Le monde pourrait se retrouver dans une nouvelle dépendance globale Par Alexandre Lemoine
« Le Moyen-Orient possède du pétrole. La Chine possède des métaux des terres rares », a déclaré dans les années 1980 Deng Xiaoping, qui en seulement quelques années a transformé la Chine d’un pays pauvre en l’un des leaders économiques du monde. Très perspicace. Les autres pays commencent seulement à prendre conscience de cette perspicacité pour la géopolitique du XXIe siècle.
L’Occident est inquiet : le monde pourrait se retrouver dans une nouvelle dépendance globale, non plus du pétrole russe mais des ressources chinoises. Pékin est devenu un monopoliste sur le marché des métaux des terres rares en devançant largement tous les autres, ce qui, selon Bloomberg, est « un mauvais présage pour la stabilité au XXIe siècle ».
Le groupe des métaux des terres rares inclut 17 éléments et fait partie du groupe des métaux rares (60 au total) en plus des réfractaires, légers, dispersés et radioactifs. En termes de réserves de métaux rares, la Russie est deuxième après la Chine, mais sa part dans la production mondiale est inférieure à 2%.
Ces métaux sont utilisés dans différentes industries : l’électronique, l’énergie nucléaire, la construction mécanique, l’industrie chimique et la sidérurgie. Sans ces métaux il n’y aurait pas de smartphones, de voitures, d’éoliennes, de matériel militaire et bien d’autres. Par exemple, un chasseur américain F-35 contient 420 kg d’éléments des terres rares. Ils sont indispensables dans le monde technologique moderne et c’est pourquoi les pays producteurs ont besoin d’un accès permanent et fiable à cette ressource. Notamment sur fond de guerre commerciale déclenchée par les États-Unis contre la Chine et de demande grandissante.
Sachant que leur extraction et transformation sont un processus complexe et parfois dangereux comportant d’importants risques écologiques, ce qui, au début des années 1980, a entraîné la fermeture de la production aux États-Unis, qui assuraient plus de 60% de la production mondiale. Malgré la quatrième place de par les réserves de terres rares dans le monde, l’industrie russe, après l’effondrement de l’Union soviétique, a également perdu la majeure partie de ses capacités de tri des minerais des terres rares et aujourd’hui elle dépend également des fournitures étrangères.
À l’heure actuelle, la Chine est le plus grand producteur mondial des métaux rares et des terres rares. Sa base de minéraux et de matières premières se trouve en Mongolie-Intérieure, où les oxydes de terres rares sont extraits de minerais fer-niobium comme produit associé (d’ailleurs, les géologues affirment qu’une grande base de matières premières pourrait être créée en Corée du Nord avec son gisement unique de Chongju qui, selon les estimations, pourrait être plus grand que le chinois).
La spécificité de l’extraction et de la transformation des métaux rares et la demande croissante de l’industrie chinoise ont conduit à la réduction de leurs livraisons chinoises sur le marché extérieur en 2010-2011, ce qui a conduit à une hausse considérable des prix (de 10-20 fois). Les consommateurs au Japon, aux États-Unis et dans d’autres pays ont dû utiliser leurs réserves et/ou lancer de nouveaux projets d’exploration et d’exploitation des métaux rares.
C’est pourquoi les métaux rares sont qualifiés de « nouveau pétrole ». Les pays sur leur marché sont répartis en deux groupes : les producteurs et les consommateurs. Dans le cas des métaux rares, les États-Unis ont emprunté un chemin familier. En juin 2022, les États-Unis et le Japon ont annoncé la création d’une nouvelle structure internationale qui garantirait à ses participants un accès aux métaux rares. Cette organisation devait inclure plus de dix pays, dont le Canada, l’Australie et plusieurs États d’Asie. Cette structure est censée assurer les investissements nécessaires pour exploiter de nouveaux gisements et faire fonctionner des chaînes logistiques fiables pour acheminer cette matière première stratégique.
De plus en plus de pays s’efforcent de produire eux-mêmes les métaux des terres rares afin de renoncer aux ressources chinoises, comme cherchent à le faire les États-Unis, l’Australie, le Myanmar, le Canada et d’autres pays. Le Japon a découvert un immense gisement, mais il se trouve sous le fond marin et difficile d’accès. La Turquie a découvert son propre gisement en Anatolie centrale. Mais la création de l’infrastructure nécessaire prendra des années. Bien que la part de la Chine sur ce marché diminue, elle reste très importante. En 2019, elle s’élevait à 60% de la production mondiale et à 87% de la transformation.
Alexandre Lemoine
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