877 à 1951, près de 4 000 personnes, hommes, femmes et enfants – pratiquement une personne par semaine pendant quatre-vingts ans – furent ainsi victimes de ces pratiques aux États-Unis, perpétrées au nom d’une loi non écrite du lynchage. Bien souvent, le fait pour une personne de couleur d’avoir « offensé la suprématie blanche » par un regard, une rumeur, une dispute, des insultes, un témoignage à charge contre un Blanc, une infraction aux lois Jim Crow, pouvait la conduire à la potence ! Bien que le lynchage ait lui aussi été interdit, les révoltes de Noirs plongés dans la pauvreté ont simplement perduré.
Doit-on se souvenir des émeutes de 1964 qui font écrire à Bruno de Leusse, ministre-conseiller à Washington, dans une note destinée au Quai d’Orsay : « La désespérance des jeunes Noirs des ghettos des grandes villes du nord, qui se sentent exploités et méprisés[1]». D’ailleurs, entre 1963 et 1968, les Etats-Unis sont secoués par 239 révoltes urbaines qui font 8000 blessés et 200 morts[2]. Plus récemment, Rodney King, Noir de 26 ans a été passé à tabac le 3 mars 1991 par des policiers de Los-Angeles au terme d’une course poursuite. Après 56 coups de bâton et six coups de pieds, six officiers maîtrisent King, le menottent et entravent ses bras et ses jambes à l’aide de cordes. Il est ensuite traîné à plat-ventre vers le côté de la route dans l’attente d’une ambulance. Un an plus tard, l’acquittement des quatre policiers impliqués a provoqué des émeutes à Los Angeles. Doit-on aussi se souvenir de Jonathan Ferrell, un ancien joueur de football professionnel de 24 ans des Florida A&M University Rattlers, abattu de 12 coups de feu alors qu’il n’était pas armé. En réalité, Ferrell victime d’un accident de voiture, s’est rendu dans une maison du quartier de Bradfield Farms et avait frappé à la porte d’une habitante pour demander du secours. La résidente, Sarah McCartney, appela la police et trois agents sont intervenus.
De manière surprenante, le Black Lives Matter est né sous la présidence de Barack Obama. C’est dire que bien qu’ayant élu un président noir, les Etats-Unis n’ont pas permis au pays de se réconcilier avec son histoire : celle de la ségrégation raciale. Comment expliquer un tel mouvement plus d’un demi-siècle après le discours de Martin Lutter King le 28 août 1963, « I have a dream » et 5 ans après le discours de Philadelphie du 18 mars 2008, « A more Perfect Union » » (Nous le Peuple, en vue d’une union plus parfaite)?
Comment expliquer qu’en dépit des messages de paix prononcés aussi bien par le Dr King que par le sénateur Obama, tous deux ne soient pas parvenus à transformer l’Amérique ? Force est de constater que le pays renferme encore en lui les stigmates de la ségrégation. Ainsi, sous couvert d’une non-distinction de race (color blind), à en croire une étude sérieuse et très approfondie du Pr. Michelle Alexander de Union Theological Siminary (New York City), le système judiciaire serait particulière biaisé au préjudice de la communauté noire[3]. Et que dire lorsque cette même communauté est significativement plus limitée que les autres Américains dans l’accès à la santé, au logement, au crédit ou à l’emploi ?
[1] « Dans les Archives du Quai d’Orsay » sous la direction de Maurice Vaïsse et Hervé Magro, Edt l’Iconoclaste, Paris 2017, pp 170-173
[2] Op.cit
[3] Michelle Alexander, « The New Jim Crow, mass incarceration in the Age of Colorblindness », The New Press, NY, 2012

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