Le complexe militaro-intellectuel vendrait-il la guerre en Europe?
Les xviie et xixe siècles furent une révolution philosophique dans l’histoire. Condorcet prédisait en 1787 : « plus la civilisation s’étendra sur la terre, plus on verra disparaître les guerres et les conquêtes comme l’esclavage et la misère ». Auguste Comte repensa la vie sociale à partir des progrès scientifiques, en vue du bonheur de l’humanité : « Je crois invinciblement que la science et la paix triompheront de la maladie, de l’ignorance et de la guerre […]. Les peuples s’entendront, non pour détruire, mais pour
»les progrès scientifiques donnaient le sentiment de la capacité de l’homme (blanc) à prévoir son avenir. Kant et Hegel avaient garanti que l’histoire avait un sens, et Marx avait fourni le matérialisme historique clés en main. Mais les penseurs se sont largement abreuvés de l’extraordinaire apport des progrès scientifiques au xixe siècle pour échafauder idéologies sociales inégalitaires, nationalismes chauvins et théories géopolitiques racistes, et ainsi justifier les guerres. Ces mythologies se veulent universelles parce que rationalistes, racistes parce que darwiniennes, missionnaires parce que religieuses. Gobineau traduisit le premier le darwinisme social avec son Essai sur l’inégalité des races humaines2 (1853), classant trois groupes de « races » : la blanche supérieure menacée de disparition, la noire et la jaune, nécessairement inférieures. L’origine de toutes les civilisations viendrait des Aryens, mais l’antisémitisme n’y est pas. En Allemagne, ses thèses rencontrent les milieux wagnériens. Le darwinisme social est promu par Ernst Haeckel qui mêle pangermanisme et haine du christianisme.
«?Tant mieux si j’y suis pour quelque chose?», déclarait Bernard-Henri Lévy en 2018, lors de la seconde bataille de Tripoli. Sans doute l’un des exemples les plus parlants de ce que l’auteur de cet ouvrage appelle «?le complexe militaro-intellectuel?». Bellicistes mais pas combattants, propagandistes actifs des «?guerres justes?», même si le remède s’avère pire que le mal?: les plateaux de télévision sont peuplés «?d’experts?», qui mandatent l’Occident en gendarme international, médiatisent telle ou telle crise, désignent le méchant, fustigent l’inaction des politiques et convainquent que telle guerre est légitime et gagnable.
Dans le passé, des intellectuels, militants politiques, journalistes ou personnalités ont pris les armes pour défendre leurs idées. Aujourd’hui, les acteurs du complexe militaro-intellectuel ne se battent plus que par médias interposés. Comment fonctionne ce complexe?? Comment est-il né? Comment a-t-il bâti son propre pouvoir?? Risque-t-il de nous entraîner dans des conflits inutiles et tragiques?? Des questions indispensables à se poser alors que l’ours russe ressort de sa tanière. Pierre Conesa est un ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense, où il a fait tout sauf de l’administration. Il est l’auteur de nombreux ouvrages..