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Le coronavirus a-t-il fait exploser le prix de la vie humaine en France ? Par Philippe Simonnot

Philippe Simonnot est un économiste et journaliste français. Docteur en sciences économiques à l’université de Paris X et de Versailles, il est l’auteur de nombreux ouvrages


L’heure des comptes a sonné en France pour le Président de la République. Maintenant les parlementaires vont s’en mêler pour de bon. On va voir ce qu’on va voir.
Emmanuel Macron n’avait-il pas proclamé lors de sa « déclaration de guerre » contre le virus le 12 mars dernier à la télévision.« La santé n’a pas de prix. Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies. Quoi qu’il en coûte ».
Peut-être Emmanuel Macron avait-il en mémoire le célèbre « whatever it takes » qu’avait prononcé en 2012 Mario Draghi, alors président de la Banque Centrale Européenne, pour enrayer la spéculation qui menaçait l’euro. Et ça avait marché comme par miracle. Mais le covid 19 est beaucoup plus insaisissable et plus dangereux que le virus de la spéculation
 
Alors combien le covid 19 a-t-il coûté à la France ?
 
D’après les déclarations de Bruno Le Maire le 2 juin, le gouvernement table désormais sur une contraction de 11 % du produit intérieur brut (PIB) de la France cette année. 11 % du PIB de 2019 (2419 milliards d’euros), cela nous fait un coût de quelque 266 milliards euros pour la seule année 2020. Une perte sèche
 
Quand Macron proclame que la santé n’a pas de prix, notre jeune Président veut sans doute dire que la vie elle-même n’a pas de prix. Qui serait assez barbare pour mettre des euros dans le plateau d’une balance et une vie dans l’autre ? Et pourtant c’est ce que nous faisons tous les jours, plus ou moins inconsciemment. A moins de rester chez soi – et encore la vie entre quatre murs n’est pas sans risque comme ces deux mois de confinement l’ont amplement montré – le seul fait de marcher dans la rue peut vous être fatal. Mais il y a un seuil de probabilité de risque d’accident mortel au-dessous duquel vous êtes disposé à mettre le nez dehors ne serait-ce que pour vous promener. Ne pas prendre ce risque vous coûterait trop cher à tous points de vue.
 
Il en est de même au niveau collectif. En voici un exemple : on compte encore aujourd’hui plus de 15 000 passages à niveau des voies de chemin de fer dans notre beau pays . Ces passages sont l’occasion d’un nombre d’accidents causant chaque année entre 15 et 42 décès. On pourrait en finir avec cette tuerie en supprimant tous les passages à niveau. Mais on ne le fait pas parce que la vie n’a pas un prix assez élevé pour justifier un tel investissement. Après tout les « passeurs à niveau » n’ont qu’à faire attention, on ne va pas dépenser des fortunes pour pallier les effets de leur imprudence ou de leur étourderie…
Il se pourrait bien, du reste, que le prix de la vie humaine varie selon les lieux, les situations, les occasions, les modes de transport, les heures du jour et de la nuit, les classes sociales, les religions, l’habitat, le sexe, les mœurs, les addictions, etc…
Ainsi a-t-on justifié – dans le monde d’avant – la réduction de 90 à 80 kms/heure sur les routes secondaires par une réduction du nombre des morts accidentels. On aurait sans doute pu arriver au même résultat en contrôlant davantage l’usage des portables au volant, ou l’acuité visuelle du conducteur ou son niveau d’alcoolémie, mais cela aurait exigé davantage de moyens policiers, et donc aurait coûté plus cher. Plus simple et moins coûteux de mettre un 8 à la place du 9 sur les panneaux de signalisation
 
Pour mettre un peu d’ordre dans cette diversité, de savants calculs économiques ont cherché à chiffrer le prix de la vie humaine en France. Résultat : la valeur d’une vie est évaluée, en moyenne, à 3 millions d’euros ( « Elements pour une révision de la valeur de la vie humaine », Commissariat général à la stratégie et à la prospective.
En principe un investissement destiné à sauver des vies seulement s’il coûte moins de 3 millions d’euros par tête de pipe.
 
Question qu’on ne manquera pas de poser à M. Macron ou à son Premier ministre : est-ce qu’on n’a pas payé trop cher la « guerre » contre le coronavirus ? « Le confinement aura permis d’éviter au moins 60 000 décès sur un mois », a déclaré Edouard Philippe, le 28 avril, lors de son allocution à l’Assemblée nationale. Sans nous dire précisément de quel chapeau il tirait ce chiffre.
 
En multipliant 60 000 décès par 3 millions d’euros (le prix de la vie humaine en France), on arrive à un coût total de 180 milliards d’euros.Or le coût total de la pandémie pour cette année est de 262 milliards. On peut considérer que le confinement est responsable pour les deux tiers de cette perte, soit 175 milliards d’euros. On retrouve à 5 milliards près le chiffre de 180 milliards. Comme par hasard !
 
La ficelle est grossière. D’autant plus que la réduction du PIB de la France ne s’arrêtera pas fin 2020 et que notre malheureux pays mettra sans doute plusieurs années avant de retrouver le niveau de PIB qu’il aurait atteint s’il n’avait été frappé par la pandémie. Ce qui veut dire que la perte en PIB sera beaucoup plus importante que les 262 milliards annoncés par Bruno Le Maire. A ces pertes sèches et définitives,  il faut ajouter les suppléments de dépenses courantes et d’investissements engendrés dans le seul domaine sanitaire par la lutte contre la pandémie.
Alors le prix de la vie humaine risque d’exploser en France…au détriment de la machine économique. Car, logiquement, plus de capitaux devront être dirigés vers le système de santé et la protection de nos concitoyens
 
 
C’est dire aussi le prix formidable que nous avons eu à payer et que nous aurons encore à payer pour l’économie de bout de chandelle qui a conduit à ne pas renouveler le stock des masques sanitaires dans ce pays si fier de son Etat-Providence et de son système de santé – « le meilleur du monde ». On aimerait connaître le prix de la vie humaine qui était pris en considération par les imbéciles responsables de cette pénurie qui s’est avérée criminelle.

 

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