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Le transhumanisme ou le mythe du surhomme par Meriem Saïdi

L’homme est le seul animal ayant la capacité de peser sur le cours de son évolution.

Nous sommes dans une ère de dépression, de pessimisme, de désaffection de l’homme pour lui-même. L’homme se dévalorise au vu des conflits, des scandales, de la violence et autres catastrophes relayées par des médias anxiogènes. Bref, tout a l’air d’aller mal !

Dans ce contexte, les transhumanistes affirment qu’il est temps d’imaginer la prochaine étape, après l’homo sapiens, la posthumanité : un stade supérieur où nous serions plus forts, plus intelligents, plus résistants et dotés d’une espérance de vie infinie… Vaste programme et alléchant par-dessus le marché !

Dès 1957, le biologiste Julian Huxley définissait le « transhumain » comme un homme qui se transcende, donnant lieu à une nouvelle espèce humaine plus apte à accomplir sa destinée. Son frère s’inspira de ces positions eugénistes et évolutionnistes pour écrire Le meilleur des mondes.

Rémi Sussan, journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies, parle du transhumanisme comme d’ »une lame de fond culturelle, nourrie au lait de la science-fiction », une « mythologie ». Ce que propose le transhumanisme ne pourrait pas être pire que la conviction actuelle que l’homme imparfait, prédateur, est foncièrement mauvais.

Les technologies vont sauver l’humanité, rien de moins
Les transhumanistes ambitionnent d’en finir avec la souffrance, les maladies, le hasard de la naissance, le vieillissement et la mort. Dit comme ça, cela pourrait prêter à sourire, mais ce n’est pourtant pas de l’ordre du fantasme : grâce aux biotechnologies et à d’autres techniques émergentes, on vous promet une vie « meilleure », et cette idée se développe aux quatre coins du monde.

Parmi les courants les plus sages, je citerai l’Association transhumaniste mondiale (devenue Humanity+), fondée en 1998 par un Suédois, Nick Bostrom, et l’association française Technoprog de Marc Roux. D’autres sont plus radicaux, comme l’Université de la singularité (Singularity University), aux Etats-Unis, et son mentor Ray Kurzweil, qui promet, d’ici 2045, l’avènement d’une intelligence artificielle surpassant la nôtre.

La Silicon Valley est particulièrement réceptive à cette vision. Le développement croissant de ces groupes peut s’expliquer par leur connivence avec les pouvoirs économiques et politiques. La Singularity University compte comme partenaire Google (projet Calico, qui vise à repousser les limites de l’espérance de vie), Nokia et la Nasa. Les Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon) constituent le noyau dur de l’investissement et de la recherche. Ray Kurzweil a d’ailleurs été le conseiller d’Obama et travaille pour Google.

Ces « technos-enthousiastes » disposent d’importants relais financiers. Randal Koene, neuroscientifique installé à San Francisco, explique que « l’idée de copier le cerveau sur un support, qui s’affranchira de notre biologie » est envisageable. Directeur du projet Initiative 2045 financé par le milliardaire russe Dmitry Itskov, il ne promet rien de moins que l’immortalité.

Immortalité, intelligence artificielle et son interface avec notre cerveau, voilà le triptyque des activistes transhumanistes. On notera le retard européen en matière de NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique, Connectique qui comprend la robotique, l’intelligence artificielle et les sciences du cerveau).

Le transhumanisme veut dépasser les limites

  • Les limites du corps peuvent être modifiées

Les progrès techniques et médicaux permettent de « réparer » le corps. Depuis un siècle, la quantité de douleurs et de maladies auxquelles l’homme fait face dans sa vie a diminué.

Lors d’une conférence le 19 mars 2016 au Salon du livre, Michel Serres et Jean-Michel Besnier étaient interrogés sur le sujet. Selon eux, la machine remplace depuis des décennies certains gestes humains jusqu’au moment où les progrès de la robotique empiètent sur l’humain (automatisation du travail).

Partant de ce constat, Michel Serres rappelle que l’homme intègre la machine depuis des décennies sans que cela ne remette en cause son humanité. D’après lui, il ne faudrait pas confondre augmentation et amélioration. Pour Besnier, le changement est radical et inquiétant ; on passe à la machine qui intègre l’homme : il y a « un continuum entre l’ambition de réparer l’homme et l’ambition de doter l’homme de performances nouvelles ». Il prend l’exemple de l’athlète Oscar Pistorius qui s’était vu refuser la participation aux jeux de Pékin des « valides » : cet homme, dont le handicap était réparé par des jambes artificielles, serait passé dans la catégorie de l’homme « augmenté » si cher aux transhumanistes. Le standard de l’humain par rapport auquel se définit le handicap risque d’être totalement bouleversé. Vous pourriez être tenté de vous doter de capacités physiques supplémentaires en modifiant votre corps grâce à la technologie, mais vous ne seriez plus alors qu’un répliquant, un cyborg, un être déshumanisé.

  • Pour les limites de l’esprit, c’est plus compliqué

Elles relèvent du caractère de l’individu, mais aussi du collectif et de la culture dans lesquels il évolue : elles mettent en jeu une liberté fondamentale, celle du choix de ses valeurs, et donc du choix de sa vie. Qu’à cela ne tienne, les transhumanistes ont les moyens de vous vendre de belles histoires…

Besnier et Serres s’accordent à dire que nous sommes des êtres de signes (nous parlons, nous dialoguons, nous sommes en interaction avec nos semblables) et de signaux (nous réagissons au feu rouge). Dans cette ère de fusion de la machine avec l’homme, vous avez deux solutions : continuer à adapter la machine à l’homme ou risquer ce que Besnier appelle « la mécanisation de l’esprit ». Il craint que l’intelligence humaine soit menacée. La singularité transhumaniste mettrait fin à notre intelligence naturelle et biologique : « Les technologies écrasent les signes au profit des signaux. » Serres, optimiste, conclut l’échange par un trait d’humour : « Un homme idiot doté d’une puce ne sera qu’un homme trois fois plus idiot et c’est tout. » Pas de panique !

Prenons l’exemple des psychotropes. Ne sont-ils pas la promesse d’une vie meilleure ?

Est-ce vraiment une meilleure vie que celle enserrée dans une camisole chimique qui, de toute façon, ne pourra pas durer ? Indéniablement non : l’inquiétude diminue, mais la conscience aussi, pour arriver parfois à un état quasi végétatif. Vous avez le choix, alors faites le bon.

La prescription (médicale ou psychologique) de toute substance et le conseil de tout objet technologique censés améliorer votre vie ne sont des injonctions qu’à partir du moment où vous les percevez comme telles. La pression sociale, familiale et professionnelle d’être technologiquement à la page, voire à la pointe, est forte mais pas toujours insurmontable.

Croire que la machine fera systématiquement mieux que vous revient à l’idéaliser et à alimenter une perte de confiance en vos capacités humaines.

L’exemple d’AlphaGo (produit par DeepMind, une filiale de Google), s’opposant au spécialiste mondial du jeu de go en mars 2016, Lee Sedol, illustre mon propos : la machine a gagné, soit, mais elle n’est pas prête de donner ses impressions sur une partie ou d’échanger avec le joueur humain…

L’homme immortel : fantasme ou réalité ?
Au Moyen Age, les alchimistes rêvaient de créer la pierre philosophale, source de richesse et de vie éternelle. L’utopie transhumaniste reprend la quête de l’immortalité en s’appuyant sur les perspectives vertigineuses des nanotechnologies, de la robotique, de l’informatique et de la génétique.

Il n’existe aucun médicament, aucune technique permettant de vivre plus longtemps. Si l’espérance de vie augmente, passé un certain âge, la courbe démographique s’effondre. 110 ans constituent une sorte de limite. Les décès sont imputables à trois maladies liées au vieillissement : les problèmes cardio-vasculaires, les cancers et les maladies neurodégénératives (70% des décès en France). En combattant ces causes, on accroîtra mécaniquement l’espérance de vie. De grands progrès ont été faits ces dernières décennies pour les deux premières causes, il y a plus d’incertitudes pour les maladies dégénératives.

La génétique est une des pistes privilégiées pour allonger l’espérance de vie. Une autre voie prometteuse est la régénération des organes.

On perçoit déjà une accélération dans la techno-médecine avec les implants pour soigner Parkinson, les implants rétiniens, la robotique chirurgicale, les mains et le coeur artificiels.

On séquence le vivant, on utilise des cellules souches pour fabriquer du cerveau en éprouvette, on change les gènes (thérapie génique), on les « coupe » (récente découverte majeure d’Emmanuelle Charpentier, le CRISPR Cas-9), on introduit les nanotechnologies à tous les niveaux de la médecine (médicaments, soins, chirurgie).

Le diagnostic à coups d’algorithmes qui effectuent plus de calculs que le cerveau humain pourrait remplacer le diagnostic humain.

Les transhumanistes vont plus loin avec leur idée de téléchargement de la conscience (mindupclouding: c’est-à-dire le transfert, dans un cerveau artificiel, de l’intelligence, de la sensibilité, de la conscience et du savoir, avec la promesse de la vie éternelle… A supposer que notre conscience soit toute entière dans notre cerveau, serait-elle réductible aux circuits de nos synapses ?

Les manipulations génétiques sont aussi au coeur de leurs recherches : après avoir dressé la carte des gènes liés au vieillissement, on pourrait les extirper de l’embryon de façon à stopper le vieillissement. Ce serait oublier les données environnementales dans le mécanisme et instaurer l’eugénisme (ensemble des recherches et des pratiques qui ont pour but de déterminer les conditions optimales à la procréation de sujets sains).

Un autre problème est qu’une humanité qui ne vieillit pas est, selon le chercheur Hugo Aguilaniu, une humanité qui n’évolue pas. L’immortel n’est pas invincible et toute évolution de notre environnement ne pourrait pas être supportée par des êtres ayant cessé d’évoluer.

La singularité : le mot favori des transhumanistes
Ray Kurzweil la définit comme « une période future pendant laquelle le rythme de l’évolution technologique sera si rapide, son impact si profond, que la vie humaine s’en trouvera radicalement transformée » (The Singularity is Near, 2005). C’est à ce moment que l’intelligence artificielle dépasserait celle de l’homme. Tout problème aura alors potentiellement sa solution. « Nous pourrons mettre notre esprit dans un ordinateur », poursuit-il.

Nous ne sommes pas loin de Faust : on joue aux apprentis sorciers avec les manipulations génétiques à outrance, l’eugénisme et l’introduction de l’informatique dans le corps.

Ce n’est plus réservé à la science-fiction : le changement s’exerce déjà dans les mentalités à travers le cinéma, l’exaltation des trouvailles scientifiques ou les jeux vidéo. On vous fait miroiter le bien-être absolu, le confort, la santé pour tous, la justice sociale universelle et la sécurité. C’est la promesse d’une société où l’égalité sera à tous les niveaux, où nous serons des surhommes.

Déjà en Europe, dans un silence bien entretenu par les gouvernements, on étudie le puçage des corps (avec des puces qui atteignent la taille d’un grain de riz). Dès maintenant, on « augmente » l’homme : les pilotes de chasse se font opérer les yeux pour améliorer leur acuité visuelle.

On aspire à être au-dessus des standards, mais cela reste un projet d’élite loin de l’amélioration du bien commun. Les technologies utilisées sont, en fait, de plus en plus sophistiquées et coûteuses. Le risque est de provoquer une fracture violente dans l’humanité, ce qui pose un problème à la fois politique et éthique majeur. A bien y regarder, le transhumanisme propose des biens (technologiques) marchands comme solutions de bien-être…

Vous avez le choix entre la technologie comme un outil d’évolution, une aide, une impulsion ou la technologie évinçant l’homme. C’est un choix de civilisation, une décision personnelle avant toute chose.

Faut-il avoir peur du transhumanisme ? Oui et non…
Aussi spectaculaire et radicale que puisse être cette idéologie, elle reste partagée seulement par un petit nombre d’individus. Malgré l’engouement des grandes compagnies suscité par l’univers du possible qu’ouvrent les nouvelles technologies, vous restez maître de votre vie et de vos choix. Rien ne pourra remplacer l’homme en ce qu’il a de plus unique : sa conscience, sa sensibilité et sa diversité.

La nature enfante des êtres inégaux. Il n’en reste pas moins que la tendance à vouloir être égaux nous porterait à vouloir être fabriqué comme n’importe quel produit que nous créons. En 1956, Gunther Anders dans L’Obsolescence de l’homme pressentait l’engouement actuel pour la technologie : tout se passe comme si tout ce qui est fabriqué par l’homme serait préférable à ce qui est donné ou transmis par la nature.

C’est ce qu’il a appelé la « honte prométhéenne », la honte de soi en tant qu’être né du hasard (de la rencontre hasardeuse de gamètes).

L’accueil des nouvelles techniques de reproduction, dans les années 80, la tolérance de l’idée de l’homme machine dans les années 2000 jusqu’à nos jours confirment que c’est de nous-mêmes dont nous devons nous méfier. Les machines sont de plus en plus autonomes, elles prennent des initiatives (Bourse, diagnostic médical, matchs d’échecs et de go récemment), elles nous imposent des formats. Elles n’en restent pas moins qu’une série de compétences pouvant concurrencer certaines compétences humaines : la mémorisation, le stockage et le traitement des informations, la vitesse calculatoire.

De nombreuses universités consacrent des études aux risques liés aux progrès technologiques comme l’intelligence artificielle. On peut citer le CSER (Center for the Study of Existential Risk) de l’université de Cambridge ou le FHI (Future of Humanity Institute) : tous se posent la même question d’une éventuelle extinction de l’espèce humaine telle que nous la connaissons… Effrayant et rassurant à la fois.

Le physicien Stephen Hawking et Bill Gates, pionniers de l’intelligence artificielle, sont les premiers à avoir émis des mises en garde sur les dangers encourus. Stephen Hawking prédit que « le développement d’une intelligence artificielle complète pourrait mettre fin à l’espèce humaine » (BBC, décembre 2014). Il ajoute : « Une fois que les humains auront développé une intelligence artificielle, elle va prendre son envol et se reconstruire elle-même à un rythme toujours plus rapide. Les humains, limités par la lente évolution biologique, ne pourront suivre et seront remplacés. » Il est rejoint par le cofondateur d’Apple, Steve Wozniak, le philosophe et linguiste Noam Chomsky et le prix Nobel de physique Frank Wilczek.

Pendant ce temps, l’industrie de l’armement continue les recherches sur des robots tueurs.

La robote psychologue (prénommée Ellie), créée par l’université de Californie du Sud, scanne votre comportement et repère les émotions qui vous trahissent. Elle propose ensuite un diagnostic à un psychologue en chair et en os.

En 2014, une société de capital-risque (basée à Hongkong) nomme un robot à son conseil d’administration : Vital sait analyser une grande masse de données et choisir les meilleurs investissements. Il dispose d’une voix au même titre que les autres administrateurs.

La même année, Amazon fait rentrer 15 000 robots Kiva dans ses gigantesques hangars aux Etats-Unis pour traiter les commandes.

Des chercheurs de l’université de Stanford développent un moteur de recherche (Robo Brain) réservé aux robots qui leur permet de trouver eux-mêmes les informations qui leur manquent quand les humains leur font des requêtes inconnues.

VIN est le premier robot vigneron (français) capable de tailler la vigne (plus de 600 pieds par jour), de récolter toutes sortes de données sur la vigne. Son équivalent maraîcher sait repérer les fruits mûrs d’un verger, les traiter avec des pesticides et les ramasser.

Autant de raisons de rester vigilant.

Peut-on résister à la tentation transhumaniste ? Oui !
Bien que les innovations technologiques répondent à une puissante logique de marché, vous devriez avoir votre mot à dire dans les choix des programmes de recherche. Les conférences, les forums, les réunions citoyennes sur ces questions existent.

La fascination technologique ne doit pas occulter les risques. Vous vous accoutumez très vite aux progrès technologiques, vous en êtes dépendant, mais ce n’est pas une fatalité. Vous devez garder le contrôle de nos sociétés technologiques : vous ne devez pas tout abandonner à la machine. Vous devez user de votre droit de vous « déconnecter », c’est ce que propose Besnier qui s’inquiète de cette fuite en avant.

Laurent Alexandre, cofondateur de Doctissimo.fr, créateur de la société DNAVision (société belge de séquençage d’ADN), nous met en garde contre la croissance tentaculaire du groupe Google et contre l’impérieuse nécessité d’investir dans les NBIC en Europe pour ne pas se laisser « vassaliser » par le groupe américain. Aucun concurrent de taille n’existe, d’autant que Google rachète toutes les entreprises à la pointe des NBIC : c’est le groupe qui investit dans les domaines prometteurs. Que font les Etats européens ? « En Europe, on est largué, on regarde le train passer… », conclut Laurent Alexandre. Il semble indispensable de poser des garde-fous et d’investir.

L’humain doit aussi se réconcilier avec lui-même plutôt que de croire qu’un autre que soi, une machine, fera mieux que lui. Vous n’êtes pas parfait, et alors ? Vous êtes perfectible. Il vous appartient de vous améliorer chaque jour.

La formule d’Erasme, reprise (et transformée) par Simone de Beauvoir, « on ne naît pas homme, on le devient », illustre l’idée que nous sommes le produit d’une construction.

Nous ne sommes pas un produit manufacturé à partir d’un standard édifié par le transhumanisme : l’homme augmenté, le « cyborg ».

La résistance à une déshumanisation, à une dépossession, est urgente : cultivez vos valeurs humaines comme la liberté, la connaissance et la justice. Cultivez ce qui fait que vous êtes humain : le pouvoir de choisir.

Parfois un sentiment d’impuissance me gagne face à ce déluge technologique mais je garde toujours à l’esprit que je ne veux pas d’un monde où les systèmes prendraient le pas sur la personne.

Pour plus d’informations et de conseils de ce genre, c’est ici et c’est gratuit

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