Le temps est venu que la gauche écologiste européenne, féministe, démocratique, fraternelle, relève la tête.
La chute de Rome devint inexorable lorsque l’empereur Commode descendit combattre dans l’arène pour divertir le peuple. Jusqu’ à quand les patres conscripti de la République se comporteront-ils en gladiateurs médiatiques ? La vie publique française singera-t-elle longtemps encore les antiques jeux du cirque ? Le tumulte et le scandale sont désormais notre quotidien politique. Ceux qui devaient être les premiers gardiens du dialogue civique dans notre pays, de sa qualité et de sa dignité, ont failli. Pis, leur perpétuel cyclone de polémiques dérisoires abime le débat démocratique et repousse les citoyens vers les marges dangereuses de l’apathie et du populisme. Pour notre société, l’asphyxie démocratique aggrave la dépression sociale.
Pourtant, les Français ont exigé le nouveau monde, et ils avaient raison. La trahison de cette promesse est peut-être la plus grave de toutes les fautes de ce pouvoir. Il n’est que le règne des lobbys et du mépris. Ses manquements éthiques, ses jeux de Cour, l’instabilité du gouvernement et du président de la République ne sont estompés, dissimulés, que sous le bruit d’un pugilat permanent avec les partis et personnages du vieux monde. De cette mise en scène le citoyen est, dans le meilleur cas, absent; dans le pire, victime.
Face à des élites obsolètes et décadentes, la gauche n’a pas seulement le devoir de lutter contre sa funeste fragmentation et ses picrocholines querelles. Elle a l’impérieuse mission de recréer l’espoir, de le faire revenir dans le coeur de notre peuple et de porter cette espérance au pouvoir. Je le dis respectueusement mais sans détour : à la violence des ultralibéraux et des ultranationalistes, la réponse n’est pas la jouissive colère dégagiste mais l’heureuse reconquête humaniste. Face à ceux que l’historien israélien Zeev Sternhell appelle les anti-Lumières, face aux anti-Europe, aux anti-Fraternité, nous devons lever des passions positives. Le pouvoir ne désire, pour se maintenir, qu’une opposition caricaturale. Imposons-lui une alternative sérieuse, un grand dessein mobilisateur et enthousiasmant pour la France. Il est urgent de recréer un horizon commun.
Pour cela, la gauche doit avoir le courage de regarder le monde tel qu’il est et non tel qu’il fut. Les citoyens savent la vérité du monde qui change. Ils vivent l’épuisement du travail. Ils sont plus conscients que jamais du réchauffement climatique. Ils subissent la résurgence du fondamentalisme religieux et identitaire. Ils savent que la mondialisation est une réalité à regarder en face. Ils peuvent entendre la vérité sur notre devoir de solidarité envers les migrants, économiques, exilés, demandeurs d’asile ou encore réfugiés climatiques. Le rôle des gouvernants n’est pas de démentir le réel mais d’assumer une éthique de l’humilité face à sa complexité, et de proposer des solutions conformes à l’intérêt général.
A monde nouveau, idées nouvelles. La gauche doit toujours préférer penser un monde d’avance plutôt que regretter le monde d’avant. La nostalgie d’hier n’a jamais offert de lendemains qui chantent. Nous ne ferons pas échec aux vieilles recettes libérales en promettant le retour aux vieilles recettes de la social-démocratie keynésienne épuisée. Ni en versant dans un souverainisme illusoire. Je forme l’espoir d’une audace idéologique radicale, à la hauteur du moment.
Nul n’ironise plus en entendant les mots de “revenu universel d’existence”, de “taxe robots”, de “reconnaissance du burn out comme maladie professionnelle”, de lutte contre les perturbateurs endocriniens…La conversion idéologique de la gauche à l’écologie est enfin réalisée. Portons une écologie à laquelle seule l’échelle européenne permettra d’être respectée. Une écologie clairement de gauche car incompatible avec le système libéral, où le profit l’emporte même sur notre survie. Une écologie de rupture avec le système productiviste et son credo mortifère : produire plus, consommer plus, détruire plus. A nous d’inventer la grande gauche écologiste européenne qui gouvernera demain. Car notre gauche de transformation radicale est une gauche de gouvernement.
Pour y parvenir, notre pays a besoin d’une nouvelle intelligence collective, pas d’hommes providentiels. La raison des citoyens doit primer la verticalité césariste et populiste. A fortiori à l’heure où le grotesque virilisme autoritaire, celui des Trump et Bolsonaro, menace la stabilité du monde. Le populisme crée la confusion idéologique quand la gauche doit mener la bataille idéologique : préférons une gauche claire sur ses valeurs, irriguée par les initiatives citoyennes, irréductible à l’hégémonie d’un parti ou d’un individu. Ce qui est épars se rassemblera autour de valeurs et de combats communs, pas autour d’appareils ni de tribuns. Ainsi, les féconds débats d’aujourd’hui feront l’unité de demain et les victoires d’après-demain. C’est tout le sens de notre engagement pour la VIe République: une société du “faire avec”, du “faire ensemble”, une coopération citoyenne de chaque instant. La politique de tous les visages, et non d’un seul.
Parler juste. Penser loin. Décider ensemble. Réaffirmer qu’un autre avenir, une grande ambition humaniste, sont possibles. Je sens l’urgence, chaque jour plus grande, qu’il y a à redonner espoir à nos concitoyens désenchantés par l’emprise négative des libéraux et des populistes. Le temps est venu que la gauche écologiste européenne, féministe, démocratique, fraternelle, relève la tête.
Benoît Hamon, ancien ministre, fondateur du mouvement Génération.s