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Le déficit structurel : les inégalités et la redistribution


 

 

 

Selon la typologie proposée par R. Musgrave, la redistribution (ou réduction des inégalités) est l’une des trois fonctions des finances publiques, avec l’amélioration de l’allocation des ressources dans l’économie (renforcement de l’efficacité du système productif) et la régulation des fluctuations conjoncturelles de l’activité.

 

Si la réduction des inégalités est dans certains pays une condition de l’efficacité, les deux premiers objectifs peuvent être contradictoires. Cette question est traitée dans les fiches consacrées à « l’incidence fiscale » et aux minima sociaux.

 

La présente fiche décrit les instruments de mesure des inégalités et de la redistribution, les résultats obtenus en France, notamment par comparaison avec les autres pays, et les limites de ces analyses.

 

L’équité et la redistribution ont de multiples dimensions : entre ménages disposant de revenus différents (équité dite « verticale »), entre ménages de taille différente (équité dite « horizontale »), entre personnes d’âge, de sexe, de lieu de résidence… différents. Seule l’équité verticale est traitée ici.

 

 

Les instruments de mesure

 

L’ampleur de la redistribution est mesurée en comparant les inégalités de revenu entre ménages avant et après la mise en œuvre des instruments de redistribution que sont les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques, ce qui suppose de choisir préalablement les revenus, les indicateurs d’intensité des inégalités et les prélèvements et dépenses publiques à prendre en compte.

1)    Les revenus

Les analyses des inégalités et de la redistribution partent des « revenus primaires » des ménages, à savoir leurs revenus avant tout prélèvement obligatoire. S’agissant des salaires, le revenu primaire correspond au salaire « super brut », c’est-à-dire cotisations sociales patronales comprises.

 

Cependant, les revenus primaires des retraités sont relativement faibles et ceux des actifs font l’objet de prélèvements très importants (les cotisations de retraite) pour financer les pensions versées aux retraités. Les inégalités de revenus primaires apparaissent donc très fortes mais sont corrigées par le système de retraite qui assure une redistribution entre actifs et retraités. L’ampleur de ces formes d’inégalité et de redistribution peut fortement varier d’un pays à l’autre du seul fait de leur structure démographique.

 

En outre, pour une même personne, les pensions reçues sont très liées aux cotisations versées et celles-ci peuvent être considérées comme un « salaire différé ». Vu sous cet angle, le système de retraite ne redistribue pas des revenus entre actifs et retraités mais contraint les actifs à différer la perception d’une partie de leurs revenus.

 

Pour ces raisons, les inégalités sont généralement mesurées, et c’est le cas dans cette fiche, en retenant les revenus primaires après déduction des cotisations de retraite et chômage, pour les actifs[1], et après ajout des pensions, pour les retraités, et des allocations, pour les chômeurs.

 

Un revenu de 10 000 € ne pouvant pas être considéré comme identique pour un célibataire sans enfant et une famille avec cinq enfants, les revenus des ménages sont divisés par un indicateur de leur taille appelé « unités de consommation ». Il vaut 1 pour un célibataire sans enfant mais il est inférieur à quatre pour un couple avec deux enfants pour tenir compte du fait que certaines dépenses sont communes à l’ensemble de la famille. Les revenus utilisés dans cette fiche sont des revenus par unité de consommation.

2)    La mesure des inégalités

 

Il existe de multiples indicateurs de la « distribution des revenus » et des inégalités. La plus fréquente consiste à classer les ménages par « quantiles » (déciles, centiles…) de revenus croissants et de rapprocher les revenus moyens ou médians des quantiles extrêmes (le premier et le dernier décile par exemple) ou de les rapporter au revenu moyen ou médian de l’ensemble de la population. Selon l’indicateur retenu, les conclusions peuvent être très différentes.

 

Il existe un indicateur synthétique de mesure des inégalités et de la redistribution qui est très utilisé au niveau international : le « coefficient de Gini ». Il est calculé à partir d’un graphique représentant la distribution des revenus, dit « courbe de Lorenz », qui met en relation les x % de ménages les plus pauvres avec leur part du total des revenus. Si la distribution est parfaitement égalitaire, les x % de ménages les plus pauvres perçoivent x % du total des revenus et la courbe de Lorenz est une droite faisant un angle de 45° avec l’horizontale.

 

Le coefficient de Gini est égal à la surface entre la courbe de Lorenz de la population considérée et cette courbe à 45 ° représentant une distribution égalitaire. Il va de zéro, pour une distribution égalitaire, à 100, pour une distribution totalement inégalitaire (une personne dispose de la totalité des revenus).

 

L’impact redistributif d’un prélèvement obligatoire, ou d’une prestation sociale, est mesuré par l’écart entre le coefficient de Gini de la distribution des revenus avant ce prélèvement, ou cette prestation, et celui de la distribution des revenus après ce prélèvement, ou cette prestation. Sur le graphique ci-joint, il correspond à la surface de la partie hachurée entre les deux courbes.

 

Le coefficient de Gini n’apprend rien sur les extrêmes de la distribution des revenus (taux de pauvreté, concentration des revenus sur le dernier centile…) et un pays peut avoir un faible coefficient de Gini tout en ayant un fort taux de pauvreté. Il doit donc être complété par des indicateurs tels que le « taux de pauvreté » (pourcentage de la population dont le revenu est inférieur à 60 % de la médiane).

 

NB : la surface hachurée mesure l’ampleur de la redistribution opérée par les prélèvements ; il s’agit de distributions fictives des revenus pour illustrer ce que sont des courbes de Lorenz ; FIPECO.

3)    Les instruments de la redistribution

 

La redistribution est opérée par les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques mais, pour mesurer leurs effets redistributifs, il faut pouvoir déterminer quels ménages, disposant de quels revenus, supportent ces prélèvements ou bénéficient de ces dépenses, ce qui est souvent très difficile en pratique. Les instituts statistiques retiennent en conséquence une liste limitée de prélèvements et prestations sociales qui est harmonisée au niveau international de façon à permettre les comparaisons. L’Insee retient ainsi :

 

– s’agissant des prélèvements obligatoires, l’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation, les cotisations sociales de la branche famille, la CSG et les autres contributions sociales (prélèvements sociaux sur les revenus du capital…) ;

 

– s’agissant des dépenses publiques, les prestations familiales, les aides au logement, l’allocation personnelle d’autonomie et les minima sociaux (RSA socle, minimum vieillesse, allocation aux adultes handicapés…).

 

Le « revenu disponible » est le revenu primaire, pensions de retraite et allocations de chômage comprises, dont sont déduits les prélèvements obligatoires précédents et auquel sont ajoutées les prestations sociales précédentes. Le revenu disponible par unité de consommation est appelé « niveau de vie » par l’Insee.

 

La redistribution est mesurée par l’écart entre le coefficient de Gini du revenu primaire (avec pensions et allocations de chômage) et celui du revenu disponible, dans les deux cas par unité de consommation.

B)  La situation en France et dans les autres pays

1)    La situation en 2016

 

En 2016, le coefficient de Gini des niveaux de vie (revenu disponible par unité de consommation) est inférieur en France (29,3) à la moyenne de l’Union européenne (30,8) ou de la zone euro (30,7) ; la France est donc un peu plus égalitaire. Son coefficient est inférieur à celui des autres grands pays mais supérieur à celui des pays scandinaves ou de la Belgique et des Pays-Bas. Les inégalités sont plus fortes dans l’OCDE (coefficient de 39,0 aux USA).

 

Source : Eurostat ; FIPECO.

 

Le graphique ci-joint montre que l’ampleur de la redistribution en France est inférieure à celle de l’Europe du nord et supérieure à celle de l’Europe du sud.

 

Source : Eurostat ; FIPECO

 

Dans un récent document de travail, le FMI relève que la France opère une plus forte redistribution que d’autres pays sans corriger plus les inégalités et qu’elle pourrait obtenir la même réduction des inégalités avec des prestations sociales d’un montant global inférieur de 3,5 points de PIB.

 

Selon Eurostat, le taux de pauvreté est de 13,6 % en France en 2016, contre une moyenne de 17,4 % dans la zone euro, figure parmi les plus bas (4ème rang) de l’Union européenne (16,5 % en Allemagne ; 15,8 % au Royaume-Uni ; 20,6 % en Italie ; 22,3 % en Espagne ; 12,7 % aux Pays-Bas ; 15,5 % en Belgique et 16,2 % en Suède).

2)    Les évolutions

 

Sur longue période, le coefficient de Gini du niveau de vie montre une tendance à la hausse en France, comme dans la plupart des autres pays, du milieu des années 1990 à 2015. Une pointe est observée après la crise, dans les années 2010 à 2012, suivie d’une réduction en 2013. Selon les premières estimations, il a très légèrement baissé en 2016.

 

Source : Insee ; FIPECO.

 

De 2007 à 2015, le taux de pauvreté est relativement stable en France et croissant dans la zone euro.

3)    La part des différents canaux de redistribution

 

 

 

Le graphique suivant présente la contribution des différents canaux de redistribution à la réduction des inégalités en 2016.

 

Les prélèvements obligatoires y contribuent à hauteur de 35 %, dont 29 % pour le seul impôt sur le revenu, et les dépenses publiques à hauteur de 65 %.

 

Source : Insee ; FIPECO.

C)   Les limites de ces instruments de mesure

 

Les canaux de la redistribution sont en fait beaucoup plus nombreux que ceux retenus par l’Insee et souvent beaucoup moins bien connus.

 

Les services publics rendus aux ménages, dans la mesure où leur valeur représente une part plus importante du revenu des ménages les plus pauvres, contribuent fortement à la réduction des inégalités. L’ampleur de la redistribution qu’ils opèrent, notamment les services de santé et d’éducation, est en France, selon l’OCDE[2], du même ordre de grandeur que celle des prélèvements obligatoires et prestations sociales retenus précédemment. Elle y est plus importante que dans la plupart des autres pays.

 

Seule une partie des prélèvements obligatoires est retenue par l’Insee. Si les impôts indirects sont plutôt anti-redistributifs, les impôts sur le capital contribuent à redistribuer les revenus disponibles, car ils sont payés par les ménages en prélevant d’abord sur leurs revenus puis en cédant une partie de leur patrimoine si leurs revenus sont insuffisants.

 

Les régimes de retraite sont supposés ne pas avoir d’effet sur la distribution des revenus, les pensions étant proportionnelles aux cotisations versées. En réalité, ces régimes comportent des « dispositifs de solidarité » en faveur des plus pauvres comme le minimum garanti.

 

Les collectivités locales assurent une aide sociale aux plus pauvres, par exemple sous forme de capacités d’hébergement, et demandent souvent aux ménages une participation financière au fonctionnement des services publics locaux (crèches, cantines, actions culturelles…) dont le tarif est croissant avec le revenu. Les montants en jeu ont été récemment publiés par la DREES pour les prestations et les départements (17 Md€ en 2015 hors RSA socle et APA), mais leur impact sur la distribution des revenus n’est pas connu.

 

 

[1] La problématique étant la même pour l’assurance chômage.

[2] « The impact of publicly provided services on the distribution of resources », OCDE, 2012.

 

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