Les États-Unis cherchent à évincer la Chine des chaînes logistiques régionales et mondiales Par Alexandre Lemoine
La stratégie américaine d’endiguement de la Chine passe au niveau supérieur. À l’heure actuelle, Washington tente d’imposer à la région Asie-Pacifique un réseau d’accords commerciaux et économiques, de lier leurs acteurs par des engagements de restreindre l’interaction avec la Chine dans les chaînes logistiques régionales sur les produits primordiaux et repousser ainsi Pékin à la périphérie du marché mondial. Une attention particulière est accordée à la concurrence sino-américaine sur le marché des semi-conducteurs.
Les États-Unis ont imparti aux pays de la région le rôle de bélier contre l’économie chinoise. L’objectif final de l’administration Biden est évident, c’est l’affaiblissement économique de Pékin.
Dans le cadre de cette politique, les États-Unis ont initié en mai la création du Cadre économique pour l’Indo-Pacifique (IPEF). La rencontre ministérielle de ses participants s’est tenue la semaine dernière à Los Angeles. Cette structure devrait inclure 14 pays de la région, à l’exception de la Chine.
En réalité, cette initiative américaine n’a rien à voir avec l’économie. Elle sert de facto d’instrument de concurrence géopolitique avec la Chine dans l’Indo-Pacifique déguisé en coopération économique internationale.
Washington a élaboré quatre axes de travail principaux dans le cadre de l’IPEF: le commerce, la main d’œuvre et l’économie numérique; l’énergie propre et la décarbonisation; la résilience des chaînes logistiques; les impôts et la lutte contre la corruption. Sachant que l’ordre du jour n’inclut pas la réduction des taxes sur les marchandises importées aux États-Unis depuis les pays de la région. Au final, l’accès au marché américain restera difficile pour plusieurs pays de l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) membres de l’IPEF, qu’ils cherchent à obtenir depuis longtemps. Il est à douter que l’initiative américaine apportera à ses participants des profits économiques considérables.
Les États-Unis imposent leurs normes des conditions de travail et ce qu’on appelle la décarbonisation, sans tenir compte des particularités technologiques de l’industrie, ce qui empêche un développement économique normal. Selon les experts chinois, les États-Unis proposent à leurs partenaires « le bâton sans la carotte ».
Un autre objectif de l’IPEF consiste à stopper l’intégration économique réelle dans la région au format du Partenariat économique régional global (RCEP), où la Chine est présente en tant que membre à part entière. Il s’appuie sur un accord régional de libre-échange qui a établi un équilibre des intérêts de tous les pays faisant partie du RCEP.
C’est pourquoi la composition des deux structures est presque identique. Sur les 15 pays membres du RCEP, 11 États ont participé à l’initiative américaine IPEF. Et parmi les membres de l’IPEF, outre les États-Unis, l’Inde et les Fidji, les 11 autres pays ont adhéré au RCEP. L’objectif de l’administration Biden est clair: persuader ou forcer d’autres pays à quitter la chaîne industrielle chinoise et créer des itinéraires logistiques fermés avec un cercle restreint de pays soumis aux États-Unis.
Les États-Unis accordent une attention particulière dans l’agenda de l’IPEF à l’évincement de la Chine des chaînes logistiques mondiales dans la production de semi-conducteurs et à l’établissement de leur propre contrôle sur celles-ci. Sous couvert de démagogie sur la « garantie de hauts standards de sécurité » les États-Unis forment activement une alliance appelée Chip 4. Hormis les États-Unis, elle est censée inclure le Japon, la Corée du Sud et Taïwan.
Les axes de travail de cette alliance sont désignés par le projet de loi sur les puces et la science (CHIPS and Science Act) signé par le président Joe Biden début août afin d’augmenter la production de semi-conducteurs aux États-Unis. Cette loi a, entre autres, pour but de remédier à une forte dépendance des États-Unis des importations de semi-conducteurs pour l’industrie électronique, qui s’est révélée pendant la pandémie de Covid-19.
Mais ce problème sera réglé en forçant les principaux fabricants mondiaux de circuits intégrés à rompre la coopération avec la Chine continentale. Cette loi interdit aux compagnies (pas seulement américaines) d’élargir la production de semi-conducteurs en Chine selon les technologies de pointe pendant 10 ans après l’obtention de subventions et d’allègements fiscaux pour l’installation de leurs sites de production aux États-Unis.
Sachant que la situation est très controversée pour Washington. Cette loi est critiquée à la fois par les entreprises américaines et les producteurs asiatiques, car ils subiront un préjudice significatif et difficile à combler en cas de rupture des relations avec la Chine. Les principaux producteurs de puces comme Apple, Intel, Samsung et le taïwanais TSMC ne pourront pas moderniser leur production en Chine continentale, ce qui signifie que, malgré leurs immenses investissements, ils ne pourront pas fabriquer des produits bon marché et donc subiront d’énormes pertes.
Par exemple, une trentaine de compagnies participant à la chaîne logistique d’Apple possèdent des usines à Shanghai, dont Foxconn, l’un des principaux sites d’assemblage de la compagnie américaine. De plus, les usines situées en Chine importent des semi-conducteurs d’autres pays et régions et en font des produits finis, exportés dans différentes parties du monde. L’exemple du sud-coréen Samsung Electronics témoigne de l’ampleur de l’interdépendance des compagnies asiatiques dans ce secteur. Le bénéfice net de ses entreprises chinoises pour 2021 s’élève à 7,98 milliards de dollars, soit 13% du chiffre total.
Dans l’ensemble, les plans de Washington sont tout aussi grandioses qu’ils sont difficiles à réaliser. Mais ils conduiront à l’effondrement de la division du travail établie en Asie du Sud-Est, ce qui exacerbera la hausse des prix mondiaux et pourrait provoquer une crise dans des secteurs économiques entiers des pays développés, y compris les États-Unis.
Alexandre Lemoine
Les opinions exprimées par les analystes ne peuvent être considérées comme émanant des éditeurs du portail. Elles n’engagent que la responsabilité des auteurs