Le Brexit franco-allemand ou la rupture de la confiance par Antoine SANTONI
Nous insistons beaucoup du regard sur une fissure extérieure et périphérique aux confins de l’Europe, alors qu’une rupture plus insidieuse et plus profonde s’opère en sourdine. L’autre « Brexit » c’est celui de la crise de la confiance entre la France et l’Allemagne.
Une confiance tout d’abord ébranlée par des postulats économiques divergents tant par le passé que par le présent. Puisque la convergence économique se fait « par le marché », c’est-à-dire par la mise en concurrence des systèmes sociaux nationaux et non par une convergence économique « guidée », la BCE se doit de faire contrepoids. Et c’est heureux, car c’est bien la seule institution qui marche en Europe palliant ainsi aux manques d’interactions coordonnées entre les politiques budgétaires et monétaires au sein de l’euro-zone. Le Quantitative Easing, le rachat de dettes d’États à outrance, exaspère Berlin tout autant que la politique des taux négatifs persistants. Or, les conséquences de taux aussi longuement bas sont historiquement une terre inconnue qui fragilise de surcroît les banques et les assurances. Seulement voilà : la théorie du Cygne noir, celle du monde de la puissance de l’imprévisible, ne nous dit ni quand ni avec quelle ampleur le prochain big bang aura lieu. Alors, comment changer la donne, corriger le tir sans donner une impression de laxisme ?
En revanche, ce qui est plus prévisible, c’est que le Brexit britannique fera de Londres un Singapour sur Thames. En effet, la carte maîtresse que le Royaume-Uni puisse abattre dans le domaine économique est celle de la baisse du taux d’imposition sur les sociétés. Cette tendance inexorable de la course à la baisse des impôts, appelée aussi race to the bottom, est déjà une réalité dans l’Union européenne à travers la baisse continue du taux des cotisations des employeurs en sus de la déréglementation du marché du travail et ne fera que s’accentuer au grand dam des pays endettés.
Se borner à ce seul constat de la défiance, notamment dans le domaine économique, est incomplet : car cette méfiance est suivie d’un « parce que ». Or, cet ajout fait la différence. En effet, dans le cercle des pays économiquement vertueux, la France fait figure de ventre mou depuis longtemps.
Dans le domaine militaire, autre sujet qui défi la confiance, l’Allemagne ne souhaite pas affaiblir son lien transatlantique. Ainsi, bien qu’il y ait des projets franco-allemands dans ce secteur (l’après Rafale et Leclerc), ceux-ci avancent à reculons. Alors comment parler de cohérence puisque Berlin s’est donné pour ambition de devenir le fournisseur des armées européennes via l’OTAN ? Objectif : rallier des alliés à une puissance collective plus importante afin de les intégrer à un système de défense performant et standardisé grâce au concept de « Nation cadre » (framework nation concept) qu’elle a elle-même élaboré. Qu’advient-il alors de la défense européenne ?
Ici, le défaut de confiance se pose différemment. En effet, la défiance française pourrait résulter de cette ambivalence allemande. Pourtant, contrairement au domaine économique, la France n’oppose aucun « parce que » au préalable, aucun dogmatisme. Tout comme l’Allemagne en économie, la France fait figure de leader européen avec son armée ainsi que sa présence militaire dans le monde. D’ailleurs, elle accepte, sans comparaison possible avec l’Allemagne, de payer le prix fort du sang (549 morts en OPEX depuis 1963) : soldats à qui il convient de rendre hommage sans jamais les oublier. En outre, elle fait partie des puissances nucléaires ainsi que du club P3. Pourtant cette France coopère sans dire que « ce qui est à elle est à elle et ce qui est à l’autre est négociable » comme le faisait Staline en son temps ou l’Allemagne de nos jours dans son rôle « cadrant » de la politique économique imposée à Europe.
En résumé, on peut donc s’accorder de dire que, oui, la confiance entre la France et l’Allemagne n’est pas profonde, que oui, il y a des raisons, mais qu’il faut que ça cesse-. Et c’est d’autant plus urgent que le Brexit britannique nous y invite. Tout comme l’ère après-Merkel qui devrait nous interpeller dans un paysage politique fragmenté par la poussée de l’extrême droite, ce qui présage d’une stabilité politique fragilisée et qui pourrait in fine nuire gravement à la réputation de l’Allemagne qu’elle ne souhaite pour rien au monde voir se répendre.
Antoine SANTONI, prix Edgar Faure 2019 de l’œuvre engagée.
« Le Brexit franco-allemand : mythe ou réalité » paru chez Ramsay.
Cédric Leboussi
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