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Les incorrigibles détracteurs de l’adolescence

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SOCIOLOGIE – J’aimerais m’entretenir avec vous du dernier livre des auto-proclamés experts de l’adolescence : les Jeammet, Huerre, Cyrulnik, éminents apôtres de la psych-iatr-analyse française (discipline obtenue par ce curieux mélange de plusieurs autres: la psychologie, la pédiatrie, la psychiatrie, la psychanalyse) et quelques autres noms.

Après avoir construit toute leur vie professionnelle, et leur notoriété médiatique, sur la très populaire fable d’une « crise généralisée de l’adolescence », sur le préjugé d’un âge pathogène en soi, les voilà, ces messieurs-dames, qui sortent du bois pour nous dire (enfin !), dans un ouvrage collectif, que les Adolescents d’aujourd’hui vont bien, merci. Et si nous leur faisions confiance ? (Bayard, 2015).

Dois-je rappeler que je tiens ce discours de vérité depuis une bonne vingtaine d’années, que, durant tout ce temps, je n’ai cessé de clamer, à longueur d’ouvrages ou de conférences, que l’on ne saurait généraliser la pathologie de quelques adolescents à une classe d’âge tout entière, que la majorité des garçons et filles adolescents se portent bien, que si parfois ils vont mal la faute en incombe moins à leurs hormones ou à leurs neurones qu’aux exigences et défaillances d’une société en désamour avec cette génération, qui les accable à l’école, leur pourrit l’avenir (ce que semblent enfin reconnaître les auteurs à la fin de l’ouvrage).

Or que lis-je aujourd’hui sous la plume du Professeur Jeammet? Des déclarations en forme de mea culpa. La fréquentation des forums sur l’adolescence de la Fondation Pfizer, indique le professeur, « m’a permis d’avoir une vision plus globale de cette génération -notamment des adolescents qui vont bien et que j’ai peu croisés dans ma carrière, puisqu’ils n’avaient pas besoin de moi ! ». Merveilleuse confession. Que ne m’a-t-il écouté, lu, davantage, cela lui aurait, à l’évidence, permis de ne pas vivre dans l’erreur, avec tous ses confrères pendant tant d’années, hélas pour le plus grand malheur des adolescents, de leurs familles imbibés de caricatures psycho-médicales sur l’adolescence, et que le seul mot « d’adolescent » fait toujours frémir?

Est-ce à dire qu’avec cet ouvrage tout est désormais pour le mieux dans le meilleur des mondes adolescents possible? Que le livre susnommé est à la hauteur du mea culpa? Nenni. On ne renonce pas si facilement à des années de tartufferies, à tant d’imprégnations idéologiques et de prétendus savoirs savants? Il est vrai aussi que les collègues choisis par M. Jeammet ne lui facilitent pas la tâche dans son acte de contrition. Que retrouve-t-on en effet dans les exposés, sans du reste trop savoir souvent, dans le livre, qui dit quoi? Ceci par exemple. Une transformation du corps adolescent si rapide que le pubère n’a pas le temps de s’y habituer. Une inquiétante étrangeté du sujet devant le miroir. Une « identité en chantier » (n’en avait-il pas une durant l’enfance ?). Des complexes, à tout va. Des prises de risque, à gogo.

Tout ceci est sinon toujours inexact, du moins fortement exagéré. Médicalement parlant, le phénomène pubertaire n’est ni soudain ni brutal, il s’étale sur plusieurs années (2, 3, 4), ce qui permet au pubère de se familiariser avec lui – ce que nous dit l’adolescent normal, avant d’ajouter que cette modification est de toute façon A-GRE-ABLE pour lui, le valorise absolument.

Une autre idée exprimée dans le livre est que les adolescents seraient des espèces de  » moutons de Panurge », au motif qu’ils vivent en groupe. C’est tout aussi grotesque. En groupe, les adolescents savent conjuguer conformité et individualité.

Autre chose : tous les sentiments attribués aux adolescents dans ce livre sont considérés comme des sentiments négatifs : d’insuffisance, de faiblesse ou d’inachèvement. Désir de la différence, désir de reconnaissance, de faire l’amour… La suite n’est pas moins inquiétante et alarmante. L’école semble se résumer au harcèlement sexuel, l’Internet à des connexions dangereuses ou à un enfermement par sur-consommation [la spécialiste sollicitée préconise tout simplement de mettre les adolescents au lit à 21h30-22h maxi ! Bon courage ! ], les loisirs à des prises de risque, le sommeil à des carences…

Et je passe sur la confusion faite tout au long du livre entre « adolescents » et « jeunes ». Que vient donc faire ici, dans un ouvrage sur les  » ados » (moins de 16 ans), un sociologue de la jeunesse (18-25 ans)?

En résumé, les fameux adolescents qui « vont bien, merci » apparaissent dans ce livre comme des espèces de  » demeurés », surconsommant tout ce qui leur tombe sous la main, somnolant tout ce qu’ils peuvent en classe [si les cours étaient moins ennuyeux, peut-être resteraient-ils éveillés, non?].

Comprendre l’adolescence normale ne s’improvise pas. Elle suppose d’abord de lire les chiffres correctement. En statistique comme en politique, seule la majorité compte. Relisons donc les données des études, enquêtes et sondages utilisés ici par nos auteurs, pour faire apparaître les majorités qui comptent. Voici les résultats: 80% des élèves de grande section et trois collégiens sur quatre ne disposent pas de poste de télévision dans leur chambre; 90% des 5-6 ans et les trois quarts des 11-12 ans pas d’ordinateur. Ce qui peut d’ailleurs expliquer que 90% des 5-6 ans et autant chez les 11-12 ans ne présentent aucun trouble du sommeil. Mais regardons tout de même du côté des insomniaques. Que font-ils après leur réveil nocturne? 94% n’en profitent pas pour jouer sur internet, 89% n’en profitent pas pour se connecter sur les réseaux sociaux, 89% n’en profitent pas pour envoyer des sms. Que font-ils donc? Ils se REN-DOR-MENT! Terminons, pour ne pas être trop long, par les fameuses « représentations de soi » des adolescents, problématiques comme il se dit. Eh bien, non, près des deux tiers des adolescents ne se sentent pas différents des jeunes de leur âge. Neuf sur dix s’estiment bien dans leur corps (19% seulement s’avouent complexés).

Nous aurions aimé que ces chiffres  » majeurs » soient mis en avant dans ce livre. Cela n’a pas été le cas. Pourtant, les auteurs insistent à nous dire, une dernière fois, que les adolescents vont bien, en se référant à une statistique indiquant qu’un tiers avoue que… la vie est triste. N’eut-il pas été préférable, pour valider cette bien-portance adolescente, de dire que les deux tiers des adolescents sont heureux de leur vie?

Enfin, il ne suffit pas, en fin d’ouvrage, de tenir des propos faussement complices avec les adolescents, ou un brin moralisateur tout de même, pour espérer nous avoir convaincus de votre conversion à une adolescence somme toute âge très ordinaire et exceptionnel à la fois.

Vous l’avez compris, le titre Adolescents d’aujourd’hui, ils vont bien merci, est un titre trompe l’œil, puisque le contenu le contredit en permanence, à la limite assurément de la malhonnêteté intellectuelle.

Non, décidément, on ne devient pas spécialiste de « l’adolescence normale », par simple décret éditorial. Je ne peux, en conclusion, que conseiller à chacun et à tous de ne pas perdre de temps à lire ce livre, et de plonger, par exemple, dans  » L’adolescence pour les NULS », que je crois d’un meilleur profit. Vraiment.

Michel Fize

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