LES IMPLICATIONS PROFONDES DE LA LOI DES RENDEMENTS MARGINAUX DECROISSANTS
Il existe en microéconomie une loi fondamentale qui a des implications macroéconomiques considérables à la fois sur le plan de l’économie nationale qu’au niveau de l’économie mondiale. Au-delà de son expression mathématique qui – mal comprise – risque de nous faire passer à côté de l’essentiel du message économique, il convient d’en bien saisir toute sa signification.
Cette loi est connue sur le nom de loi des rendements marginaux décroissants qui est, pour un économiste, quasiment une loi naturelle [2]. En effet, elle est ancrée dans notre nature biologique d’être vivant même : il faut accumuler et reconstituer un stock de calorie (par la consommation) pour pouvoir fournir de l’énergie (pour la production et le travail).
Quand on a des faibles performances dans un domaine quelconque, il est plus facile d’accroitre ses performances que lorsque l’on a déjà atteint un niveau de performance élevé. Plus on s’approche de son potentiel, plus on a épuisé les possibilités d’accroissement de nos performances. Ou alors il faut accroître ce potentiel lui-même (réformes structurelles).
Ainsi, je dis à mes étudiants qu’il est plus facile de passer d’une note de 5/20 à 10/20 en se mettant sérieusement au travail, ce qui nous fait une progression de 100 %. Mais on comprend bien que, en progressant, on ne pourra pas maintenant le même taux de croissance de 100 % et qu’il est extrêmement difficile de passer de 17/20 à 19/20, à l’image du champion de saut en hauteur qui veut augmenter son record d’un tout petit centimètre. Le dernier « petit centimètre » est plus dur à gagner que le premier « petit centimètre » même s’ils ont objectivement la même taille. Dans le film de Luc Besson « Le grand bleu », Jean Réno, qui joue le rôle du plongeur qui veut battre le record du monde de plongée en apnée, dit : « Un mètre tout au fond n’a pas la même longueur qu’un mètre à la surface ».
C’est pourquoi les pays émergents peuvent afficher des taux de croissance insolents qui ont frôlé les 10 % pendant des années (et plus de 5 % aujourd’hui) car ils partaient de très bas, ils avaient un niveau faible d’accumulation du capital et, en conséquence un niveau élevé du rendement marginal du capital.
Mais examinons justement les conséquences d’une telle proposition dans une économie ouverte. Les capitaux, qui circulent librement, vont s’investir dans les pays (investissements directs) qui proposent les meilleurs rendements, donc dans ces pays émergents, ce qui permet précisément à ces pays de trouver les financements leur permettant de financer les investissements. Ainsi, l’accumulation du capital s’accroit, ce qui nourrit la croissance de ces pays, et par contrecoup, la croissance de l’économie mondiale.
En conséquence, le niveau du capital par travailleur va s’accroître et donc les rendements marginaux (le supplément de rendement obtenu par chaque dose d’investissement) diminuent jusqu’au point où les capitaux vont se placer dans d’autres pays qui présentent de meilleurs rendements, donc de meilleurs potentiels de croissance, pour nourrir la croissance mondiale.
On voit donc que la mobilité internationale des capitaux permet d’exploiter tous les gisements de croissance au niveau mondial, générant un processus de rattrapage de croissance des pays : les pays qui décollent connaissant les plus forts potentiels de croissance (la barre est très basse), ils attirent les capitaux qui vont justement nourrir cette croissance (ils peuvent monter le niveau de la barre).
Mais voilà, au nom d’une vision statique et idéologique du monde, qui assimile la libre circulation des capitaux à la spéculation forcément coupable, les gouvernements vont s’empresser de mettre en place une taxation des mouvements financiers, emboitant bêtement les propositions délirantes d’ATTAC. Le drame est qu’ils vont justifier la mise en place de cette taxe par le motif évidemment noble – et donc non critiquable – du soutien au développement et la lutte contre la pauvreté dans le monde.
Or, l’aide (le produit ainsi récolté de la taxe) est généralement collectée par les Etats et donc versée par le haut à des Etats. Ces Etats, qui bénéficient de l’aide, ont souvent des régimes politiques corrompus, immoraux et inefficaces à l’origine de la pauvreté même de leur pays, ce qui cautionne précisément ces régimes politiques en les faisant durer alors que les habitants fuient leur pays.
Mais, la mise en place de la taxe, en freinant la circulation internationale des capitaux (ce qui est son objectif affiché et recherché), est précisément à l’origine du ralentissement de la croissance dans ces pays, ce qui compromet leur développement. Encore une fois, que ce soit au niveau national ou au niveau international, la taxe se propose de réparer ce qu’elle a en fait elle-même provoquer : l’Etat vous casse la jambe d’un côté et il se propose en sauveur en s’octroyant le monopole de la fourniture des béquilles de l’autre côté. Mais comme il faut bien justifier la taxe sur la longue période, il vous recassera la jambe à nouveau lorsque celle-ci sera réparée de sorte que l’économie est structurellement sous son potentiel de croissance. Vous êtes structurellement handicapé.
Les pays émergents, en s’ouvrant aux investissements directs et aux échanges internationaux, notamment dans la zone APEC ont ainsi exploité tout le potentiel de croissance de l’ouverture et sont aujourd’hui devenu la locomotive de la croissance mondiale. Ce n’est pas la mondialisation le problème, ce sont nos structures qui sont inadaptées.
En économie ouverte, même si l’épargne des français est abondante, elle ira se placer dans les pays émergents qui offrent les meilleurs rendements. Faut-il alors se protéger du monde et s’exclure du marché mondial des capitaux et donc de la liberté de circulation des capitaux qui est son corolaire ? Non car nos blocages sont précisément internes et structurels.
Encore une fois, ils sont liés à une vision statique (approche keynésienne), quand ce n’est pas marxiste (haine du capital forcément néfaste et exploiteur des masses), de l’économie abondamment diffusée par les médias perroquets.
C’est en effet la seconde implication de la loi des rendements marginaux décroissants. Que dit-elle au fond ? Permettez-moi, pour mieux me faire comprendre et plutôt que de vous ennuyer avec des mathématiques, d’utiliser à nouveau une image sportive.
Le problème du sauteur en hauteur (mais c’est valable pour les sports) est de trouver son potentiel optimal de performance : s’il place la barre trop bas, il va la franchir aisément (rendement marginal élevé = il peut accroitre fortement ses performances s’il saute à nouveau) ; s’il place la barre trop haut, il passe en dessous et il va se décourager. Ou alors il faut qu’il se dope (surendettement, inflation). Le niveau optimal pour lui se situe entre ces deux niveaux, correspondant à son potentiel productif. Maintenant, s’il veut sauter plus haut dans le futur (et battre de nouveau record), il faut d’abord s’entraîner (épargner pour investir) pour accroitre son potentiel productif lui-même.
Mais lorsque le sauteur est en-dessous de son potentiel (le rendement marginal est élevé), c’est que la barre est trop basse. Que fait-il logiquement pour progresser ? Il remonte la barre et pas l’inverse. Il travaille plus. Or, que dit-on et que fait-on chez nous depuis des années ? L’INSEE observe, chaque année, que la productivité du travail est élevée en France, plus précisément, que le rendement marginal est fort. C’est précisément parce que notre économie est sous-capitalisée : la barre est trop basse compte-tenu de notre potentiel économique.
Mais qu’en concluent les socialistes, qui s’appuient sur une vision statique de l’économie : puisque le rendement des travailleurs est élevé, alors on peut réduire le temps de travail (35 heures). Mais, une analyse dynamique de l’accumulation du capital, qui explique les phénomènes de croissance, explique que c’est précisément le contraire qu’il faut faire : nous sommes en situation de sous-capitalisation car nous ne travaillons pas assez ! C’est comme si vous faisiez dix pompes pour vous muscler et que vous n’êtes pas fatigué : vous pouvez faire facilement la onzième, vous avez encore du « jus » (rendement marginal), alors vous allez décider de faire moins de pompes ? Mais alors vous ne vous musclerez jamais.
La sous-capitalisation de l’économie correspond à la situation du sauteur qui a mis la barre trop bas, il a donc beaucoup de la marge de progression, il va donc monter la barre, et non pas la baisser. Car s’il la baisse, il va se croire très fort mais il va connaître la douche froide le jour de la compétition avec les autres sauteurs qui se sont sérieusement entraînés.
C’est le problème structurel majeur de l’économie française : nos experts mesurent fort justement que le niveau des rendements marginaux sont élevés, mais ils en concluent (fort bêtement) qu’il faut baisser le temps de travail. C’est donc comme si le sauteur baissait sa barre alors qu’elle est déjà en dessous de son potentiel. Alors, du coup, en s’ouvrant à la compétition internationale, on se rend compte que l’on ne résiste pas à la croissance des pays émergents plus travailleurs et plus compétitifs.
Refusant de voir la réalité en face, on accuse alors cette ouverture et cette compétition (c’est la faute des autres sauteurs si je me suis mal entraîné) alors que nos rendements élevés, en économie ouverte, sont susceptibles d’attirer les capitaux motivés par la perspective de rendements plus forts. Alors on taxe les capitaux, ce qui diminue finalement le rendement et donc l’attrait qu’exerçaient ces rendements. Et on se tourne vers l’Etat, pour soutenir l’économie et défendre les emplois, alors que l’on met en œuvre nous-mêmes, par notre vision absurde et inversée de l’économie, les mesures qui frappent de plein fouet les mécanismes de croissance eux-mêmes.
Encore une fois, la misère et la fin de la croissance proviennent souvent d’une ignorance crasse de lois économiques simples mais que l’on refuse de comprendre alors que leurs implications sont considérables, contenant notamment les clés de la richesse et de la croissance.
La dérivée partielle de la fonction de production, qui est donc positive, nous donne le rendement du facteur de production, c’est-à-dire la productivité marginale du travail ou du capital. Si on augmente le niveau d’un facteur, on produit plus.
La dérivée de la dérivée, soit la dérivée seconde, nous donne donc l’évolution de ce rendement qui est négative : la progression des rendements diminue avec l’accroissement du facteur. Le rendement du facteur augmente de moins en moins vite.
Elle fut d’ailleurs énoncée rigoureusement par David Ricardo qui observait le phénomène d’épuisement des rendements dans le secteur agricole. Mais, bien comprise, on la retrouve partout, dans tous les domaines de l’action humaine.
D’après JL Caccomo