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Le plombier polonais martyr du protectionnisme Par Ferghane Azihari

Le syndrome du plombier polonais a la vie dure. L’Union européenne tente d’instaurer la libre circulation de la main d’oeuvre mais se heurte à la volonté d’harmonisation sociale de l’Allemagne et de la France. En réalité, il s’agit d’un protectionnisme déguisé et non d’une volonté d’augmenter les salaires des pays de l’Est.

Les syndicats et entreprises d’Europe occidentale se plaignent depuis plusieurs années de la “concurrence déloyale” des travailleurs d’Europe de l’est. Tout en étant moins chers que les travailleurs locaux dans de multiples secteurs où l’on nécessite peu de qualifications, ces derniers accroissent substantiellement leur rémunération pour un même ouvrage comparé aux salaires qu’ils perçoivent dans leurs pays d’origine.

Malheureusement, les dirigeants syndicaux prétendent que la concurrence ne peut être loyale que lorsque les conditions sociales sont les mêmes partout. Une telle croyance se heurte bien évidemment de front avec la théorie économique la plus élémentaire et le jeu des avantages comparatifs.

Sophismes économiques et protectionnisme

La division du travail puise justement son intérêt dans nos différences respectives. L’entraver au nom de la fausse nécessité de préalablement harmoniser les conditions de chacun encourage une mauvaise spécialisation des industries. Cela nous prive d’une économie plus productive. La production globale de richesses est freinée — et donc le recul de la pauvreté.

Le sentiment protectionniste contre les travailleurs de l’Est a atteint son apogée en 2005-2006 pendant le débat sur la directive relative aux services dans le marché intérieur, dite également “directive Bolkestein”, du nom du Commissaire européen qui la promouvait à l’époque. Cette directive avait l’ambition de faciliter la mobilité des travailleurs européens en décloisonnant les marchés nationaux du travail. Les protectionnistes d’Europe de l’Ouest ont alors amorcé une campagne xénophobe contre le “plombier polonais”.

Ce dernier est devenu le symbole de la déréglementation européenne qui autoriserait les étrangers à “voler” le travail des locaux. Ce mythe éternel de l’étranger qui viendrait voler le travail d’un local se fonde sur l’erreur qui consiste à concevoir le marché de l’emploi comme un gâteau fixe. La réalité est plus subtile. La venue de nouveaux entrants crée sans cesse de nouveaux besoins à satisfaire.

Aucune étude n’a déjà réussi à établir un lien de causalité entre l’immigration, l’augmentation de la démographie et le chômage.

Le scandale des travailleurs détachés et l’avenir de la libre circulation

Ces protectionnismes ont refait surface en 2013 avec le scandale des travailleurs détachés. Selon la définition de la Commission européenne, un travailleur détaché est “un salarié envoyé par son employeur dans un autre Etat membre en vue d’y fournir un service à titre temporaire.”

Ce système instaure une concurrence réglementaire et fiscale entre les Etats dans la mesure où les prélèvements obligatoires destinés à financer les régimes publics de Sécurité sociale doivent être payés selon la loi du pays d’origine du travailleur et non selon celle du pays dans lequel il travaille.

Le nombre grandissant de travailleurs détachés en Europe de l’ouest a conduit la France et l’Allemagne à prendre des mesures destinées à distordre le libre-échange de services. Le gouvernement français a accru les contrôles sur les entreprises embauchant des étrangers. Il a réclamé une plus grande harmonisation du droit social en Europe. Il a étendu le salaire minimum aux camionneurs étrangers et a renforcé la portée des conventions collectives locales en vue de renchérir artificiellement le coût de la main d’oeuvre européenne.

L’objectif consiste ici à réduire les avantages comparatifs des travailleurs détachés – leurs plus faibles salaires – en vue de diminuer leur employabilité au profit des travailleurs et des syndicats français.

Cette défiance classique vis-à-vis des travailleurs immigrés en totale contradiction avec la prétendue tradition internationaliste des syndicats fait écho au constat que faisait l’économiste autrichien Ludwig von Mises au début du 20ème siècle :

Ces ouvriers voient dans les immigrés la cause de leurs salaires réduits. Leur intérêt particulier exige une prohibition de l’immigration. Empêcher l’afflux de nouveaux ouvriers devient un point du programme de la politique particulière de tous les groupements d’ouvriers.

Von Mises avait cependant compris qu’entraver la liberté des échanges nuisait à court-terme à la production de richesses et finissait ainsi par se retourner contre les populations que l’on cherchait à protéger en premier lieu.

Le salaire minimum, un effet délibérément exclusif ?

Les effets exclusifs du salaire minimum sont soulignés dans un rapport récent du Conseil économique, social et environnemental sur l’effet des travailleurs détachés en Europe. L’organisme notait que “le salaire minimum en France a réduit l’avantage économique de recourir à des travailleurs détachés”.

Sous la pression des pays de l’est, la Commission européenne a donc entrepris d’ouvrir une procédure d’infraction contre l’extension du salaire minimum français et allemand au secteur des transports. Les pays d’Europe centrale et de l’est se sont en effet toujours dressés contre la volonté d’harmonisation sociale portée par les forces protectionnistes d’Europe occidentale.

Ces pays sont bien conscients qu’une telle harmonisation ne va pas augmenter le salaire des travailleurs de l’est. “Ils veulent les exclure du marché”, déplorait un manifestant hongrois à Bruxelles au micro d’Euronews. Des travailleurs s’étaient en effet réunis pour protester contre l’extension du salaire minimum dans le secteur routier.

Utiliser le salaire minimum à des fins protectionnistes n’est pas une stratégie nouvelle en Europe. Une étude de l’Institut de recherche pour l’avenir du travail parue en 2012 montrait également que la prolifération des conventions sectorielles établissant un salaire minimum dans plusieurs industries allemandes était elle aussi une stratégie pour limiter l’afflux de travailleurs low-cost.

Une telle mesure n’était pas seulement réclamée par les syndicats. Elle était également bien vue des entrepreneurs locaux qui aspiraient à élever les barrières à l’entrée contre leurs concurrents afin de les forcer à payer des salaires au-dessus des prix de marché.

La finalité protectionniste du salaire minimum montre que les gouvernements sont conscients des effets d’exclusion de la législation sociale. Confrontés à de hauts taux de chômage, les gouvernements européens sont décidément très cyniques lorsqu’ils prétendent mener “la bataille de l’emploi” en soutenant des mesures qui entravent l’inclusion sociale de millions d’Européens.

Loin d’augmenter le pouvoir d’achat des plus fragiles, le salaire minimum diminue l’employabilité des individus dont la productivité n’atteint pas le prix arbitrairement fixé par la loi. Il induit une plus grande difficulté à s’insérer dans un réseau, à accumuler de l’expérience et des compétences et constitue ainsi une puissante barrière à la mobilité sociale.

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Étudiant en droit et en science politique à l’université de Paris-Est Créteil Val-de-Marne, Ferghane Azihari est coordinateur local pour Students for Liberty, un réseau international destiné à promouvoir l’économie de marché.

Il est également chargé de mission pour l’École de la Liberté, une plateforme de recherche et d’éducation destinée à faire connaître la tradition libérale à travers le prisme de toutes les sciences humaines.

Il publie régulièrement pour le magazine Contrepoints en France, l’Institut Ludwig von Mises aux États-Unis. Il est également rédacteur chez Young Voices. Ses centres d’intérêt se portent plus particulièrement sur les politiques européennes, les relations internationales, la fiscalité et plus généralement les rapports entre le droit positif et la concurrence.

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